Rama Yade : Sarko, Hollande, le FN et moi
Désormais membre du parti centriste de Jean-Louis Borloo, Rama Yade, secrétaire d’État chargée des Sports sous Nicolas Sarkozy, dresse un bilan plus que mitigé de ses années UMP, ne ménage pas ses critiques envers la gauche au pouvoir et ne croit pas une seconde à la « dédiabolisation » engagée par Marine Le Pen. Interview.
Entrée au gouvernement à seulement 30 ans, Rama Yade fut tour à tour sous Nicolas Sarkozy secrétaire d’État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme, puis secrétaire d’État chargée des Sports et, pour finir, ambassadrice auprès de l’Unesco. Une expérience pas toujours très heureuse, pour ne pas dire amère, qu’elle raconte dans un livre, Carnets du pouvoir 2006-2013, publié au mois de septembre aux Éditions du Moment.
Avec son ancien mentor, elle a entretenu une relation ambiguë faite, dit-elle, d’"affection" et de "lucidité". Alors qu’elle tente aujourd’hui de rebondir politiquement, sur le plan national ou au Parlement européen, à Strasbourg, elle soutient que le gouvernement auquel elle appartenait avait tenté de répondre à la crise des banlieues de 2005 par une stratégie d’affichage. Et de résoudre des questions aussi graves que le chômage, les inégalités scolaires ou le racisme par la nomination au gouvernement de quelques personnalités issues de la diversité. Avec le succès que l’on sait.
Pour J.A., Rama Yade, qui compte aujourd’hui parmi les dix personnalités préférées des Français, revient sur toutes ces questions, mais aussi sur la montée du Front national, sur le discours de Dakar, et sur ses relations avec l’Afrique. Elle analyse enfin la politique africaine de François Hollande au lendemain du sommet de l’Élysée sur la paix et la sécurité.
>> Lire aussi : Rama yade, figure de proue de l’UDI aux élections européennes ?
Jeune afrique : Dans votre livre, vous décrivez un monde politique impitoyable. Comment tient-on le coup ?
RAMA YADE : Il faut de la ténacité et l’envie de réussir. Dans les partis se joue une compétition impitoyable. Seuls les plus résistants s’en sortent. J’ai des convictions et une vision, j’ai envie que, dans les années qui viennent, la France retrouve des perspectives. Je sais aussi qu’il y a des jeunes, des gens qui ne sont pas des professionnels de la politique et qui sont susceptibles de s’engager à nos côtés. C’est très motivant.
Avez-vous été tentée de démissionner ?
Plus que tentée. À deux reprises, j’ai présenté ma démission à Nicolas Sarkozy, qui l’a refusée. J’ai aussi eu des moments de découragement, comme en 2008, lors de la visite de Bachar al-Assad en France. J’ai essayé d’empêcher que le dictateur syrien soit invité, surtout un 14 juillet. Quand j’ai vu qu’il n’y avait plus rien à faire, j’ai tenté de faire parvenir à Nicolas Sarkozy une liste de prisonniers politiques pour qu’il essaie d’obtenir leur libération. Sans résultat. La veille, le 13 juillet, se tenait à Paris le sommet fondateur de l’Union pour la Méditerranée. J’ai passé la journée chez moi à manger des pizzas, j’étais découragée.
Est-ce la preuve que, comme le disait Bernard Kouchner, votre ministre de tutelle, la création d’un secrétariat d’État aux Droits de l’homme était une erreur ?
Non, je pense qu’il fallait le créer et le doter de moyens plus importants. À partir du moment où l’on considérait qu’il était inutile ou dangereux, on me mettait dans une situation impossible. Ce n’était pas à moi de gérer les contradictions évoquées par Kouchner entre realpolitik et droits de l’homme.
Nous avons un rôle particulier vis-à-vis de l’Histoire et du monde. J’ai été déçue de constater que certains ne partageaient pas cette conception de la politique étrangère.
Il m’est arrivé de signer des contrats commerciaux dans des pays où les droits de l’homme pourraient être mieux respectés, preuve que je ne suis pas irresponsable. Mais quand on représente la France, la voix des droits de l’homme doit être portée, pas forcément d’ailleurs par un secrétariat d’État. Nous avons un rôle particulier vis-à-vis de l’Histoire et du monde. Tous les opprimés de la terre se tournent vers la France lorsque leurs droits sont violés. J’ai été déçue de constater que certains ne partageaient pas cette conception de la politique étrangère. Tout n’est pas que cynisme, il faut aussi un peu de morale.
C’est une erreur de l’avoir supprimé ?
Je le pense, mais l’erreur fondamentale, c’est de l’avoir créé pour ensuite placer son titulaire dans une situation intenable. J’ai dû choisir entre mon travail et ma loyauté politique. J’ai fait le choix de faire mon travail et je l’ai payé cher.
N’est-ce pas Sarkozy qui porte en lui cette contradiction ? Pourtant, vous semblez l’exonérer dans votre livre…
Je ne l’exonère pas. Je pensais d’ailleurs que le livre allait choquer les sarkozistes. Cela n’a pas été le cas. Éprouver de l’affection pour le président ne doit pas dispenser de juger son action avec lucidité. C’est donc vrai que Sarkozy porte en lui cette contradiction. Mais comme tous les responsables politiques, contraints en permanence de choisir entre realpolitik et droits de l’homme. Le problème est qu’ils choisissent presque toujours la première !
Le malentendu est venu de là : je n’ai pas voulu entrer dans la case qu’ils m’avaient réservée. Celle de la diversité reconnaissante.
Êtes-vous une création de Sarkozy ?
Je n’ai pas été fabriquée par Nicolas Sarkozy ! Quand je suis arrivée au gouvernement, j’avais 30 ans, personne ne me connaissait, je n’avais pas le profil habituel. Certains ont dû penser que je devais déjà m’estimer heureuse d’être là – et me taire. Quand ils ont vu que je commençais à penser, à parler, à exprimer à l’occasion des désaccords, ils ont été surpris : j’étais une femme politique, pas un objet publicitaire. Le malentendu est venu de là : je n’ai pas voulu entrer dans la case qu’ils m’avaient réservée. Celle de la diversité reconnaissante.
Quand vous êtes-vous rendu compte qu’on cherchait à vous utiliser ?
Dès le premier jour. En 2006, quand j’ai pour la première fois rencontré des responsables de l’UMP, j’ai compris que, un an après la crise des banlieues, tout le monde, politiques, médias ou dirigeants d’entreprise, tentait dans la précipitation de rattraper plusieurs décennies de relégation de la banlieue et des minorités. J’arrive, et on s’imagine tenir une réponse à la crise. Bien entendu, ce n’était pas le cas. Pas plus qu’avec Rachida Dati ou Fadela Amara. Comment aurais-je pu régler le problème du chômage, de la ségrégation scolaire, des discriminations et du racisme ? Pour cela, l’image ne suffit pas, il faut une vraie politique, forte et durable.
Avec Nicolas Sarkozy et Abdoulaye Wade en 2007, à Dakar. © Michel Euler/AP/Sipa
Personne ne semble avoir réellement lu le fameux discours de Dakar.
Personne ne paraît non plus disposé à en prendre la responsabilité… Il n’est quand même pas normal, pour ne pas dire étrange, de ne pas lire un discours avant de le prononcer, ou, en tout cas, de ne pas avoir le recul, la connaissance de l’Afrique qui auraient permis à Nicolas Sarkozy de voir que certaines phrases posaient problème. Henri Guaino est le seul à assumer ce discours et il n’a pas hésité à ferrailler dans la presse avec des intellectuels africains. Mais il s’est trompé et il a du mal à le reconnaître.
Lors de cette visite, en 2007, j’ai vu Nicolas Sarkozy désireux de se faire apprécier des Africains, de faire la paix. Quelques mois avant son élection, quand on allait en Afrique, on était dans la période "immigration choisie", voire carrément "la France n’a pas besoin de l’Afrique" – j’en souffrais d’ailleurs beaucoup. Il ne comprenait pas que l’Afrique devenait une terre d’opportunités économiques et qu’on ne pouvait pas l’envisager uniquement sous l’angle de l’immigration. Une fois élu, il a fini par découvrir cet aspect et il est venu au Sénégal avec l’idée de se connecter positivement avec les Africains. Au fond, Dakar était une simple maladresse, même si, sur le moment, j’étais effondrée. D’ailleurs, quand, trois ans plus tard, en 2010, on m’a interrogée sur le sujet, je n’ai évidemment ni cautionné ni accepté.
Vous regrettez tout de même que le discours ait été réduit à une seule phrase : "L’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire."
Il y avait des passages intéressants marquant une volonté de rupture avec une certaine forme de paternalisme. Les notions de développement économique partagé et de relations d’égal à égal étaient novatrices. Mais tout ça est en effet passé à la trappe parce que Sarkozy a trébuché sur quelques phrases attribuées par Guaino à Léopold Sédar Senghor.
Le récent sommet Afrique-France n’est-il pas la confirmation de cette absence de rupture ? Hollande avait beaucoup promis, mais il n’a pas du tout rompu avec l’idée d’un pré carré africain. Dire : "Il faut changer la relation entre la France et l’Afrique", tout le monde l’a fait. Qu’est-ce que ça a changé ? La majorité des pays africains est entrée dans la mondialisation il y a déjà plusieurs années. Ils nouent des relations multiformes avec la Chine, la Malaisie, l’Inde, Singapour et nombre de pays émergents. Et pourtant, la France a toujours la même image paternaliste. En ce sens, Hollande fait l’inverse de ce qu’il avait promis pendant sa campagne. Il est urgent de changer concrètement les modalités de la coopération Afrique-France, de prendre conscience que ce continent aura 2 milliards d’habitants en 2050, avec une classe moyenne sur le point d’émerger et des taux de croissance supérieurs à 10 %.
J’aimerais que Hollande s’affiche aux côtés des victimes plutôt que des chefs d’État. Le Sénégal, par exemple, se débat pour faire juger l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré. Pourquoi la France n’est-elle pas à ses côtés ?
Lorsque j’étais aux affaires, les socialistes passaient leur temps à me donner des leçons en matière de droits de l’homme. Je les attends aujourd’hui sur le terrain de la justice. J’aimerais que Hollande s’affiche aux côtés des victimes plutôt que des chefs d’État. Le Sénégal, par exemple, se débat pour faire juger l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré. Pourquoi la France n’est-elle pas à ses côtés ? De même, a-t-on entendu Hollande exiger le transfèrement du Libyen Seif el-Islam Kadhafi devant la Cour pénale internationale ?
Retournez-vous souvent en Afrique ?
Pas souvent, mais régulièrement. Vous savez que j’ai au Sénégal des attaches familiales. Mais je n’ai aucun lien politique, sauf avec les militants des droits de l’homme. Je suis d’ailleurs heureuse de voir que Sidiki Kaba est devenu ministre de la Justice.
La France devient-elle raciste ? Ou l’est-elle simplement de manière plus décomplexée ?
La France n’est globalement pas raciste, mais certains s’y sentent aujourd’hui autorisés à exprimer leur racisme plus librement. Il y a une radicalisation du discours vis-à-vis des immigrés, favorisée par la prétendue dédiabolisation du Front national. D’ordinaire, j’évite de trop parler de ces sujets pour ne pas me retrouver une nouvelle fois bloquée dans la case diversité, mais il est vrai qu’une ligne rouge a été franchie avec l’affaire Taubira. On est revenus à une animalisation des Noirs. Tous les républicains devraient condamner. Maintenant, s’il suffisait de faire des meetings ou des concerts, comme Harlem Désir a pu le faire au PS, ça se saurait. La lutte contre les discriminations ne peut pas non plus se réduire à l’effacement du mot "race" de la Constitution, comme Hollande a songé à le faire. Il faut pour les banlieues une vraie politique publique prioritaire en matière de logement, d’éducation, etc. Or ce n’est pas le cas, le fait d’être de gauche ne suffit pas. Dans cette épreuve, Taubira a été d’une grande dignité. Le PS beaucoup moins.
L’UMP n’a-t-elle pas elle aussi ses brebis galeuses ?
Oui, sans doute, comme tous les partis. Le racisme n’est pas l’apanage d’un camp. Il faut y répondre par une sanction forte, rapide et sans ambiguïté. Et arrêter de croire que c’est en épousant les idées du FN qu’on réussira à s’en sortir. C’est la politique menée par l’UMP depuis 2010. Résultat : échec total. L’une des missions conférées à la droite par nos institutions est d’être un rempart contre l’extrême droite. Certains l’ont apparemment oublié. Or le Front national n’a pas changé. Je rappelle quand même qu’il y a un an, à Vienne, Marine Le Pen a participé à un bal néonazi…
L’Union des démocrates et indépendants (UDI), votre parti, est-elle une réponse à la droitisation de l’UMP ?
Elle a été conçue comme cela, oui.
Vous attachez beaucoup d’importance aux prochaines élections européennes…
Ce qui est intéressant avec ce scrutin, c’est qu’il fait partie de l’ADN de l’UDI, qui veut une confrontation frontale, assumée, avec le Front national. C’est une réponse à la crise politique que suscite la simple existence de ce parti. Il faut que, sur l’Europe, nous puissions confronter notre projet au sien.
Vous ne serez donc pas candidate aux municipales à Paris ?
Non, je ne suis pas implantée dans la capitale. Ils ont voulu m’y envoyer, mais les histoires politiciennes ont vite repris le dessus. Toutes ces négociations m’épuisent. C’est tellement boutiquier que je préfère ne pas m’en mêler. Ce qui m’intéresse, c’est davantage un mandat national. La dernière fois, j’ai essayé à Asnières, dans les Hauts-de-Seine. Ça n’a pas marché parce que l’UMP a présenté un candidat contre moi. Il faudra que j’essaie à nouveau.
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