L’Afrique existe-t-elle ?
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 2 décembre 2013 Lecture : 2 minutes.
Vu de Kigali, où je me trouve en ces derniers jours de novembre, le sommet Afrique-France des 6 et 7 décembre, auquel nous consacrons cette semaine un dossier complet, apparaît largement comme une fiction. Outre le fait qu’il peut sembler étrange de venir discuter de la paix et de la sécurité sur le continent dans la capitale d’une ex-puissance coloniale plus de cinquante ans après les indépendances, c’est la notion même d’une Afrique globale conférant avec l’un des pays membres de l’Union européenne qui paraît à la fois passablement humiliante et dénuée de réalité.
À bien y regarder en effet, l’Afrique de 2013 est une généralisation facile aussi inclusive et privée de sens que "le monde arabo-musulman", "la communauté internationale" et autres clichés à usage des journalistes pressés. D’abord parce que l’on sait depuis longtemps que le nord et le sud du Sahara regardent dans des directions opposées, ensuite parce que le socle commun qui soudait l’Afrique subsaharienne jusqu’au début des années 2000 (régimes autoritaires postcoloniaux et économies à dominante agricole) s’est largement effrité.
Ce qui unit ces pays désormais au-delà des blocs linguistiques, ce n’est plus le panafricanisme, mais l’omniprésence des investissements chinois et de la téléphonie mobile.
Ce qui unit ces pays désormais au-delà des blocs linguistiques, ce n’est plus le panafricanisme – idéologie largement importée, puisque inspirée de penseurs américains et caribéens -, mais l’omniprésence des investissements chinois et de la téléphonie mobile. Si pour beaucoup d’Africains la notion d’un continent partagé est désormais plus émotionnelle que réelle, c’est qu’à la barrière de la langue qui sépare les Afrique francophone, anglophone et lusophone s’est ajoutée la distance de plus en plus grande entre les démocraties à croissance rapide, les États faillis, les pays pétroliers à forte teneur en corruption et les adeptes du développement dirigé à la chinoise. D’un côté, les tigres africains (Éthiopie, Kenya, Ghana, Angola, Mozambique…), de l’autre, la cohorte des nations fragiles et politiquement instables.
D’un côté, ceux dont la gouvernance est fiable, l’économie en voie de diversification et les priorités axées sur l’éducation, la santé et la protection sociale ; de l’autre, les pouvoirs patrimoniaux et prédateurs. D’un côté, l’Afrique du Sud, qui se vit et se sent non sans condescendance comme une Afrique à part, et le Nigeria, dont le modèle économique se rapproche de plus en plus de celui de l’Indonésie ou de celui du Mexique ; de l’autre, tous les autres, écrasés par le poids de ces deux mastodontes.
De la part d’un pays comme la France, dont l’importance politique et économique n’a cessé de régresser sur le continent depuis une dizaine d’années, prétendre parler à l’Afrique tout entière est donc à la fois ambitieux et incongru. On objectera que les chefs d’État africains, qui s’apprêtent à se rendre en nombre au sommet de l’Élysée, n’ont manifestement cure de cet anachronisme. Raison de plus pour leur hôte, François Hollande, de leur parler avec modestie.
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