Satisfecit et interrogations

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  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 20 décembre 2013 Lecture : 2 minutes.

Vous ne connaissez peut-être pas Cape Coast. C’est une petite ville de 169 894 habitants, si je m’en tiens au recensement de 2011, à environ 170 km au sud-ouest d’Accra, capitale du Ghana. Cette ville côtière est surtout la capitale de la province du Centre, même si, soit dit entre nous, cette région est plutôt… méridionale. Tous ceux qui arrivent à Cape Coast visitent prioritairement son château, construit au XVe siècle, où se sont croisés les destins des autochtones, des Néerlandais, des Suédois, des Britanniques et des Portugais. Bien entendu, ce fut l’un des hauts lieux de la traite négrière. Je n’ai pas échappé à cette visite, effectuée la gorge serrée, essayant de m’imaginer les souffrances de mes semblables.

Aujourd’hui, Cape Coast n’est bien sûr plus un port négrier. Il abrite l’une des universités les mieux organisées du continent. La bibliothèque contient des dizaines de milliers de livres bien répertoriés, avec une gestion informatisée. Cela permet aux étudiants d’enrichir leurs connaissances et de bien préparer leurs cours. Or, dans d’autres pays, les professeurs vendent à prix d’or des polycopiés qui ne sont pas le fruit de leurs recherches et refusent de corriger tout travail provenant d’un étudiant qui n’a rien acheté, profitant ainsi, en toute illégalité, du manque criant de livres dans la grande majorité des "bibliothèques" universitaires.

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Autre grande surprise, l’université de Cape Coast offre à tous les étudiants, valides ou invalides, de préparer leurs diplômes sans encombre. Tel est le cas des aveugles. Grâce à des équipements performants, il leur est possible de suivre les cours normalement. Et quand arrive la période des examens, ils sont autorisés, en se servant du matériel qui leur est destiné, à terminer les épreuves deux heures après leurs condisciples. Si vous connaissez une autre université du continent qui fonctionne de cette façon, tenez-moi au courant.

Après cet émerveillement, retour à Accra. Me voilà au mausolée Kwame-Nkrumah. À l’accueil, je découvre que le billet d’entrée coûte plus cher pour les étrangers que pour les Ghanéens. Étrange ! Mais cela n’est rien par rapport à la véritable raison de ma visite : savoir qui a construit le mausolée, immortalisé Nkrumah dans le bronze. Et j’apprends, de la bouche du préposé au musée, ce que je redoutais : "Le mausolée a été construit sous Jerry Rawlings. C’est un don de la Chine, qui a tout réalisé." Je suis abattu. Comment peut-on être si bon à Cape Coast et si mauvais à Accra ?

Allez à Kinshasa, Dakar, Brazzaville, Bujumbura ou ailleurs. Vous verrez que tout ce qui a été érigé pour honorer la mémoire des nôtres est l’oeuvre soit des Chinois, soit des Nord-Coréens. Or un monument national, avec sa dimension historique, est une oeuvre d’art dont l’exécution doit être confiée aux artistes du pays. Qui décide, donc, de laisser aux Chinois et aux Nord-Coréens le soin d’écrire des pages de notre propre histoire ? N’y a-t-il pas de sculpteur du terroir à Brazzaville, Kinshasa, Bujumbura ou Accra ? S’il y en a, pourquoi ne fait-on pas appel à eux afin que, demain et après-demain, les enfants des enfants de nos enfants lisent leurs noms sur les monuments ? Aliénation, quand tu nous tiens… 

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