Libye : brouillard sur Benghazi
Qui commande, dans la capitale de la Cyrénaïque ? Les milices, par la terreur ? La population, qui se rebiffe contre elles ? La municipalité, dont les caisses se vident ? Pas l’État libyen, en tout cas.
Benghazi, quartier Salam, le 18 décembre. Des militaires découvrent avec effroi un sac plastique ensanglanté. À l’intérieur, la tête d’un homme kidnappé il y a trois mois. Un "cadeau" déposé devant le domicile de son fils, Salim Naili, membre bien connu de la brigade Al-Saiqa, les forces spéciales de l’armée nationale qui combattent le groupe salafiste Ansar al-Charia dans la ville. La veille, deux militaires ont été assassinés et des habitants ont pris d’assaut des maisons appartenant à des membres de ce groupe dans le quartier central d’Ard Zwawa.
Dans la capitale de la Cyrénaïque, la guerre est larvée et confuse. Les forces spéciales ne savent pas vraiment qui elles affrontent. Régulièrement, elles découvrent des voitures plastiquées aux abords de leurs bases et reçoivent des menaces anonymes.
Depuis des mois, attentats et assassinats ciblés sont quasi quotidiens. Leur mode opératoire varie : voitures piégées, rafales d’armes automatiques… Ils visent en priorité des hauts gradés ayant servi sous Kadhafi avant de rallier la révolution. Sur la centaine de victimes, certaines occupaient des postes à responsabilité dans les années 1990, époque où une répression terrible s’abattit sur les islamistes et se solda, à Tripoli, par le massacre de la prison d’Abou Salim. "Ces tueurs sont très bien renseignés. Mais qui sont-ils ? Des hommes d’Ansar al-Charia ? Ce serait une erreur de tout mettre sur le dos de ce groupe, dont les membres sont connus et ne se cachent pas. D’autres, qui agissent dans l’ombre, sont plus dangereux, glisse, sibyllin, un fonctionnaire bien informé. Ces crimes peuvent aussi bien être commandités par des Kadhafistes qui se vengent d’avoir été lâchés par ces militaires."
"À Benghazi, la situation est hors de contrôle", confie-t-on dans l’entourage d’Ali Zeidan, le Premier ministre, qui a annoncé l’installation de caméras de surveillance. "La menace ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur du pays", a déclaré le chef du gouvernement en exhortant la communauté internationale à l’aider… tout en refusant un plan de l’ONU qui prévoyait le déploiement de 235 Casques bleus. "Le gouvernement, faible et discrédité, espère que la population se dressera contre ces assassins. Aujourd’hui, elle seule peut changer la donne", constate Salem Gnane, ancien vice-président du Conseil national de transition.
>> Lire aussi : les mille et une tueries de Benghazi
La population s’est soulevée contre les milices
À une dizaine de kilomètres du centre-ville, des hommes en treillis disparates contrôlent la route de l’aéroport. Militaires, miliciens officiels ou groupes informels… Difficile de les distinguer. Au gré des circonstances, ils s’allient, s’affrontent, se tolèrent ou s’ignorent. Le contrôle se fait sans insistance. Nul besoin de demander à quelle faction appartiennent ces hommes à la barbe soignée. Sur leurs véhicules blindés flotte le drapeau noir frappé de la chahada. La marque d’Ansar al-Charia, accusé par Washington d’être derrière l’attentat du 11 septembre 2012 contre le consulat américain.
Ces révolutionnaires radicaux reconvertis dans le jihadisme ont été délogés de la ville pour la seconde fois cette année. Le 25 novembre, l’unité des forces spéciales de l’armée nationale, forte de près de 200 hommes, a lancé une vaste opération. En réalité, comme à Tripoli dix jours plus tôt, c’est d’abord la population qui s’est soulevée – pacifiquement dans l’ensemble, mais certains civils étaient armés – pour protester contre la présence des milices. Face à ces hommes plus nombreux et mieux équipés qu’elle, l’armée est impuissante. "On savait qu’ils allaient revenir car ils sont décidés à établir un émirat islamique, confie un entrepreneur. Chaque matin, je regarde sous ma voiture pour vérifier s’ils n’ont pas posé de bombe."
Malgré la peur, la vie suit son cours. À en croire Husni Bey, un riche businessman local, les affaires sont florissantes. "À Benghazi, les importations ont crû de 100 % depuis 2010. Les gens consomment malgré les problèmes", affirme dans un sourire enjôleur le principal employeur privé du pays, qui dénonce toutefois l’incompétence des responsables politiques. Les agents de sécurité privés, chargés de la protection des rares employés occidentaux présents dans le pays, sont moins optimistes : "Le climat n’a jamais été aussi tendu, on ne sait pas lequel de ces groupes est aux manettes."
Pour tenter de conquérir le coeur des habitants, des combattants d’Ansar al-Charia ont recours à une bonne vieille stratégie islamiste : ils aident les plus démunis, régulent la circulation, ramassent les ordures… Car, leur salaire n’étant plus versé, les éboueurs sont en grève. Les caisses de la mairie se vident, le conseil local réclame plus de 140 millions d’euros au gouvernement. "La corruption gangrène toute la classe politique, et pas seulement à Tripoli", indique Ahmed Sawalem, un ex-conseiller du vice-Premier ministre, qui, "dégoûté", a démissionné.
Mohammed Abou Sneina, le maire de Benghazi, nuance ces accusations. Proche des Frères musulmans, il apprécie l’aide apportée par Ansar al-Charia. "Ansar al-Charia n’est pas un problème pour la Libye. C’est le gouvernement qui essaie de le faire croire. Ces hommes nous sont utiles en ces temps de crise", souligne l’édile, qui nie que sa ville soit devenue un carrefour de jihadistes entre le Sahel et la Syrie via Istanbul, où se sont installés nombre d’islamistes libyens. À Benghazi comme ailleurs, les milices se renforcent chaque jour et de nouveaux membres viennent grossir leurs rangs tandis que la liste des hommes à abattre s’allonge. Elles tirent leur puissance de leurs stocks d’armes et de la faiblesse d’une armée aux ordres d’un État impotent.
>> Lire aussi : assassinat du chef des renseignements de Benghazi
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