Afrique-France : retour sur un sommet de crises

Dès l’ouverture de l’événement, deux ombres ont plané sur l’Élysée. Celle de Mandela, symbole d’union, disparu le 5 décembre. Et celle de la Centrafrique, emportée dans une spirale de violence. Vous avez dit « paix et sécurité » ?

À l’Élysée, le 6 décembre. © Camille Millerand pour J.A.

À l’Élysée, le 6 décembre. © Camille Millerand pour J.A.

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Publié le 14 décembre 2013 Lecture : 7 minutes.

Les organisateurs du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique avaient prévu une seule cérémonie d’ouverture, le 6 décembre. Il y en a finalement eu une seconde, imposée par le décès, la veille au soir, de Nelson Mandela. Dans la cour d’honneur de la présidence, tout a donc été réaménagé en signe de deuil : drapeau français mis en berne et protocole allégé. Après un émouvant hommage à la figure de la lutte antiapartheid, le président François Hollande a fait observer une longue minute de silence à la mémoire de Madiba.

L’Élysée avait, quoi qu’il en soit, prévu de donner à ce sommet une tonalité différente. Depuis huit mois, tout a été fait pour convaincre les Africains qu’ils n’assisteraient pas à une énième grand-messe "néocoloniale". La très forte participation de pays anglophones, toujours très sourcilleux dans leurs relations avec Londres, atteste que ce travail de persuasion a porté ses fruits. De l’Ougandais Yoweri Museveni au Namibien Hifikepunye Pohamba, en passant par le Sierra-Léonais Ernest Bai Koroma, le Nigérian Goodluck Jonathan, le Tanzanien Jakaya Kikwete et le Sud-Soudanais Salva Kiir, les anglophones ont presque ravi la vedette aux francophones. Même le Gambien Yahya Jammeh, qui vient pourtant de quitter le Commonwealth en dénonçant son caractère colonial, n’a pas pu décliner l’invitation du président Hollande à venir discuter à Paris de la paix, de la sécurité, de la lutte contre les changements climatiques ou du renouveau du partenariat franco-africain.

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Côté francophone, les habitués tels que le Burkinabè Blaise Compaoré, le Togolais Faure Gnassingbé, le Congolais Denis Sassou Nguesso, le Gabonais Ali Bongo Ondimba, le Sénégalais Macky Sall ou le Nigérien Mahamadou Issoufou, n’ont pas manqué à l’appel. Mais la présence, habituellement plus rare, du Camerounais Paul Biya et du Congolais Joseph Kabila n’est pas passée inaperçue.

Pour son premier sommet Afrique-France, François Hollande a tenu à donner à ses pairs des gages de rupture avec le passé. Il a descendu les marches du perron de l’Élysée pour les accueillir, trouvant des mots personnels pour chacun d’eux. "Mon cher Abdelmalek, vous connaissez bien la maison, vous êtes chez vous", a-t-il lancé au Premier ministre algérien après une accolade chaleureuse. "Merci d’être venu, en espérant que Madagascar va connaître prochainement la paix et la prospérité", à l’adresse de Jean Omer Beriziky, le Premier ministre malgache. Le Nigérian Goodluck Jonathan a, lui, été salué d’une tape amicale sur l’épaule accompagnée d’un "Thank you, Mister President". D’autres, comme l’Ivoirien Alassane Ouattara et le Guinéen Alpha Condé, ont eu droit à de longues embrassades.

Feu vert de l’ONU pour l’opération Sangaris

Sur le fond aussi, ce sommet a marqué un changement. Quittant l’Élysée à bord d’un autobus, les chefs d’État se sont retrouvés au Centre de conférence ministériel, une annexe du Quai d’Orsay, pour entamer trois tables rondes à huis clos. La première, consacrée à la création de la Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (Caric), a été dominée par la situation en Centrafrique. Le président Hollande et Nicolas Tiangaye, le Premier ministre centrafricain, ont eu à ce sujet un long aparté. Puis le dirigeant français a justifié devant ses homologues le lancement de l’opération Sangaris, rappelant qu’elle avait reçu, la veille, le feu vert de l’ONU à travers la résolution 2127 du Conseil de sécurité. Il a en outre insisté sur le soutien de l’Union africaine (UA) à cette intervention militaire forte de près de 1 200 hommes. Un minisommet sur la situation qui prévaut en Centrafrique s’est tenu le samedi 7 décembre dans l’après-midi à Paris, en présence de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, de Haïlemariam Desalegn, le Premier ministre éthiopien et président en exercice de l’UA, et des représentants des pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac).

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En dépit de la caution de l’ONU et de l’UA, la France ne souhaite plus avoir à répéter les interventions du type de celle qu’elle a menée en janvier au Mali et de celle qu’elle lance aujourd’hui en Centrafrique. "Les temps ont changé, les rapports entre la France et l’Afrique ne peuvent plus être ce qu’ils ont été", a averti François Hollande. L’un des principaux enjeux de ce sommet était d’ailleurs de doter l’Afrique d’une force capable de se déployer en vingt-quatre heures sur n’importe quel théâtre d’opération du continent. Le président Hollande a proposé de former chaque année 20 000 soldats africains et de conduire des exercices communs avec les armées. Cet appui à la formation devrait être doublé d’une aide en équipement et d’une assistance en matière de renseignement.


Ambiance décontractée après la photo de famille, le 6 décembre.
© Camille Millerand pour J.A.

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Des contrats remportés par la France en Afrique du sud

"C’est aux Africains d’assurer la sécurité de leur continent", a insisté le président français, qui compte mobiliser l’Europe et les Nations unies pour les y aider. Certaines conclusions de ce sommet seront ainsi présentées au prochain Conseil européen, consacré aux questions de défense, qui doit se tenir à Bruxelles les 19 et 20 décembre. La France a d’ores et déjà obtenu que le budget de la Facilité européenne de sécurité, qui finance la force africaine en Somalie (Amisom), soit porté de 200 à 300 millions d’euros par an.

Les autorités françaises se sont par ailleurs engagées à porter les conclusions de la table ronde sur les changements climatiques à la Conférence Paris Climat (COP21), qui sera organisée en 2015 dans leur pays. Les Africains, pour leur part, entendent poursuivre les discussions sur les questions abordées à Paris lors du prochain sommet de l’UA, du 24 au 31 janvier prochain à Addis-Abeba.

Signe indiscutable de l’évolution des relations entre la France et l’Afrique, les deux derniers plus gros contrats commerciaux remportés par des sociétés françaises sur le continent ne l’ont pas été dans un pays de l’ancien pré carré. Mais en Afrique du Sud, où Alstom et GDF ont conclu chacun un contrat, de 4,5 milliards d’euros pour le premier et de 1,5 milliard d’euros pour le second. Les Français assument ce changement de paradigme, les Africains le comprennent. Tous sont conscients que si le changement ne se produit pas maintenant et d’un commun accord, il s’imposera plus tard, sous la pression de ces nouveaux acteurs que sont la Chine, l’Inde et le Brésil.

Côté coulisses

Mignons petits noms

Fini les noms guerriers (Bouledogue, Barracuda, Requin…), place aux spécimens de la flore (Amaryllis) ou de la faune locales, comme Antilope, Serval, Épervier ou Sangaris (ce papillon de Centrafrique a été choisi par le président François Hollande et Jean-Yves Le Drian, son ministre de la Défense). Depuis les années 1990, le Centre de planification et de conduite des opérations, chargé de proposer au chef de l’exécutif le nom des opérations françaises en Afrique (43 au total depuis 1961) a été prié d’opter pour des mascottes plus avenantes aux yeux de l’opinion. On fait parler les armes, mais en douceur…

Faure prie pour Arthème

Deuxième voyage en France en un mois pour Faure Gnassingbé alors que le Premier ministre togolais, Arthème Kwesi Séléagodji Ahoomey-Zunu, lutte toujours contre une péritonite avec complications cardiaques à l’Hôpital américain de Neuilly, près de Paris. Le président, qui a demandé aux chefs religieux de prier pour lui, a choisi Adji Otéth Ayassor, son ministre des Finances, pour assurer l’intérim.

Chefs sans hôtel

Déclinant les hôtels mis à leur disposition par la France, certains présidents ont préféré loger dans une résidence d’État, comme Macky Sall à la résidence de l’ambassadeur du Sénégal, rue Vineuse (16e arrondissement de Paris), ou à leur propre domicile, comme le Burkinabè Blaise Compaoré à Sèvres (près de Paris), le Djiboutien Ismaïl Omar Guelleh et Alassane Ouattara, respectivement avenue Henri-Martin et avenue Victor-Hugo, dans le 16e.

Rififi en Tunisie

Ils devaient faire partie de la délégation du président tunisien Moncef Marzouki. Mais, au dernier moment, Lotfi Ben Jeddou et Rachid Sabbagh, les ministres de l’Intérieur et de la Défense, ont annulé leur voyage. Aucune raison officielle n’a été donnée pour expliquer ce faux bond. Selon plusieurs sources, ils auraient préféré rester à Tunis en raison de la situation politique complexe que traverse le pays.

Derniers massacres avant l’intervention

La brusque dégradation de la situation sécuritaire en Centrafrique a précipité le début de l’intervention française. Initialement, l’opération Sangaris devait commencer le 8 décembre, au lendemain du sommet de l’Élysée, Paris souhaitant faire de cet événement une sorte de "trêve". Le général Francisco Soriano devait ainsi rejoindre les troupes prépositionnées au Cameroun le 6, avant que ces dernières ne traversent la frontière centrafricaine, le lendemain soir, pour se déployer sur le terrain. Il était plus que temps. Le contingent français déjà présent à Bangui n’a en effet pas été en mesure d’empêcher des règlements de comptes intercommunautaires d’ensanglanter des quartiers populaires de la capitale, les 5 et 6 décembre, faisant plus d’une centaine de morts.

Infographie Elena Blum pour J.A.

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