Soudan du Sud : Machar prend le maquis
Limogé il y a six mois, l’ancien vice-président Riek Machar est accusé de tentative de coup d’État. L’intéressé dément mais demande le départ du président. Jamais le Soudan du Sud n’a semblé si proche de la guerre civile.
Sans doute plus de 500 morts et des milliers de réfugiés fuyant le centre de Djouba, la capitale du Soudan du Sud, pour se placer sous la protection des Nations unies. "Les scènes de dévastation m’ont retourné l’estomac, raconte Jok Madut Jok, sous-secrétaire d’État à la Culture, sur sa page Facebook. Des hommes mourant dans les hôpitaux par manque de sang et d’antibiotiques, des corps entassés pourrissant parce que leurs proches sont trop effrayés pour venir les chercher. Des déplacés, en particulier des enfants, qui n’ont plus de toit et rien à manger alors que les magasins restent fermés."
Depuis le 15 décembre, le plus jeune État africain s’enfonce dans la crise. Tout aurait commencé au sein du Tiger Battalion, la garde présidentielle de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), après que l’ordre eut été donné aux soldats nuers de rendre leurs armes. Manipulation ethnique ou réalité, difficile de savoir, mais les combats opposant deux composantes dudit bataillon se sont envenimés, s’étendant jusqu’à la résidence du président Salva Kiir (62 ans), puis débordant dans toute la ville. Le gouvernement a été prompt à accuser l’ancien vice-président Riek Machar (60 ans), un Nuer limogé en juillet 2013 après avoir clairement fait part de ses intentions de se présenter à la présidentielle de 2015.
Des massacres contre l’ethnie dinka
Actuellement en fuite, Riek Machar a déclaré : "Il n’y a pas eu de coup d’État. Ce qui s’est passé à Djouba est un malentendu entre membres de la garde présidentielle au sein de leur unité. Je n’ai aucune connaissance et aucun lien avec une quelconque tentative de coup d’État." L’opposition entre le président et l’ancien vice-président n’est pas nouvelle. Au début des années 1990, Machar avait tenté de renverser la direction de la SPLA. S’illustrant à Bor dans des massacres contre l’ethnie dinka, à laquelle appartenait le chef historique John Garang et à laquelle appartient aussi Salva Kiir, il avait rejoint Khartoum en 1997.
>> Lire aussi : selon l’armée, les miliciens pro-Machar sont toujours aux portes de Bor
Rallié au SPLM, le Mouvement populaire de libération du Soudan (et bras politique de la SPLA), Machar est devenu vice-président de la région semi-autonome du Soudan du Sud en 2005, à la mort de Garang, et avait continué d’occuper cette fonction après l’accession à l’indépendance, en 2011. Les relations entre Kiir et Machar, toujours tendues, ont empiré ces derniers mois. Grand et charismatique, fin et prudent, "puissant jusque dans ses silences", selon une personne qui l’a rencontré, Riek Machar a réagi avec calme lors de son limogeage. En juillet, il déclarait : "Le président a constitutionnellement le droit de démettre et de former un gouvernement. Cela fait partie de ses prérogatives. Il ne doit pas y avoir de violence."
Sans cacher ses ambitions, convaincu de son destin présidentiel, il essayait depuis de prendre la tête du SPLM "à la loyale". Bien que soupçonné de s’être enrichi grâce à des pots-de-vin, Machar semblait décidé à privilégier l’apaisement. Face à lui, abandonnant l’habit civil au profit du treillis militaire, qualifiant Machar de "prophète de la mort", Salva Kiir, que l’on dit malade, a fait arrêter ou poursuivre une dizaine de membres importants du gouvernement, confirmant les rumeurs d’une dérive dictatoriale.
Alors que les heurts semblent se propager notamment à Bor, dans le Jonglei, il n’est pas certain que l’intervention de Ban Ki-moon appelant au dialogue et les pressions des bailleurs de fonds permettent un retour au calme. Pour Jok Madut Jok, "nous vivons aujourd’hui l’incident politique le plus dévastateur depuis l’accord de paix signé en 2005 pour mettre fin à la guerre entre le nord et le sud du Soudan". Le 19 décembre, sortant de sa réserve, Riek Machar demandait le départ de Salva Kiir.
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