Vlisco et la Waxmania

Depuis plus d’un siècle, le créateur néerlandais Vlisco habille les femmes africaines. C’est au coeur de ses ateliers de fabrication, installés dans le sud des Pays-Bas, que sont conçus les tissus les plus prisés du continent.

En 2012, environ 25 millions de mètres de tissus imprimés sont sortis de cette usine. © Vincent Fournier pour J.A.

En 2012, environ 25 millions de mètres de tissus imprimés sont sortis de cette usine. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 6 décembre 2013 Lecture : 5 minutes.

Helmond, une ville ordinaire, dans le sud des Pays-Bas. Ses immeubles en brique rouge, son canal et, en ce mois de novembre, son froid anesthésiant… C’est là que le groupe Vlisco, le fabricant des célèbres wax néerlandais, adulés par des générations de femmes africaines, est installé depuis sa création en 1846.

Aujourd’hui, le groupe possède quatre marques, Vlisco, Woodin, Uniwax et GTP, emploie 2 800 personnes (dont 2 000 en Afrique), pour une clientèle qui se situe à 95 % sur le continent (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, RD Congo et Nigeria). Vlisco, qui produit les tissus haut de gamme, en est la vitrine. C’est aussi la seule dont le siège est situé aux Pays-Bas.

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À Helmond, impossible de ne pas voir la société, qui trône en plein centre-ville. À l’extérieur, pas de glamour, c’est plutôt le règne du béton armé. Pourtant, une fois passée l’entrée, c’est un tout autre monde. Dans la plupart des bureaux, des tableaux aux motifs flamboyants sur des murs blancs éclatants, et dans les couloirs des mannequins portant des tenues africaines.

Le plus important, c’est de capter les tendances et d’en lancer.

Un étage est consacré à la création. À sa tête, Roger Gerards, un quinquagénaire à l’allure de dandy. Teintes de tissu, système matriarcal des ethnies du Togo… L’ancien étudiant en mode et en anthropologie passe avec aisance d’un sujet à l’autre. Il voyage sur le continent au moins une fois par mois, mais aussi en Europe et aux États-Unis. "Mon inspiration est aussi africaine que globale. Le plus important, c’est de capter les tendances et d’en lancer", explique-t-il.

Relation passionnelle entre les tissus et les clients

Le designer puise aussi ses idées dans les archives de la société, où sont stockés les 300 000 tissus déjà créés. Il y a les incontournables : "L’oeil de ma rivale", "Mon mari capable", "Si tu sors, je sors"… mais aussi des plus récents comme "Le sac de Michelle Obama". Aucun de ces noms n’a été donné par Vlisco, mais par les vendeurs du continent pour accrocher les clients.

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Gerards dirige une équipe de 17 designers venant du monde entier, de France, du Mexique, d’Italie, des Pays-Bas et collabore avec des stylistes africains. "Les gens pensent qu’un produit utilisé par les Africains devrait forcément être réalisé par des Africains, je ne suis pas d’accord. Chez nous, c’est le dialogue entre les cultures qui crée cette relation passionnelle entre nos tissus et les clients", affirme-t-il.

L’équipe est déjà à pied d’oeuvre pour la collection de novembre 2014. Les dessins, soigneusement rangés, relèvent presque du secret-défense. "Impossible de les photographier", nous répète-t-on. Certains seront faciles à vendre, "car leurs motifs sont petits, facilement manipulables par les couturiers", d’autres mettront plus de temps à convaincre. Il y a ceux qui plairont dans les pays à forte population musulmane "où on aime les tissus à graphisme simple et le blanc", contrairement au Bénin, par exemple, les couleurs vives et les motifs d’objets sont appréciés. "Il faut travailler longtemps à l’avance, précise le Néerlandais, car le processus de fabrication et d’expédition prend du temps."

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Pour comprendre, il suffit de pénétrer dans l’usine de Vlisco, un véritable labyrinthe, animé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La technique ancestrale du batik, affinée et personnalisée, est appliquée à grande échelle. "Notre marque de fabrique, c’est une impression identique de la cire des deux côtés des toiles de coton, puis la superposition de couches de couleurs, une par une, à différents endroits d’une même toile", explique Gerards. Certains modèles nécessitent près d’une trentaine d’étapes. Teintés, séchés, minutieusement vérifiés à l’oeil nu, les tissus sont découpés en pièce de 6 yards (environ 5,5 m, la longueur nécessaire pour une tenue complète) et vendus entre 40 et 100 euros, voire 2 000 euros lorsqu’ils sont incrustés de cristaux. Transportés par bateau, ils débarqueront six semaines plus tard sur les côtes africaines.

>> Lire aussi : Le wax, un tissu qui séduit de plus en plus de jeunes créateurs occidentaux

Un signe de respect et de pouvoir

En 2012, 27 millions de yards de tissus imprimés sont sortis de cette usine. Une production en hausse depuis quatre ans, tout comme celle du groupe, qui est passée de 52 millions de yards en 2009 à 65,7 millions en 2012 pour un chiffre d’affaires de 267 millions d’euros. Vlisco n’a pas toujours eu une santé aussi florissante. À partir de l’année 2000, face à la concurrence chinoise, la société a vu ses ventes s’effondrer. En 2006, elle s’est fixé un objectif pour rebondir : devenir une marque haut de gamme. Changement de logo, lancement de collections thématiques, organisation de défilés, de concours de créateurs et, surtout, ouvertures de flagships (magasins phares) dans plusieurs capitales africaines. Lorsque le groupe est racheté en 2010 par le ­capital-investisseur britannique Actis, pour 118 millions d’euros, tout s’accélère. Campagnes de publicité ultra-soignées, spots à la télévision, affiches XXL… Du coup, le monde du luxe lui ouvre ses portes et de célèbres créateurs, tels Jean Paul Gaultier ou Dries Van Noten, lui empruntent des étoffes. Profitant de la Fashion Week de Milan, Vlisco a lancé cette année une collection d’accessoires, avec des sacs (de 690 à 1 390 euros), des porte­feuilles (490 euros en moyenne) et des foulards (de 190 à 490 euros). Son ambition est désormais de capter la jeune génération d’Africaines au pouvoir d’achat plus élevé et d’étendre son marché à des pays comme l’Afrique du Sud ou le Kenya. Et si, comme la romancière sénégalaise Ken Bugul l’écrivait en 2010, les Africaines continuent à penser que "le rêve de toute femme est d’avoir son wax hollandais", car "c’est un signe de respect et de pouvoir", la marque n’a pas vraiment de souci à se faire.

David Tlale, créateur en or

Rien de tel que les meilleurs créateurs africains pour asseoir sa notoriété. En Afrique du Sud, Vlisco a confié ses wax à David Tlale, l’étoile montante de la mode. "Le paradis est venu à moi", lâche ce couturier de 38 ans dans un éclat de rire aussi fort que les coups de gueule qui, quelques instants plus tôt, rythmaient l’installation des vitrines de sa boutique au coeur des Michelangelo Towers de Johannesburg. Le vert dense des robes et le fuchsia des fourreaux tranchent avec les tons bruns des lieux. Des tissus aux motifs dorés qui rappellent l’univers du créateur. "C’est justement pour cette opulence que nous avons choisi de travailler avec David", explique Hannelize Robinson, la représentante de Vlisco en Afrique du Sud. À voir le regard gourmand des passantes, elle n’a qu’à se féliciter de son choix. Le styliste multiprimé dans son pays ne compte pas en rester là. "Ma visite aux Pays-Bas en juillet a été une vraie révélation qui va influer pour longtemps sur mon travail", assure David, qui prend le temps de chahuter un peu une cliente boudinée dans son bustier. "Ces tissus sont tellement incomparables qu’ils méritent le respect", reprend-il, un brin impatienté.


La marque néerlandaise a confié ses tissus à cette étoile montante
de la mode. © Paul Shiakallis pour J.A.

Par Haby Niakate, envoyée spéciale à Helmond

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