Cameroun : Manu Dibango, génération désenchantée

Son parcours, les errements du panafricanisme, les soubresauts du continent, sa nostalgie du Paris des années 1950… Le saxophoniste camerounais Manu Dibango se livre dans un ouvrage lucide et profond.

Manu Dibango a fêté ses 80 ans le 12 décembre. © ISSOUF SANOGO / AFP

Manu Dibango a fêté ses 80 ans le 12 décembre. © ISSOUF SANOGO / AFP

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Publié le 18 décembre 2013 Lecture : 2 minutes.

Que risque-t-on à dire enfin ce que l’on pense, quand on a atteint 80 ans, âge où les faux-semblants n’ont plus cours ? Octogénaire depuis le 12 décembre, Manu Dibango en profite pour vider son sac dans Balade en saxo dans les coulisses de ma vie (Éditions de l’Archipel), qu’il a écrit avec la complicité très prégnante de l’essayiste Gaston Kelman. Son autobiographie, Trois kilos de café, parue en 1989, nous avait fait connaître l’homme. Oh, pas sa grande carcasse, son crâne dégarni, son rire si particulier, ses sempiternelles lunettes teintées… Mais l’histoire de ce fils de fonctionnaire protestant, envoyé en France dans les années 1950 pour réaliser les rêves de la famille. Alors que son père l’attendait au pays avec une "valisette de diplômes", il l’a revu au Congo-Léopoldville (actuelle RD Congo), où, baccalauréat en poche, le baladin qu’il était devenu avait marché sur les traces de son maître, le Congolais Joseph Kabasele. Puis ce fut la Côte d’Ivoire, le Nigeria, la Belgique, le Bénin, le Togo…

Ce nouveau livre revient sur ce parcours mais, cette fois, avec une profondeur et une lucidité saisissantes, non dénuées d’une pointe d’amertume, telle la chronique désenchantée d’un optimiste déçu. Le panafricanisme ? "J’ai passé ma vie à courir derrière des constructions éphémères qui célébraient une construction africaine qui n’existait pas, reconnaît-il. J’ai été invité un nombre incalculable de fois à jouer lors des sommets de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). J’ai vu la misère matérielle dont souffrait cette institution, qui n’a jamais eu les moyens de me faire venir avec mon orchestre. Je devais constituer chaque fois un nouvel orchestre avec les musiciens locaux, dont souvent aucun ne savait lire une partition."

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Une époque où la culture n’avait pas de couleur

Unité africaine chimérique, mais aussi incapacité du continent à se prendre en charge : "J’ai connu les crises rwandaises, congolaises, tchadiennes. Les solutions venaient toujours de l’étranger", déplore-t-il. Et que dire des complexités du continent ! "Dans les années 1980, raconte-t-il, j’ai porté mon saxo au secours de l’Éthiopie. J’ai rassemblé des musiciens et créé une vraie dynamique au secours d’une nation africaine éprouvée. Quand nous sommes allés les voir avec l’argent récolté grâce au disque que nous ­avions réalisé pour leur venir en aide, j’ai cru voir dans les yeux de ces pauvres diables agglutinés dans des camps de réfugiés que c’était la première fois que des Noirs se portaient à leur secours. Mais j’ai aussi cru voir que cela ne leur faisait pas particulièrement plaisir. Seigneur ! Se faire aider par des Bantous quand on est descendant en ligne directe de Salomon et de la reine de Saba et qu’on n’a jamais été colonisé ! On est tombé bien bas !"

Le musicien garde la nostalgie d’une époque où la culture semblait ne pas avoir de couleur, où Paris était la capitale de l’élite noire américaine, où Miles Davis et Juliette Gréco pouvaient vivre une histoire d’amour qui leur aurait valu des ennuis outre-Atlantique, Paris qui a enfanté la négritude, la renaissance africaine et d’autres idées qui imprégnaient l’atmosphère à Saint-Germain-des-Prés… "Aujourd’hui, m’astreignant à une analyse comparative entre ces années et la période actuelle, je me rends compte à quel point les choses sont difficiles…"

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