Accord sur le nucléaire iranien : l’effet d’une bombe

L’accord sur le nucléaire iranien signé le 24 novembre pourrait changer la donne au Moyen-Orient et y faire naître des perspectives de paix.

Les négociateurs des parties se félicitant à l’issue du 3è round des discussions à Genève. © Martial Trezzin/AP/Sipa

Les négociateurs des parties se félicitant à l’issue du 3è round des discussions à Genève. © Martial Trezzin/AP/Sipa

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 5 décembre 2013 Lecture : 7 minutes.

Genève, hôtel Intercontinental, le 24 novembre 2013, 2 h 56 du matin. L’irruption du ministre français des Affaires étrangères, le pouce levé, hors de la salle des négociations siffle la fin du derby diplomatique de la décennie. Dans chaque camp, on fait le V de la victoire. Sous les regards anxieux de l’opinion internationale, le troisième round des discussions entre l’Iran et les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies plus l’Allemagne (le "P5+1") a finalement été le bon. Tenus en haleine pendant trois jours, les journalistes applaudissent l’événement, et les diplomates se félicitent en se donnant l’accolade. On s’attend presque à les voir échanger les maillots. En Iran, la population manifeste sa joie et réservera un accueil triomphal à l’équipe des négociateurs. Après dix années de crise, un accord, bien qu’intérimaire, a enfin été trouvé sur le dossier nucléaire iranien, pacifique selon Téhéran, mais dont l’Occident soupçonnait qu’il dissimule des objectifs militaires. Contre une levée partielle des sanctions internationales, qui, drastiquement renforcées en 2012, asphyxiaient son économie, l’Iran a accepté de geler son programme. Dans un délai reconductible de six mois, de nouvelles discussions auront lieu pour parvenir à un accord définitif. La partie n’est donc pas encore gagnée, mais, pour la première fois depuis des années, l’heure semble à la détente.

Le suspense aura été total. Depuis qu’en 2005 la République islamique a repris ses activités de conversion d’uranium, chaque camp se crispait sur ses positions. Tandis que l’Iran portait le nombre de ses centrifugeuses d’enrichissement de quelques centaines à 19 000 aujourd’hui, la communauté internationale durcissait ses sanctions. En 2012, une série de mesures américaines et européennes frappant les secteurs pétrolier et financier iraniens a pris le pays à la gorge. La chute du rial a été aussi vertigineuse que l’inflation, et si Téhéran peut s’enorgueillir d’être parvenu à produire 195 kg d’uranium enrichi à 20 % (la dernière étape avant l’obtention d’uranium de qualité militaire à 85 %), près de 100 milliards de ses précieux dollars restent gelés à l’étranger. Malgré l’escalade réciproque, le contact n’a jamais été rompu et les équipes de négociateurs se sont croisées à plusieurs reprises, mais sans conviction ni résultat. En février 2012, Leon Panetta, secrétaire américain à la Défense, jetait l’effroi en déclarant que "les Israéliens attaqueraient très vraisemblablement l’Iran en avril, mai ou juin".

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Un tournant dans l’histoire du Moyen-Orient

La véritable surprise a finalement eu lieu en juin de cette année avec l’élection à la présidence de la République du religieux modéré Hassan Rohani, alias le cheikh diplomate, contre tous les pronostics. Le nouvel exécutif a ranimé les quelques espoirs d’apaisement étouffés au cours des mandats du très conservateur et provocateur Mahmoud Ahmadinejad. Après sa victoire, Rohani, qui avait fait du redressement économique le leitmotiv de sa campagne, a multiplié les gestes d’ouverture en direction de l’Occident, échangeant des lettres avec le président américain Barack Obama dès août et adressant des messages apaisants à la communauté internationale. En septembre, le hojatollah allait même jusqu’à souhaiter un "heureux Roch Hachana [le nouvel an hébreu] à tous les Juifs". Obama, Prix Nobel de la paix, qui avait lui-même déclaré en 2009 à l’occasion du nouvel an perse : "Nous cherchons la promesse d’un nouveau départ", tenait là l’occasion d’une grande victoire diplomatique. Mais surtout, souligne Bernard Hourcade, géographe spécialiste de l’Iran, "le retrait américain de la région, engagé en Irak fin 2011 et qui prendra effet en Afghanistan en 2014, ne pouvait se faire sans trouver d’accord avec la République islamique, qui joue un rôle crucial dans la stabilité de ces deux États : elle devait redevenir un interlocuteur".

Face à l’urgence stratégique et malgré la rupture des relations bilatérales, les diplomates américains avaient engagé des pourparlers secrets avec les Iraniens, a-t-on appris lors du dernier round des négociations. Dès mars 2013, alors qu’à Washington le président américain martelait que "toutes les options [étaient] sur la table", son vice-secrétaire d’État, William Burns, rencontrait discrètement une équipe de diplomates et d’experts iraniens à Oman. Au moins six rencontres bilatérales se sont ainsi déroulées dans l’ombre, les plus proches alliés des États-Unis n’en ayant été prévenus que tardivement. Elles ont permis de fixer les grandes lignes de l’accord négocié dans ses moindres détails avec le P5+1 à Genève. Le caractère ultraconfidentiel et sensible de ces rencontres dévoile la véritable dimension de l’accord trouvé. Au-delà du compromis, provisoire, sur le dossier du nucléaire iranien, c’est l’avenir d’un Moyen-Orient plus que jamais déchiré qui était dans la balance, et l’espoir de mettre fin à trente-quatre années de guerre froide entre l’Iran et l’Occident. "C’est historique ! Si les ministres des Affaires étrangères des six plus grandes puissances mondiales se sont déplacés, ce n’est pas pour le nucléaire, souligne Hourcade. Il s’agissait de refaire de l’Iran un partenaire, un acteur normal de la politique régionale. Le nucléaire était la porte blindée qui devait s’ouvrir pour mener à cette normalisation, et cet accord devrait marquer un tournant dans l’histoire du Moyen-Orient."

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Israël, l’Arabie saoudite, les oppositions syriennes et iraniennes, mortifiés

Le nouvel ordre qui se profile ne réjouit pas tout le monde. Si les deux camps peuvent légitimement clamer leur victoire, sur le banc de touche, les vaincus se lamentent. Israël, l’Arabie saoudite, l’opposition iranienne en exil et l’opposition syrienne à Bachar al-Assad, l’allié de Téhéran, sont mortifiés à l’idée que cet ex-leader de "l’axe du mal" redevienne un partenaire diplomatique. Le jour même, Benyamin Netanyahou qualifie l’accord d’erreur historique, martelant que "le régime le plus dangereux au monde a fait un pas significatif vers l’acquisition de l’arme la plus dangereuse au monde". Deux jours auparavant, dans le Wall Street Journal, l’influent prince saoudien Al-Walid Ibn Talal laissait entendre que le royaume wahhabite pourrait se nucléariser à son tour avec le concours du Pakistan. Pour un intellectuel proche de l’opposition syrienne, "ce "nouveau Moyen-Orient", c’est la recette parfaite pour une guerre de trente ans. Obama livre le Levant, très majoritairement sunnite, à une puissance chiite".

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Bernard Hourcade entend dans les cris d’orfraie de Netanyahou l’expression d’une autre déception : "Il sait bien que l’accord va stabiliser la région, mais les Israéliens ont aussi compris qu’ils n’y seraient plus le seul interlocuteur stratégique des États-Unis. Ils réagissent comme un époux trompé !" Le tonitruant ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, menace de frapper la rivale, mais il s’agirait là d’un "suicide diplomatique", souligne, dans le quotidien Haaretz, un expert militaire. Et le coût d’une telle opération, menée seul, serait exorbitant pour l’État hébreu, outre les représailles qu’elle provoquerait de la part du Hezbollah et du Jihad islamique, alliés libanais et palestinien de l’Iran. Le même sentiment d’abandon est à la source de l’amertume saoudienne. La mascarade de Riyad refusant à la mi-octobre son siège au Conseil de sécurité était un message clair de mise en garde adressé à Washington. La normalisation des rapports entre l’Occident et l’Iran est-elle de nature à renforcer le régime syrien en guerre et le Hezbollah chiite libanais, comme le craignent les opposants à ces entités ? Nombre d’analystes avancent qu’au contraire elle incitera l’Iran à préserver l’acquis difficilement arraché en modérant ses alliés arabes.

L’accord trouvé le 24 novembre pourrait à terme amener Israël à se rapprocher de ses voisins sunnites, pousser l’Arabie saoudite à envisager des relations diplomatiques avec Téhéran et inciter le régime syrien à faire de réelles concessions. Bref, il bouleverserait le paysage géopolitique du Moyen-Orient et y ferait naître des perspectives de paix durable. Mais la meilleure victoire n’est pas celle de l’Iran. Car si l’accord est très contraignant pour Téhéran, qui doit se plier sans restrictions aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il lie beaucoup moins l’autre partie. D’autant qu’il reste provisoire et que les vieilles défiances pourraient menacer le succès des futures négociations, lesquelles seront bien plus ardues que la partie qui vient de se jouer.

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Les engagements du "plan d’action commun" de six mois

Pour l’Iran La moitié du stock d’uranium à 20 % sera diluée à 5 %, l’autre moitié conservée comme stock de travail ; L’enrichissement de l’uranium à plus de 5 % est suspendu pendant six mois ; Les activités des usines de Natanz, Fordow et Arak sont interrompues ; La construction de nouvelles unités d’enrichissement et de retraitement est stoppée ; L’AIEA pourra procéder à une surveillance accrue par la transmission d’informations spécifiques sur l’état de la filière et par la possibilité d’accès quotidien et sans préavis aux sites de Natanz et Fordow. Pour le P5+1 Garantie donnée à l’Iran de pouvoir vendre à ses clients actuels du pétrole dans les mêmes volumes ; Pas de nouvelles sanctions en rapport avec le nucléaire ; Suspension des sanctions américaines sur l’industrie automobile et des sanctions européennes sur l’or, les métaux précieux et les exportations de produits pétrochimiques ; Établissement d’un système de financement permettant le commerce humanitaire.

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