Otages au Niger : Areva mis en examen pour avoir sous-estimé le risque terroriste
Selon le juge d’instruction, le géant français du nucléaire a sa part de responsabilité dans l’enlèvement de sept personnes par Al-Qaïda près de la mine d’uranium d’Arlit en 2010. Il est mis en examen pour « blessures involontaires ».
Le géant du nucléaire Areva a une part de responsabilité dans l’enlèvement, par Al-Qaïda en 2010, de sept personnes près de la mine d’uranium d’Arlit au Niger, estime un juge d’instruction antiterroriste. Devenue Orano en 2018, l’entreprise a été mise en examen lundi 31 mai en France pour « blessures involontaires » par manque de sécurité. Une information révélée ce jeudi 2 juin par l’AFP et Le Parisien-Aujourd’hui en France.
Le magistrat reproche à Areva d’avoir sous-évalué le risque d’attaques de l’organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et de ne pas avoir instauré des mesures de sécurité adaptées pour l’ensemble des salariés, selon une source proche du dossier.
Avertissements ignorés
Le juge chargé de cette information judiciaire, ouverte depuis 2013 au pôle antiterroriste, estime également qu’Areva a ignoré les avertissements concernant les défaillances du système de protection et la menace terroriste. Areva ne souhaite pas commenter sa mise en examen, a indiqué à l’AFP l’avocate du groupe, Me Marion Lambert-Barret.
Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, cinq Français – Françoise et Daniel Larribe, Pierre Legrand, Marc Feret et Thierry Dol –, un Malgache, Jean-Claude Rakotoarilalao, et un Togolais, Alex Awando, avaient été enlevés à Arlit par des hommes armés. Après cinq mois de captivité, le 25 février 2011, Françoise Larribe, malade, avait été libérée avec les salariés malgache et togolais. Les quatre derniers otages avaient été délivrés le 29 octobre 2013, après 1 139 jours de détention.
De son côté, Areva n’a pas souhaité commenter cette mise en examen, mais la source précédemment citée affirme que le groupe réfute tout manquement dans la gestion du risque, assurant que la protection des salariés était une priorité.
Sécurité défaillante
À Arlit, l’un des sites d’extraction d’uranium au Niger, Areva devait assurer la sécurité des expatriés travaillant pour le groupe, ses filiales et sous-traitants, mais chaque entité avait également des obligations de sécurité envers son personnel, s’est défendue l’entreprise. Le groupe avait signé un contrat avec Niamey prévoyant la mise à disposition des forces de sécurité nigériennes pour protéger installations minières, logements et déplacements des expatriés.
Les investigations ont toutefois révélé un manque de protection du site, où vivait environ une centaine de personnes. Le couple Larribe avait ainsi été kidnappé dans sa villa, située dans un ensemble d’habitations non clôturé. Ces lieux de vie étaient surveillés par des employés de sociétés privées qui n’étaient pas armés. Aucun système d’alerte ni base de repli n’était prévu en cas d’intrusion. Dès 2008, l’attaché de défense de l’ambassade de France avait pourtant alerté sur la sécurité défaillante du site. Des audits réalisés après le rapt ont pointé des manquements.
Pour la sécurité, Areva s’appuyait sur le commissariat et la gendarmerie d’Arlit, ainsi qu’un bataillon de 250 soldats de l’armée nigérienne stationnés à cinq kilomètres. Mais lors des kidnappings, policiers et gendarmes ne sont pas intervenus. Les forces de sécurité sont arrivées une heure et demi après. Les investigations ont révélé le manque de formation et d’équipement de ces hommes. Pour Areva, le dispositif de sécurisation élaboré était solide, mais sa mise en œuvre a été défaillante.
Plus de 40 millions d’euros de rançons
Aux négligences de sécurité s’ajoute une sous-évaluation du risque que représentait Aqmi au Niger, selon les juges d’instruction. Depuis 2009, les enlèvements d’occidentaux et les menaces contre les intérêts français s’étaient multipliés. Areva n’a pas tenu compte des avertissements, estiment les juges d’instruction.
Lors de son interrogatoire, Areva aurait confirmé avoir versé avec Vinci, l’un des sous-traitants, une rançon : 12,5 millions d’euros pour la libération des trois premiers otages ; puis 30 millions d’euros pour les quatre derniers hommes, selon la source citée plus haut. « Cette somme a permis aux terroristes d’acheter des armes pour attaquer nos militaires et poursuivre des actions particulièrement lâches, a dénoncé Me Olivier Morice, avocat de Pierre Legrand et sa famille. On est bien loin de la doctrine officielle de la France prétendant qu’aucune rançon n’est jamais versée ». « La France ne verse pas de rançon », avait répété à l’époque l’entourage du président François Hollande. Areva avait également démenti tout versement d’argent.
Avec AFP
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