Diaspora : Tunis in Paris
ADTF, ATDF, ATF… Dur de s’y retrouver parmi la myriade d’associations tunisiennes en France. Depuis la révolution, celles-ci tentent, tant bien que mal, de s’affranchir des pressions partisanes.
Âgée de 27 ans, la Franco-Tunisienne Nadia Tarhouni se définit volontiers comme une "nana de gauche", qui a voté pour les écologistes de Tunisie Verte et "discute avec des gens de tous les partis s’ils jouent le jeu de la démocratie". Elle a grandi en Tunisie et vit à Paris, où elle milite au sein de l’association Uni*T, créée peu après le 14 janvier 2011, date de la fuite de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali vers l’Arabie saoudite.
Comme dans une start-up, la trentaine de membres actifs d’Uni*T, toutes sensibilités politiques confondues, se sont rassemblés pour "apporter un nouveau souffle" à la turbulente vie politico-associative tunisienne en France. "Nous voulons dépassionner le débat, nous affranchir de la bipolarisation, dialoguer avec tout le monde", précise Nadia Tarhouni.
Soutenir les compatriotes de l’autre côté de la Méditerranée
La révolution de 2011 a libéré la parole non seulement en Tunisie mais aussi en France, où vivent environ 669 000 ressortissants tunisiens. Au cours des deux dernières années sont apparues une myriade d’associations "citoyennes" ou humanitaires, créées pour soutenir leurs compatriotes de l’autre côté de la Méditerranée. "En même temps qu’il y a eu une éclosion de partis et de mouvements politiques en Tunisie, il y a eu une euphorie associative en France", s’amusent les pionniers. Éphémères pour certaines, très souvent politisées, ces structures sont venues étoffer un tissu déjà très dense d’associations désormais affranchies de la pression de la dictature et qui souhaitent accompagner le processus démocratique. Nombre d’entre elles ont tu leurs divergences pour se retrouver à Paris, le 8 février, après l’assassinat du leader de gauche Chokri Belaïd.
Le représentant d’Ennahdha en France est consul de Tunisie
"Les cellules liées au RCD [Rassemblement constitutionnel démocratique, ancien parti au pouvoir] ont disparu de la scène militante française, bien que nous remarquions la présence d’anciens partisans nostalgiques dans des réunions, mais leur nombre est insignifiant", constate Mohsen Kocht, 66 ans, trésorier de l’Association démocratique des Tunisiens en France (ADTF). Et d’ajouter : "L’évolution des associations est à l’image de la politique tunisienne : l’engouement pour Ennahdha [parti islamiste, au pouvoir] va certainement s’essouffler en France, où beaucoup sont déçus, y compris parmi les religieux." Karim Azouz, le représentant d’Ennahdha dans l’Hexagone, occupe désormais la fonction de consul général de Tunisie à Paris, et les associations de militants islamistes se sont restructurées, même si rares sont celles qui, comme le Mouvement des jeunes Tunisiens ou Tunisiens des deux rives, sont proches d’Ennahdha.
À en croire Mohsen Zemni, président de l’Association des Tunisiens de France (ATDF), jadis pro-Ben Ali, la plupart des associations créées après la révolution incarnent "des dérives partisanes reconnaissables à la longueur de la barbe" de leurs militants. De son côté, Taoufik Karbia, de l’Association du lien interculturel, familial et social (Alifs), à Bordeaux, s’inquiète : "Sous Ben Ali, nous avions beaucoup d’interdits ; maintenant, nous avons beaucoup de péchés", lâche-t-il, soulignant "la recrudescence de certaines associations domiciliées dans les mosquées". Il s’est rendu à Paris le 9 novembre pour participer au congrès général de l’Association des Tunisiens en France (ATF), présidée par Mohamed Lakhdar Ellala, également membre du bureau politique à Paris d’Ettajdid (centre gauche).
Sur l’échiquier politico-associatif tunisien de France, les tensions sont parfois vives, et les piques assassines sont fréquentes.
Dans un message qu’elle avait adressé pour l’occasion aux congressistes, l’ex-secrétaire générale de l’ATF, Nadia Chaabane, désormais élue du Pôle démocratique moderniste (PDM) à l’Assemblée nationale constituante, appelait à la "vigilance" autant qu’à la "recomposition de la scène politico-associative tunisienne en France". Sur cet échiquier, les tensions sont parfois vives, et les piques assassines sont fréquentes. "On nous a souvent accusés de rouler pour Ben Ali, or nous ne traitons ni de politique ni de religion, nous nous concentrons sur les aspects économiques", souligne Hanen Ktita, présidente de l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge), créée il y a vingt-trois ans et dont aiment à se revendiquer certains ministres. "En France, conclut-elle, il est difficile d’échapper à la pression politique venue de Tunis."
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