Centrafrique : les choix hasardeux de Faustin-Archange Touadéra

Le bitcoin comme monnaie officielle au côté du F CFA, les mercenaires de Wagner comme réponse au défi sécuritaire… Rien ne semble arrêter le président qui continue d’évoluer sans stratégie, confiant en sa seule bonne étoile, selon Adrien Poussou, ancien ministre et opposant au régime.

Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadèra, à Lyon, le 10 octobre 2019 © Nicolas Liponne / Nur Photo via AFP

Adrien Possou
  • Adrien Poussou

    Ancien ministre centrafricain de la Communication et expert en géopolitique.

Publié le 10 juin 2022 Lecture : 4 minutes.

« Si vous voyez un banquier suisse sauter d’une fenêtre, sautez derrière lui. Il y a sûrement de l’argent à gagner », disait François-Marie Arouet, plus connu sous le nom de Voltaire. Ce n’est nullement ignorer cette recommandation que de se montrer circonspect devant les choix de l’actuel chef de l’État centrafricain. Hormis le fait que Faustin-Archange Touadéra ne soit pas un banquier suisse, le véritable problème est moins celui, anecdotique, de l’adhésion aveugle à toutes ses thèses, que celui, essentiel, de la compréhension et de l’explication de certaines de ses décisions, lesquelles semblent parfois défier toute logique, alors même que la Centrafrique est engluée dans une crise protéiforme.

Incompétence et embrouillamini

En faisant du bitcoin une monnaie officielle au côté du F CFA, le numéro un centrafricain n’a pas mesuré la gravité de ce choix et son impact sur l’ensemble des économies de la sous-région. Tout au plus, croyait-il que la technologie des cryptomonnaies était identique à celle utilisée pour les transactions mobile money, comme l’a expliqué, avec candeur, l’un de ses ministres. Pis, personne dans son entourage n’a jugé utile de lui rappeler certaines règles de bonne conduite imposées par l’Union monétaire de l’Afrique centrale à laquelle la République centrafricaine a aliéné sa souveraineté monétaire, faisant du F CFA la seule monnaie de référence dans la zone Cémac. Sinon, il aurait pu s’apercevoir que la pilule aurait du mal à passer auprès de la Banque centrale des États de l’Afrique centrale (Béac) et de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac), qui n’ont pas tardé à s’insurger contre cette décision. En tout cas, sur cette adoption de la cryptomonnaie, l’incompétence de certains de ses ministres a troublé son message et consacré l’embrouillamini.

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De même que Faustin-Archange Touadera n’a pas prévu que le recours aux mercenaires russes de Wagner – qui montrent au fil des jours un niveau de bestialité jamais atteint dans le pays – pouvait entraîner la suspension de l’aide internationale, notamment les contributions du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, deux institutions qui ne sauraient se faire complices d’une chevauchée effrénée vers la barbarie et d’un savoir-faire inégalé dans la cruauté. Le problème, c’est que le budget de fonctionnement de la République centrafricaine dépend presque entièrement de l’aide internationale, tant bilatérale que multinationale, assujettie au respect scrupuleux de certains principes éthiques et moraux.

Situation sécuritaire dégradée

C’est dans ce contexte explosif – où la situation sécuritaire s’est dangereusement dégradée, où l’on assiste à la reprise des affrontements de forte intensité opposant les troupes gouvernementales appuyées par Wagner aux groupes armés (avec des pans entiers du territoire centrafricain enregistrant des accrochages meurtriers), où les effets de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont entrainé une inflation galopante et la pénurie des produits de première nécessité tels que l’essence ou la farine de blé – que le président centrafricain a cédé aux sirènes de son entourage. Il s’est engagé sur la voie sans issue de la modification constitutionnelle, censée lui permettre de se maintenir au pouvoir. Une démarche crisogène qui fait l’unanimité contre elle, suscitant l’ire des leaders de l’opposition, lesquels ont juré de l’en empêcher par tous les moyens.

La vérité, c’est que le locataire du palais de la Renaissance est un intuitif qui vogue et évolue sans stratégie. La seule certitude qu’il a, c’est sa bonne étoile. Si, en 2015, il a été candidat à la fois à l’élection présidentielle et aux législatives, c’est parce qu’il espérait être élu député de la ville de Damara. Mais, contre toute attente, il fut déclaré vainqueur de la présidentielle. Voilà pourquoi il croit dur comme fer à la ruse et à la baraka, assuré que tout s’achète, y compris le silence de ses opposants.

« Tous détestent le président… »

Seulement, l’intuition et la bonne étoile d’un président ne suffisent pas à faire une politique ou à faire bouillir la marmite de ses concitoyens, même si ses laudateurs sont convaincus du contraire. Malheureusement, cette attitude est à l’image de celle de la plupart des hommes politiques centrafricains, abonnés aux stratégies de courte vue et persuadés que le salut de la Centrafrique viendra de l’étranger. De nombreux membres de l’élite nationale se croient toujours obligés de se prévaloir de leurs prétendues relations à l’étranger comme d’un gage de légitimité ou d’un brevet de compétence leur conférant le droit, plus qu’à tout autre citoyen, de conduire la destinée du pays. « Tous détestent le président en place jusqu’à ce qu’il leur donne de quoi manger. Or, la haine d’un président, avec ses limites, ne constitue pas une alternative crédible », avance un connaisseur du marigot politique centrafricain, dont Faustin-Archange Touadera est un pur produit.

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Une chose est cependant certaine : il n’y aura jamais de progrès possible en Centrafrique sans une claire conscience de ses élites de leur propre responsabilité, à tous les niveaux, du plus petit au plus grand. Aucun pays au monde ne s’est développé en déléguant sa gestion quotidienne ou en sous-traitant sa souveraineté à des puissances étrangères. À la tête d’un pays qui est le ventre mou d’une région en proie à l’instabilité chronique et traversée par de fortes turbulences, le chef de l’exécutif centrafricain ferait mieux d’être plutôt rationnel qu’instinctif. La baraka ne fait pas tout !

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