C’était Mandela…

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 20 décembre 2013 Lecture : 5 minutes.

Né en 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale, le plus illustre des Africains, Nelson Mandela, est mort dans la soirée du 5 décembre 2013, à l’âge de 95 ans. Les dix jours écoulés depuis son décès ont été marqués par un hommage planétaire, dont les médias du monde entier ont largement rendu compte.

Ce qui a été dit et écrit sur cet homme hors normes que Barack Obama a qualifié de "géant de l’Histoire" lui donne sa juste place.

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Et m’inspire les observations que je vous livre ci-dessous.

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1) Appelé à faire l’éloge posthume du premier président d’une Afrique du Sud libérée de l’apartheid, le premier président noir des États-Unis a rédigé lui-même une oraison empreinte d’une contagieuse sincérité qui restera, à mon avis, comme son meilleur discours.

Remerciant les Sud-Africains de "partager Nelson Mandela avec nous", il situe celui-ci, d’emblée, comme "le dernier des grands libérateurs du XXe siècle". Il rappelle que Mandela est entré en prison du temps de John F. Kennedy et de Nikita Khrouchtchev pour n’en sortir qu’à la fin de la guerre froide, souriant et serein, auréolé du statut d’icône mondiale, mais ne cachant ni ses doutes ni ses craintes, et proclamant : "Je ne suis pas un saint, à moins que vous ne pensiez qu’un saint est un pécheur qui s’efforce de s’améliorer."

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"Ce qu’il a réussi aurait pu échouer, ajoute Obama. Mais il a maîtrisé ses colères, montré que le pouvoir de l’action et des idées était sans limite : cela paraît impossible jusqu’à ce que quelqu’un le fasse !

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"Il a pris des risques pour réaliser nos idéaux et n’a pas craint de faire des compromis.

"Avant nous tous, Mandela a discerné ce lien mystérieux, invisible à l’oeil nu, qui fait que l’Humanité est une. C’est ce qui lui a permis de libérer dans le même temps et les prisonniers et leurs geôliers : "Si vous voulez que les autres aient confiance en vous, il faut que vous leur montriez que vous avez confiance en eux", nous a enseigné Mandela.

"Mandela n’a pas seulement changé des lois et un système ; il a modifié ce qu’il y a dans les coeurs."

Barack Obama a conclu : "Chacun de nous doit se poser la question : "Ai-je bien retenu et appliqué dans ma vie les leçons de Madiba ?" Moi-même, en tant que président et en tant qu’homme, je me pose la question… 

"Mandela a été le maître de son destin, le capitaine de son âme.

"Nous ne verrons plus quelqu’un de sa stature. Son exemple est trop élevé, mais il donne à chacun de nous la volonté de s’améliorer."

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2) Les chefs d’État (ou de gouvernement) de la quasi-totalité des pays africains ont fait le déplacement pour assister aux obsèques de Nelson Mandela. À eux plus particulièrement s’adresse ce reproche que Barack Obama a sciemment inclus dans son oraison.

"Ils sont trop nombreux ceux qui admirent Mandela et approuvent son action mais, chez eux, s’opposent à toute réforme qui pourrait faire reculer la pauvreté et les inégalités. On ne peut pas clamer sa solidarité avec la lutte de Mandela pour la liberté et, chez soi, réprimer toute opposition. C’est de l’autocomplaisance ou du cynisme."

Dit avec moins de diplomatie, cela donne ce paradoxe : les Africains sont légitimement fiers que leur continent ait produit un si grand homme, sans équivalent dans le monde, peut-être le dernier de l’Histoire.

Mais ils constatent, non sans malaise, que son exemple est encore moins suivi en Afrique que sur les autres continents : ce Mandela qui incarne mieux que tout autre "le combat du bien contre le mal" n’est pas prophète dans son continent. Ni même dans son pays, où le troisième président postapartheid, Jacob Zuma, donne l’impression de n’avoir rien retenu de l’enseignement de Madiba.

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3) On a beaucoup écrit de Nelson Mandela qu’il a été un nouveau Mahatma Gandhi. Ses propres dénégations n’ont pas eu raison de cette légende qui en fait l’homme de la non-violence.

Ayant étudié de près sa vie et son action, je pense, au contraire, que son génie a été dans l’adaptation : il a conquis nos coeurs et gagné notre admiration parce qu’il a su trouver, à chacune des grandes étapes de sa longue vie, l’attitude la plus juste.

Lorsqu’il a combattu l’apartheid et son extrême dureté, il n’a pas exclu l’action violente et l’a même prônée. À ce titre, il se distingue du Mahatma Gandhi. Lorsqu’il a été emprisonné, il lui a fallu trouver les moyens de tenir physiquement et spirituellement – vingt-sept ans ! -, de se faire respecter par ses geôliers : "Vous gagnerez si vous en rêvez et n’abandonnez jamais", a-t-il dit.

Dans la phase de la négociation, sa doctrine a été : "La paix ne se réalise que si celui ou celle qui la veut y croit de toute son âme." Et "Qui veut faire la paix doit savoir faire des compromis. Et accepter d’en faire."

Quant à sa théorie la mieux connue, qui lui a permis d’accéder au pouvoir et de l’exercer – respect de l’adversaire-interlocuteur, nécessité de pardonner l’offense pour aboutir à la réconciliation -, il l’a formulée ainsi : "L’une des choses les plus importantes que j’ai apprises en négociant la paix est que si je ne me changeais pas moi-même, je ne pouvais pas changer mes interlocuteurs.

Car ils sont des êtres humains comme moi ; avec leur passé, leurs mythes, leurs blessures, leur soif de dignité."

C’est parce qu’il a su s’adapter sans jamais trahir son idéal que Nelson Mandela a pu être qualifié de "géant de l’Histoire" par un Barack Obama qui s’est présenté, modestement, comme son disciple.

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Je terminerai cet "Adieu à Mandela" que j’ai voulu sobre en rappelant ceci aux jeunes générations : l’odieux système de l’apartheid, avatar de l’esclavage et du fascisme, a été traité avec ménagement et compréhension, voire soutenu pendant de longues décennies par les démocraties occidentales : la France, jusqu’à l’arrivée de François Mitterrand en 1981, les États-Unis jusqu’à Reagan inclus, le Royaume-Uni jusqu’au bout, puisque son Premier ministre, Margaret Thatcher, s’est déshonorée en s’opposant à la libération de Mandela !

Israël ? Sa collaboration politique, militaire et nucléaire avec ce régime – frère du régime nazi ! – est l’une des taches qu’il peine à faire oublier.

L’ANC de Nelson Mandela qui combattait l’apartheid a été aidé par la plupart des pays africains nouvellement indépendants, au sud comme au nord du Sahara. L’URSS, Cuba et le camp communiste dans son ensemble l’ont également soutenu.

À la chute du mur de Berlin, en 1989, ayant gagné la guerre froide, les Occidentaux se sont enfin résolus à abandonner l’apartheid à son sort.

Privé de leur soutien, il s’est effondré en moins de cent jours…

>> Lire aussi : Jeune Afrique rend hommage à Nelson Mandela

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