Burkina Faso : Cédric Ido, caméra au poing
Cédric Ido, Burkinabè de 33 ans, vient de réaliser son deuxième court-métrage. Alors que son frère Jacky a joué pour Lelouch et Tarantino, lui se rêve en réalisateur.
C’est dans un troquet de Saint-Denis (banlieue parisienne), « à domicile », que le rendez-vous avec Cédric Ido a été fixé. Ce jour-là, la salle no 1 du cinéma Gaumont Parnasse était pleine à craquer : 300 personnes, des gens de « toutes les couleurs », et pas seulement des amis, venus découvrir en avant-première le nouveau court-métrage de Cédric Ido, Twaaga, « une pépite » qu’il a tournée au Burkina Faso et dont on reparlera par la suite. Après une demi-heure d’attente, Cédric arrive enfin. « Normalement, je suis à l’heure », s’excuse-t-il. Sourire aux lèvres, visage apaisé, le voici qui s’installe dans ce bar branché de la ville où il est né et où il réside depuis peu, lui qui a grandi à quelques kilomètres d’ici, à Stains. Cédric porte une belle veste bleue de costard et un jean clair. Il a insisté pour que la rencontre ait lieu de ce côté-ci du périph : « Je sais, normalement, les interviews se font à Paris, mais je suis très attaché à ma banlieue. Je peux même dire que je suis d’abord banlieusard avant d’être français ou burkinabè. » Il commande un café crème et nous raconte sa vie. Pour lui, elle commence à 3 ans, quand ses parents, tous les deux originaires du Burkina Faso, quittent Stains pour Ouagadougou. Nous sommes en 1983. « Peu de temps après notre arrivée, Thomas Sankara lance la révolution. Nous sommes restés au pays cinq ans avant de revenir à Stains. » Tiens donc, cela nous fait penser à Twaaga, cette fiction de trente minutes qui n’en est pas vraiment une, donc, joliment filmée et qui se passe à Ouagadougou en 1987…
Sankara est toujours à la tête du pays. Manu, le héros, a 8 ans. Fan de BD, comme Cédric, il réalise qu’il existe dans la vraie vie des pouvoirs qui peuvent rivaliser avec ceux des super-héros, alors il va se croire invincible. « Ça faisait très longtemps que j’avais envie de tourner Twaaga. Je connaissais Sankara, mais je ne savais pas ce que c’était la révolution. Je voulais raconter la grande Histoire dans la petite. Le discours de Sankara était universel, basé sur les droits de l’homme, contre l’hégémonie occidentale. Il voulait que le peuple se libère. J’ai un profond respect pour cet homme. Le cinéma m’a permis d’exprimer ma rage par l’art, même si au départ j’étais plutôt attiré par la BD. »
Le conseiller d’orientation de son collège pensait que la BD, ce n’était pas pour lui, et l’invitait à faire « du dessin industriel ». « Heureusement qu’un prof d’art plastique m’a redonné confiance en me disant que je pouvais faire les choses tout seul. Grâce à lui, j’ai continué à dessiner. » Autre passion : le théâtre. « Au collège, on a monté plusieurs pièces. Je faisais le minimum à l’école, mais ça ne me dérangeait pas d’apprendre des pièces par coeur. » Au lycée d’Aubervilliers, Fabrice Melquiot, comédien confirmé, donne des cours. « Un super prof, on avait de la chance de l’avoir. À la fin de l’année, on a présenté une pièce au théâtre de la ville. Il y avait du beau monde, et parmi eux, une directrice de casting venue voir une fille, mais c’est sur moi qu’elle a flashé. » Elle le présente à un agent. Cédric Ido a 18 ans. Il décroche quelques rôles, mais pas assez pour s’acheter une villa à Saint-Tropez ! Après le bac, il s’inscrit à la fac à Paris-VIII, à Saint-Denis, pour une licence d’anglais, mais chaque fois qu’il a du temps, il s’incruste dans les cours de cinéma. « Les profs me laissaient y assister. J’apprenais à analyser les films, à parfaite ma culture cinématographique. Ça m’a permis de découvrir plein de réalisateurs. » Et l’a convaincu de partir pour les États-Unis, « la Mecque du cinéma », dans le cadre d’un échange universitaire. « J’ai atterri à New York dans une fac artistique, c’était d’un autre niveau. Je devais rester un an, mais j’ai réussi à les convaincre de me garder une année de plus. »
« je faisais le minimum à l’école mais ça ne me dérangeait pd d’apprendre des pièces
de théâtre par coeur » affirme l’ancien acteur. © Camille Millerand pour J.A.
Retour à Stains en 2008, au « bercail ». Les projets se multiplient. « Depuis tout petit, avec mon frère Jacky [qui a joué dans Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, et Ces amours-là, de Claude Lelouch], on s’amuse à réaliser des films. On en a présenté beaucoup au café culturel de Saint-Denis. Au début, je faisais l’acteur. Tout naturellement, je suis passé derrière la caméra. » Et il a eu raison : en 2011, son premier court-métrage, Hasaki Ya Suda, une histoire de samouraïs noirs qui luttent pour leur survie, fait un carton. Sélectionné dans une dizaine de festivals, il sera primé au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, le plus coté des festivals panafricain, où Ido croise Kisha Cameron-Dingle, une productrice américaine. « Elle était là pour choisir cinq réalisateurs africains et, comme elle avait aimé Hasaki Ya Suda, elle m’a demandé d’écrire un court. » Pressé par le temps, Cédric accouche de Twaaga en deux mois. L’Américaine adore et l’aide à trouver les financements. Les festivals vont s’arracher Twaaga.
Qu’y a-t-il après deux courts ? « Ben, deux longs ! Je suis en pleine écriture : un sur les rabatteurs des salons de coiffure qui sévissent à la station de métro parisienne Château-d’Eau et l’autre sur le Ghana colonial. » À ce rythme-là, on ne serait pas étonné de le retrouver bientôt à Cannes.
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