Burkina : une transition « sobre » qui fait exploser le salaire de ses ministres
Malgré les explications du secrétaire général du gouvernement, les augmentations de rémunération des ministres de transition font des gorges chaudes, dans un Burkina Faso en pleine insécurité et menacé par une crise alimentaire d’ampleur…
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 5 juin 2022 Lecture : 2 minutes.
Question à un million et demi de francs CFA : que fait un régime à la légitimité approximative, récemment propulsé par la force –même dissuasive – à la tête d’un État garroté par des attaques terroristes, des poussées inflationnistes et la dégradation des services publics ? Au Burkina Faso, la junte du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a répondu, par décret, le 15 avril : la rémunération des ministres burkinabè a été augmentée de 145 % et celle du premier d’entre eux de 155 %. Un membre « subalterne » du gouvernement touche désormais 2 386 256 francs CFA (3 638 euros), sans les avantages liés à sa fonction prestigieuse. Une décision dont le « peuple » tant invoqué n’aura confirmation que quelques semaines après, par voie de presse…
70 fois le salaire minimum
Bien sûr, dans ce genre de situations peu inédites, il existe un arsenal de trompe-l’œil à mettre en sauce à grand renfort de langue de bois et de jargon financier. Et voilà le secrétaire général du gouvernement et son porte-parole à la pagaie dans les médias, défendant la nécessaire harmonisation de la rémunération des personnalités de l’administration, soulignant le caractère « statique » du précédent texte sourd à l’évolution du coût de la vie, et dénonçant même d’anciennes pratiques comme la négociation individuelle des salaires ou l’existence de « trop perçus » par d’anciens ministres.
Certes, chacun peut entendre le concept de « saine régularisation » qui peut même aller jusqu’à l’assèchement des tentations corruptives. Mais un régime arrivé sans onction électorale et sans programme préalable ne peut que faire le lit, dans l’opinion, de ce dont il abuse naturellement : le populisme.
Les réseaux sociaux font les comptes. Les ministres burkinabè gagnent chacun 70 fois le salaire minimum, quand ceux des républiques centenaires touchent une dizaine de SMIC. L’épée de Damoclès d’une crise alimentaire sahélienne jure avec la multiplication salariale de millionnaires de la Fonction publique. Début mars, Le président Damiba appelait d’ailleurs à la « sobriété » et à la « solidarité ». Solidarité ? L’augmentation qui porte à 64 millions de francs CFA la somme des émoluments de 27 personnalités gouvernementales n’aurait-elle pas pu être affectée au front qui peine à neutraliser les jihadistes ?
Indignation
À la différence des juntes guinéenne et malienne, celle du Faso peut s’enorgueillir de ne pas étouffer les débats, notamment dans les colonnes de la presse. Cette dernière n’a pas hésité à faire vibrer, sur ce dossier des salaires, la corde de l’indignation : le journal d’investigation Le Reporter dénonce le secret qui a entouré le décret du 15 avril, le bimensuel L’Événement évoque les « salaires de l’indécence » et L’économiste du Faso met ces rémunérations des personnalités de l’État en perspective avec le contexte national.
La pilule ne passe pas et un internaute rappelle qu’à « vouloir trop regarder le confort du prince, on finit par contester son trône ». Les putschistes de janvier n’ont-ils pas justifié la chute du président élu Kaboré par la contestation populaire ?
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