Cinéma : dans la peau de Nelson Mandela
Alors que la nation sud-africaine rend un dernier hommage à Mandela, un biopic inspiré de ses Mémoires sort en salle. Avec Idris Elba dans le rôle-titre.
Les producteurs ont parfois de la chance. La sortie internationale de Mandela. A Long Walk to Freedom ("Un long chemin vers la liberté"), le biopic qui retrace l’essentiel de la vie de Nelson Mandela à partir de sa considérable autobiographie éponyme publiée en 1995, avait été fixée il y a déjà plusieurs mois au 18 décembre. Et voilà que la disparition de Madiba peut donner l’impression que le film, tombant à pic, a spécialement été conçu pour envahir les écrans à l’occasion de sa disparition. Mieux : à Londres, coïncidence des plus improbables, c’est pendant une projection en avant-première en présence de deux des filles de Mandela qu’on a appris la mort du premier président de l’Afrique du Sud élu démocratiquement. De quoi faire parler du film avant même que le grand public auquel il est destiné ait pu le voir.
La bande annonce du film Mandela. A long way to freedom.
Mais le producteur sud-africain Anant Singh a eu doublement de la chance : alors qu’il aurait pu être quelque peu critiqué comme un long-métrage à grand spectacle sans grande originalité et fort hagiographique, le film est devenu, du fait même de l’actualité, un très bel hommage rendu au héros de la lutte antiapartheid. La démesure même de l’entreprise, superproduction de type hollywoodien avec ses 12 000 figurants, paraît maintenant tout autant justifiée que les innombrables pages ou émissions spéciales consacrées par tous les médias de la planète à ce géant de la lutte pour la démocratie et contre le racisme.
>> Lire aussi : L’Afrique du Sud enthousiaste pour la sortie du film sur Mandela avec Idris Elba
L’entreprise vient de loin. A Long Walk to Freedom n’était en effet encore qu’un manuscrit destiné à être publié quelques mois plus tard quand le producteur Anant Singh eut accès au texte. Immédiatement persuadé, après un week-end consacré à sa lecture, que celui-ci fournissait la matière d’un "film immense", il rencontra rapidement Mandela qui se déclara ravi de confier les droits d’adaptation de l’ouvrage à un Sud-Africain. D’origine indienne, Anant Singh a lui aussi été victime de l’apartheid : en de nombreuses circonstances, il n’a pas pu voir en salle les films qu’il avait produits lui-même puisqu’ils étaient projetés en des lieux où, comme partout dans le pays, régnait la ségrégation raciale !
Au final, il lui aura fallu dix-huit longues années – autant que celles que Madiba aura passées emprisonné à Robben Island – pour mener à bien l’entreprise grâce à une réalisation signée par le Britannique Justin Chadwick. Quant au rôle principal, c’est l’acteur Idris Elba, d’origine ghanéo-sierra-léonaise, qui l’a endossé très honorablement. Il est très probable que si Mandela avait pu voir le long-métrage terminé, il n’aurait guère trouvé à y redire : avec bien sûr les ellipses qu’impose la durée d’un film, même long (2 h 26), A Long Walk to Freedom suit chronologiquement et en collant fidèlement au récit autobiographique les trois grandes étapes de la vie de Madiba : l’enfance d’un jeune Xhosa qui l’amène, à la fin de ses études, à devenir un avocat séduisant et séducteur qui milite contre toutes les injustices ; le combat contre l’apartheid au sein de l’ANC, qui le conduit à la clandestinité puis à l’arrestation et à la détention ; la libération, après presque trois décennies en prison pendant lesquelles il se révèle indomptable, et l’accession au pouvoir dans une Afrique du Sud enfin démocratique.
Des oeuvres hagiographiques
A Long Walk to Freedom est un film instructif, souvent émouvant. Et hagiographique, comme ont pu l’être avant de meilleurs longs-métrages mettant en scène Mandela, notamment deux incontournables, qui ont fait le choix heureux de se focaliser sur un seul aspect de la vie de leur héros. Goodbye Bafana, du Danois Bille August, double Palme d’or à Cannes, racontait en 2007 comment le plus célèbre prisonnier politique du monde, mais aussi l’un des plus maltraités, avait noué une amitié avec l’un de ses geôliers. Quant à Invictus, de Clint Eastwood, il montrait avec quelle habileté et quel sens politique le tout nouveau président – interprété par un très convaincant Morgan Freeman – avait réussi en 1995 à unir à l’occasion de la Coupe du monde de rugby tout le peuple sud-africain derrière l’équipe des Springboks jusqu’alors soutenue par les seuls Blancs. Reste à attendre, post mortem, le premier grand film sur un personnage si exceptionnel qui saura enfin éviter le genre "vie des saints".
Bientôt chez les libraires
C’est un portrait intime de celui qui s’est efforcé de bâtir une nation arc-en-ciel que livre John Carlin dans Le Sourire de Mandela (à paraître le 2 janvier au Seuil). Ancien chef du bureau sud-africain du quotidien The Independent, le journaliste britannique narre ses rencontres avec Madiba. Son précédent ouvrage, Déjouer l’ennemi : Nelson Mandela et le jeu qui a sauvé une nation, revenant sur l’organisation de la Coupe du monde de rugby de 1995, avait inspiré le film Invictus à Clint Eastwood, tandis que David Gakunzi s’est intéressé, lui, au mondial de 2010 (Mandela, L’Harmattan). Autre témoignage : celui de la deuxième épouse du Prix Nobel de la paix, Winnie Mandela, qui publiera le 16 janvier chez Michel Lafon Un coeur indompté : carnets de prison et correspondances avec Nelson Mandela. À signaler également un ouvrage analytique de Pierre Durand, qui entend porter "un regard critique sur Mandela et sa lutte contre l’apartheid" (Nelson Mandela, éd. Jacob Duvernet). Séverine Kodjo-Grandvaux
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