Design : les petits génies de l’African touch
Bois, métal, feutrine, acier… Tous les matériaux sont bons pour les créateurs du continent. Résultat : des oeuvres originales et innovantes, qui inspirent les grandes marques occidentales en quête de renouveau.
Formés dans une tradition artisanale et/ou diplômés d’écoles européennes prestigieuses, les designers du continent mixent les références culturelles et croisent leurs expériences. Résultat : des créations originales qui recourent aussi bien à la récup qu’aux matériaux nobles et qui séduisent un public de plus en plus large, notamment les grandes marques occidentales, qui font dorénavant appel aux talents africains pour renouveler leurs collections. Au-delà de l’esthétique, le design, c’est de l’innovation. Là encore, les acteurs du continent ont des idées à revendre même si les structures locales ne permettent que très rarement de les réaliser sur place. Le prochain défi à relever est sans conteste celui de parvenir à un design industriel made in Africa.
"Designed in Benin, produced in France"
Touche-à-tout talentueux, Kossi Aguessy marie les perspectives et fusionne les expériences. Ce Togolo-Brésilien de 36 ans a grandi à New York et a été formé au prestigieux Central Saint Martins College of Art and Design (où sont passés avant lui John Galliano, Alexander McQueen, Stella McCartney…). Un parcours qui lui a permis d’associer diverses références culturelles dans ses créations originales et qui l’a conduit à réinventer les standards africains. Ainsi a-t-il proposé un masque aux formes et aux couleurs pop et au matériau (porcelaine) bousculant les codes. Lors du prochain Salon international du meuble de Milan, en avril 2014, il proposera dans la même veine une chaise de gardien totalement relookée et avec une assise confortable pour une marque mondialement connue pour ses tabourets Tam Tam.
En 2012, sollicité par le Centre Georges-Pompidou, il a pu organiser au Bénin, avec le soutien de la Fondation Zinsou et du centre Songhaï de Porto-Novo, un Fab Lab (laboratoire de fabrication) où, "grâce au numérique, explique l’ancien collaborateur de Philippe Starck, [il a] optimisé les techniques artisanales pour avoir un rendu irréprochable". Il a ainsi créé des pièces qui ont intégré les collections du Centre Pompidou, à l’instar du fauteuil Jord "designed in Benin, produced in France".
Inspiré d’une technique traditionnelle béninoise, ce siège est composé de tranches de chêne découpées au laser et assemblées les unes aux autres. La finition est le fruit du travail de la maison Rinck, spécialisée dans l’ébénisterie d’art. Aujourd’hui, Kossi Aguessy souhaite développer sa propre marque avec des produits recourant aux énergies renouvelables et utiles au développement du continent. "On pourrait imaginer qu’une lampe fonctionnant à l’énergie solaire serve également de relais pour la téléphonie mobile dans des zones reculées", s’enthousiasme-t-il. Un projet qu’il espère concrétiser fin 2014.
Fauteuil JORD en chêne. © DR
À l’orientale
Les Marocains ne le savent sans doute pas mais nombre d’entre eux achètent régulièrement du Hicham Lahlou ! C’est à lui que l’on doit le nouveau visage de la bouteille en verre de l’eau de source Aïn Soltane. À Rabat, Casablanca et Agadir, le mobilier urbain – notamment les Abribus – porte également sa signature. À 40 ans, Hicham Lahlou aime repenser l’art de vivre traditionnel oriental. Il a ainsi rajeuni le narguilé et dépoussiéré la théière dans laquelle on prépare le fameux thé à la menthe. Mais il a également conçu une multitude d’objets pour les grandes marques occidentales : une montre Lip, un couteau Laguiole, une cheminée Brisach, une baignoire Aquamass, classée parmi les 1 000 objets cultes du magazine américain Architectural Digest en 2010…
Fiat, qui aime produire des éditions limitées de sa citadine – la fameuse 500 -, a proposé à Hicham Lahlou de relooker la Topolino. Il a composé un damier à partir de la feuille de figuier, "arbre de la Méditerranée mais aussi d’Afrique". Avant d’être présentée à Milan en 2014, la Fiat 500 FIG a été dévoilée en avant-première en octobre dernier à Rabat, à l’occasion de l’exposition "Play Design".
La Fiat 500 Fig, pensée par Hicham Lahlou. © DR
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Beau et bio à la fois
Qu’il s’agisse d’ustensiles de cuisine ou de tabourets, pour Bibi Seck le design ne doit pas être seulement beau. Il doit se faire également pratique : "Le rôle le plus important du design est de trouver des solutions intelligentes à des problèmes concrets", expliquait à Jeune Afrique en 2010 le Sénégalo-Martiniquais, installé à New York. Premier Prix d’horlogerie de Genève avec la montre Mikrograph F1 pour Heuer, Award de la voiture de l’année avec la Renault Scenic II SUV et la Trafic Cargo, l’ancien designer automobile aime les défis.
Il inscrit sa démarche dans une perspective écoresponsable. À partir de déchets urbains recyclés à Dakar, il a conçu Taboo, une ligne à la fois sobre et colorée de tabourets et de tables basses qui accueillaient en 2011 les consommateurs de la cafétéria du Museum of Modern Art de New York.
© DR
Associé à la Turque Ayse Birsel, il a réalisé pour la marque italienne Moroso M’Afrique, une collection tout en courbes vives de chaises longues et de fauteuils d’extérieur réalisés à partir d’une technique de tressage à la main de fils en plastique utilisés traditionnellement pour les filets de pêche. Les compositions de Birsel+Seck sont souvent ajourées pour un rendu aérien, très fin, à l’image des créations – tapis, rideaux, napperons, nappes en feutre – qu’Ayse Birsel a proposées pour la marque allemande Filzfelt. Une légèreté que l’on retrouve dans leur dôme en marbre, présenté à Milan en 2012 dans le cadre de la collection Thus Spoke the Marble, initiée par l’association turque des exportateurs de marbre.
High teck
Sobre et majestueux. Avec une assise basse (comme souvent dans le mobilier traditionnel africain) et un dossier élancé. Composé de bois et de métal, le fauteuil Sie, qui a obtenu le grand prix du design à la Biennale d’art africain contemporain de Dakar en 1996, est sans doute l’une des plus belles oeuvres de Vincent Niamien. Il l’a conçue comme un hommage à ses parents. Sie signifie "géniteur" en baoulé. Né en 1956 à N’Gattadolikro, un petit village de Côte d’Ivoire, d’un père sculpteur de masques et d’une mère potière qui travaillait également l’or, Vincent Niamien conçoit ses pièces comme des oeuvres d’art et les réalise habituellement en série limitée avec des artisans locaux (ferronniers, teinturiers, peintres…). Ses créations, réinterprétant l’esthétique traditionnelle dans des formes épurées très contemporaines, sont souvent façonnées à partir de bois et de métal, ses deux matériaux de prédilection, à l’image de son tabouret pliant Bolécan, réalisé en teck et en acier inoxydable.
Fauteuil SIE, composé de bois et de métal, du créateur Vincent Niamien. © DR
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Toqué du cocotier
Il en a fait son matériau de prédilection, le travaille avec respect et cherche à en éprouver les limites. Jean Servais Somian a une fascination pour le bois de cocotier. Enfant, il aimait traîner dans l’atelier de son oncle menuisier. Formé en Côte d’Ivoire et en Suisse, il allie les savoir-faire africains à l’ébénisterie occidentale. "Ma technique consiste à travailler le bois avec des outils adaptés, que je fais fabriquer par des forgerons locaux. Les teintes sont faites à base de fruits sauvages ou de graines", explique-t-il au webmagazine Afrikadaa. À 42 ans, le lauréat 2013 du prix Archibat, décerné lors du premier Salon du design à Abidjan, AbidjaNow, signe dans son atelier de Grand-Bassam des meubles sobres, se démarquant par la pureté de leur ligne, rehaussés parfois de couleurs vives.
Commode MORTIER de Jean Gervais Somian. © DR
Esprit d’équipe
Balthazar Faye n’a pas de limites. Chez lui, tout peut faire sens et s’incorporer dans une création. C’est la matière qui le guide. Contreplaqué, résine, fer forgé, bronze, grillage à poule… se retrouvent dans ses meubles. Mais ce Sénégalo-Allemand installé à Paris se passionne également pour les matériaux innovants et les techniques numériques.
Son sublime siège Accolade, aux formes épurées invitant à la sérénité, réalisé à partir de corde et de contreplaqué moulé à froid sous vide lui a valu le prix de l’Innovation singulière lors de la première Biennale internationale de design de Saint-Étienne, en 1998. Préoccupé par le sort précaire des artisans africains, avec qui il travaille souvent, ce diplômé de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris pense ses oeuvres comme des réalisations collectives. Il invite les différents corps de métier à travailler ensemble. Ses meubles sont parfois multifonctionnels, à l’image de ses bouts de canapé, tabourets, porte-revues, bien souvent dépourvus de toute ornementation, revêtant alors une sobriété efficace.
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