La France revient

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 13 décembre 2013 Lecture : 3 minutes.

En décembre de chaque année, notre confrère The Economist publie un document de plus de cent pages dans lequel il présente ses prévisions économiques mondiales pour l’année suivante. Son "Monde en 2014" vient de paraître en anglais avec, entre autres projections, une carte de la croissance économique que je reproduis ci-dessous. Vous y verrez qu’en 2014 le sud de la planète – Afrique subsaharienne, Asie (Japon excepté) et Australie – connaîtra une croissance supérieure à 5 % ; les Amériques (Nord, Centre et Sud) et l’Europe de l’Est verront la progression de leur PIB se situer entre 2 % et 4 % ; l’Europe occidentale et le Japon fermeront la marche avec une croissance inférieure à 2 %.

Un second graphique, que nous empruntons également à notre confrère montre que les principaux pays industrialisés ont le plus grand mal à sortir de la crise qui les a frappés en 2008, il y a cinq ans.

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La carte et le graphique ci-dessous éclairent parfaitement ce dont on nous a beaucoup parlé ces derniers jours et les manifestations qu’il nous a été donné de voir : conférence économique à Bercy "pour un nouveau partenariat entre l’Afrique et la France", "sommet de l’Élysée sur la paix et la sécurité en Afrique".

La France de François Hollande a pris conscience de l’émergence du continent africain. Pour aider à y assurer la sécurité, elle a déjà, hier au Mali, aujourd’hui en Centrafrique, montré ce dont étaient capables ses armées (dont des éléments étaient prépositionnés en Afrique). Et, à la veille de 2014, elle annonce qu’elle a pris la décision stratégique de renouer politiquement et économiquement avec un continent auquel, depuis peu, les augures promettent un bel avenir.

Ce faisant, elle annule une autre décision stratégique prise il y a près de vingt ans par Édouard Balladur et qui s’est révélée malencontreuse. Premier ministre de cohabitation entre mars 1993 et mai 1995, ce pragmatique avait alors jugé que le cas de l’Afrique était sans espoir et conclu qu’il était de l’intérêt de la France de se décharger de ce fardeau devenu trop lourd.

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Il confia l’ex-Sud-Sahara français à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI) et fut tout heureux de "s’en laver les mains".

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Un autre Premier ministre de cohabitation, le socialiste Lionel Jospin, abondera dans le même sens : en 1998, il supprimera le ministère de la Coopération.

La droite et la gauche françaises ont donc successivement estimé que les débouchés offerts par l’Afrique aux exportateurs de l’Hexagone et le supplément de puissance que Paris en retirait sur le plan diplomatique n’en valaient plus la peine.

En appliquant à la lettre la phrase du général de Gaulle selon laquelle "un État n’a pas d’amis, seulement des intérêts", elles ont, sans état d’âme, "largué" l’Afrique.

La France, ses banques, ses entreprises et ses meilleurs cadres se tournèrent vers l’Europe et, peu à peu, se perdit le savoir-faire africain, apanage de la France : ce dont on ne se sert plus s’atrophie avant de disparaître.

Quant aux Africains, hommes d’affaires et étudiants compris, ils virent se fermer les portes d’entrée en France et se multiplier "les refus de visa".

Ils prirent l’habitude de regarder ailleurs et, progressivement, trouvèrent des pays plus accueillants.

La nature ayant horreur du vide, celui laissé par le retrait de la France, de l’Europe et du Japon fut comblé par la Chine : en vingt ans, ses parts du marché africain passèrent de 2 % à 16 %. À sa suite sont arrivés sur le continent tour à tour les grands pays émergents : Inde, Brésil, Corée du Sud, Turquie, Malaisie.

Le continent africain a cessé, au fil des ans, d’être seulement un "scandale géologique" : la richesse du sous-sol reste son atout maître, mais s’il attire plus de capitaux c’est aussi parce qu’il se dote d’infra­structures qui lui faisaient défaut et a entrepris de s’industrialiser.

Alors ceux qui en étaient partis il y a vingt ans pensent qu’ils ont eu tort et trouvent convenance à revenir.

C’est là un très bon signe. Oubliant qu’ils avaient été "largués", se souvenant à leur tour que "les États n’ont pas d’amis, seulement des intérêts", les Africains doivent savoir qu’il est de leur intérêt de les bien accueillir : plus ceux qui s’intéressent à leur continent seront nombreux, mieux ce sera pour les Africains.

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