Chine, Japon, États-Unis : le combat des trois baleines

Les différends territoriaux se multiplient et le ton monte entre ces imposants cétacés que sont la Chine, le Japon et les États-Unis. Les crevettes – Corée du Sud et pays du Sud-Est asiatique – s’en inquiètent. On les comprend.

Navires chinois et japonais, le 23 avril en mer de Chine orientale. © Kyodo Kyodo/Reuters

Navires chinois et japonais, le 23 avril en mer de Chine orientale. © Kyodo Kyodo/Reuters

Publié le 19 décembre 2013 Lecture : 4 minutes.

En annonçant le 8 décembre une extension de sa zone de défense aérienne, la Corée du Sud entendait montrer qu’elle n’avait nulle intention de s’en laisser conter par la Chine. "La crevette se rebiffe", a commenté un journaliste, dans une claire allusion à un ancien proverbe qui résume à merveille la géopolitique régionale : "Quand les baleines se battent, les crevettes trinquent." Les crevettes en question, ce sont la Corée du Sud et l’ensemble des pays de l’Asie du Sud-Est, actuellement dans le collimateur de Pékin. Et les baleines le Japon, les États-Unis et, en premier lieu, la Chine.

Une Chine qui, le 23 novembre, a unilatéralement instauré en mer de Chine orientale une "zone d’identification de la défense aérienne" (Azid) incluant l’archipel des Senkaku (Diaoyu en chinois), administré par le Japon, ainsi que l’îlot Ieodo (Suyan, en chinois), un récif rocheux sud-coréen presque entièrement immergé. Dans la pratique, tout avion traversant la zone doit désormais s’identifier auprès des autorités chinoises sous peine d’une "riposte forte et immédiate". Ordre a d’ailleurs été donné à l’armée de se tenir "prête au combat".

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"Comment peut-on s’étonner de cette décision alors que, dès les années 1950, la Corée du Sud, le Japon et Taiwan ont créé leurs propres zones d’identification, sous contrôle américain ?" s’interroge l’hebdomadaire Yazhou Woukan, à Hong Kong. "Depuis 1969, le Japon a inclus les trois quarts de la mer de Chine orientale dans sa propre Azid sans que personne ne réagisse", renchérit Le Quotidien de l’Armée populaire de libération.

En cas d’attaque, les États-Unis défendront le Japon

À Tokyo, à Séoul, mais aussi à Washington, le tollé a été immédiat. Le Pentagone a aussitôt dépêché sur place deux bombardiers B-52 qui ont consciencieusement survolé les fameux îlots. Une manière d’avertir la Chine qu’en cas d’attaque les États-Unis tiendront leur engagement de défendre le Japon. Et de rassurer les pays d’Asie du Sud-Est qu’inquiètent les visées expansionnistes chinoises – notamment en mer de Chine méridionale, où deux archipels, les Paracel et les Spratly, sont au coeur d’un grave différend territorial impliquant neuf pays. Outre la Chine : Taiwan, les Philippines, la Malaisie, Brunei, l’Indonésie, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam. Quatre-vingt-dix pour cent du commerce extérieur chinois passe, par voie maritime, par la zone Asie-Pacifique. La mer de Chine méridionale est donc pour ce pays un véritable cordon ombilical, raison pour laquelle elle a été en 2007 officiellement déclarée "zone d’intérêt vital".

Pékin ne cache nullement ses intentions : "Nous établirons d’autres zones d’identification de défense aérienne dès que nous serons prêts à le faire", a déclaré début décembre Chang Wanquan, le ministre de la Défense. Cette annonce n’est certes pas passée inaperçue aux Philippines. En raison de l’étroitesse de ses liens avec les États-Unis, ce pays se retrouve en effet en première ligne face aux provocations de la superpuissance régionale. L’extrême modicité de l’aide apportée par Pékin après le passage du typhon Haiyan, en novembre – 1,74 million de dollars (1,26 million d’euros), contre 37 millions pour les États-Unis – a été interprétée à Manille comme un avertissement. Le signe que Pékin ne connaît que les méthodes "à l’ancienne". En chinois, on appelle ça la tactique de "la persuasion et des menaces". On parlerait en français de carotte et de bâton…

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Les pays proches des États-Unis de plus en plus isolés

L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping avait laissé espérer l’établissement de relations plus constructives avec l’Asie du Sud-Est. Près d’un an plus tard, les illusions se sont dissipées, et le "rêve chinois" évoqué par le nouveau numéro un menace de tourner au cauchemar. Partenaire économique et alliée de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), la Chine récompense ses amis (Birmanie, Thaïlande) par des investissements et de juteux contrats. En revanche, les pays proches des États-Unis (Philippines, Vietnam) sont de plus en plus isolés. Plus d’autre choix pour eux que de se rapprocher de l’ancien ennemi nippon. Au grand dam de Pékin, les pays de l’Asean devraient donc présenter lors de leur prochain sommet un projet commun de protection aérienne de la zone Asie-Pacifique élaboré de concert avec les Japonais – il existe déjà des accords du même type pour la protection maritime.

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Mais si le ton monte entre Pékin, Séoul et Tokyo, on ne peut que s’interroger sur les réelles motivations de la Chine. Car, à l’évidence, celle-ci n’aurait rien à gagner dans un éventuel conflit. "Nous ne sommes plus dans une simple affaire bilatérale, estime Fumio Kishida, le ministre japonais des Affaires étrangères. Le contexte est à la fois plus global et plus inquiétant. Il concerne aussi la Corée du Sud et les États-Unis." Tel est également l’avis du Financial Times, convaincu que la Chine est en train de tester la détermination américaine. Obama ne cesse en effet de rappeler l’importance du "pivot" asiatique. Mais jusqu’où est-il prêt à aller ? Baleine chinoise contre baleine américaine, en somme.

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