Jihadisme : à danger global, réponse commune
Radhi Meddeb est président d’Action et Développement solidaire (ADS, Tunisie).
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Le terrorisme a DONC frappé en Tunisie. Les attentats-suicides y ont fait leur apparition, fragilisant le processus en cours, alors que le pays se débat depuis plus de trois mois dans une grave crise politique et que les évolutions récentes laissaient espérer qu’il pouvait aborder une nouvelle phase transitoire, la troisième depuis la révolution et possiblement la dernière, vers l’adoption et la mise en place des institutions et instruments de sa Seconde République.
Ce faisant, la Tunisie peut encore montrer le chemin et être ainsi le seul pays du Printemps arabe à voir sa transition démocratique connaître un dénouement pacifique au terme d’un cheminement par moments tortueux, mais où la société civile, dans ses différentes composantes, aura exprimé en permanence sa voix avec force et détermination et fait valoir les attributs de la modernité et de l’ouverture, principaux legs de trois mille ans d’histoire et, plus récemment, de l’héritage bourguibien. Mais cette dernière ligne droite est semée d’embûches, et il ne sera pas possible à la Tunisie d’éviter seule tous les écueils que ferait surgir un dérapage incontrôlé.
Depuis son indépendance, elle a fait le pari de ne pas dilapider ses ressources, limitées, et de ne pas se doter de forces armées ou sécuritaires déraisonnablement équipées. La clairvoyance et l’humanisme de Bourguiba lui avaient fait préférer la promotion de l’homme, la libération de la femme et la satisfaction des besoins essentiels de la population. Il a ainsi délibérément cantonné l’armée dans ses casernes, la mobilisant ponctuellement au service du développement. La phobie d’un éventuel complot a conduit Ben Ali à maintenir le cap, même si c’était pour des raisons très différentes.
Depuis au moins deux ans et plus précisément depuis la chute du régime de Kadhafi, des armes circulent en Tunisie, en provenance essentiellement de Libye. Elles ont deux origines bien précises. Il y a d’abord celles que les forces de l’Otan ont parachutées à destination des rebelles et qui restent aujourd’hui en libre circulation. Il y a ensuite celles, nombreuses et sophistiquées, qui étaient légalement détenues par le régime déchu et stockées dans des entrepôts de l’armée, lesquels ont été pillés pendant et après la guerre sans que personne ne s’en soit soucié.
Une fois la guerre finie, le désordre était total. Pendant plus de trente ans, le peu d’État existant a été déconstruit pierre par pierre en Libye dans une volonté affirmée d’une forte mainmise clanique sur la rente pétrolière. Le parrain mort, ses proches décimés, de multiples chefs de bande se sont proclamés caïds à la place du caïd. Dans ce désert institutionnel, il était de la plus grande imprudence de la part de l’Otan et plus généralement de l’Occident de se retirer sans se préoccuper du devenir des armes en circulation.
La solution sur le champ aurait pu être celle avancée alors par Paul Wolfowitz dans le Wall Street Journal fin octobre 2011, qui proposait que l’on rachète aux prix du marché toutes les armes en circulation et que l’on enrôle dans une armée régulière, à mettre sur pied, tous les détenteurs-vendeurs de ces armes. La Libye est un pays riche, disait-il, même si, à l’époque, ses avoirs étaient encore gelés par l’Occident, en attendant que soient évalués le coût de la guerre et sa prise en charge par les Libyens. Cette solution aurait permis, à moindres frais, de pacifier la région, d’éviter la déstabilisation du Nord-Mali hier, de la Tunisie aujourd’hui et d’autres pays demain.
Cette responsabilité est globale. Elle est celle des pays de l’Otan ayant participé à la libération de la Libye. Elle est celle de l’Europe, car l’instabilité ignore les frontières, et les boat people risquent de céder la place à des boat arms. Il y va de la sécurité de la région tout entière, de sa stabilité et de sa souveraineté. Il y va aussi de la réussite du seul processus démocratique en cours dans les pays du Printemps arabe et de la réconciliation de la rue arabe avec les valeurs de la démocratie, la défense des droits de l’homme et la modernité.
Le président français, François Hollande, organise le 6 décembre à Paris un sommet pour la paix et la sécurité en Afrique. Voilà une belle occasion d’annoncer une mobilisation forte et globale de la communauté internationale pour prendre en charge, par un financement multilatéral, et conduire, sous un commandement commun, la lutte contre le terrorisme dans la région.
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