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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 2 décembre 2013 Lecture : 5 minutes.

L’accord scellé à Genève entre les six grandes puissances du moment et l’Iran au sujet du programme nucléaire de ce pays date d’une semaine.

Depuis sa signature, à l’aube du 24 novembre, nous avons été abreuvés d’informations et de commentaires sur l’événement, sa signification et ses conséquences pour la région et pour le monde.

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Est-il utile d’en ajouter d’autres ? Et d’ailleurs, que reste-t-il à en dire ?

Au terme d’une négociation mouvementée, les protagonistes n’ont signé au demeurant qu’un document provisoire, mais où, fait nouveau, chacune des parties reconnaît à l’autre des droits à respecter, des intérêts et une dignité à sauvegarder.

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Il ne s’agit cependant que d’une trêve ou d’un armistice de six mois : on calme le jeu, on s’observe et, le feu ayant cessé, on négocie le passage d’une ère à une autre.

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D’une ère à une autre ? Beaucoup plus, en fait : d’une situation à son contraire, de la diabolisation réciproque à la paix et à la coopération.

Voilà ce qui, en vérité, révulse les ennemis israélien et saoudien de l’accord.

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Cela dit, ce n’est qu’à condition que la trêve du 24 novembre et la négociation qu’elle a enclenchée conduisent, en 2014, à la paix et à la coopération que les historiens retiendront le tournant du 24 novembre comme l’événement de l’année 2013, ou peut-être même de la décennie.

>> Lire aussi : Iran, négociations nucléaires 

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Au sein de Jeune Afrique comme de La revue, nous avons suivi l’évolution du conflit dans toutes ses phases et en connaissons les arcanes. Nous nous estimons donc bien outillés pour en éclairer les recoins.

Nous savons que nous allons être la cible de thèses opposées, d’informations aussi contradictoires qu’intéressées, et qu’il nous faudra en permanence faire le tri entre le bon grain et l’ivraie.

Nous savons également que l’enjeu des prochains mois est tout simplement une nouvelle guerre au Moyen-Orient, qui bouleverserait une fois de plus la carte de la région, ou, si la trêve du 24 novembre conduit à la paix, l’instauration d’un modus vivendi fondé sur un nouvel équilibre régional.

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Une semaine après l’accord du 24 novembre, que peut-on en dire d’éclairant et qui n’a pas encore été exposé ?

1) A été rendue publique, la semaine dernière, l’information selon laquelle les Américains et les Iraniens négociaient en secret depuis des mois (lieu de la négociation secrète : Oman). Beaucoup d’initiés le savaient déjà ou, à tout le moins, s’en doutaient. Certains d’entre nous connaissaient même les noms des négociateurs.

Ce qui, en revanche, n’était connu que de ces alliés intimes et complices des États-Unis que sont les Britanniques, c’est que les Américains ont cessé de classer l’Iran dans "l’axe du mal" et que, de leur côté, les Iraniens n’ont plus vu en l’Amérique le "Grand Satan".

Pour ma part, lorsque j’ai appris, début octobre, que Londres et Téhéran rouvraient leurs ambassades respectives, que le 11 novembre ont été nommés leurs chargés d’affaires, j’ai compris que les Anglo-Saxons avaient pris la décision stratégique de considérer désormais la République islamique d’Iran comme l’un de leurs principaux partenaires dans la région.

Lundi 18 novembre, une semaine avant la signature de l’accord, le Premier ministre britannique, David Cameron, a fait savoir qu’il a téléphoné au président iranien, Hassan Rohani, pour lui parler non seulement du nucléaire mais aussi de la Syrie. J’ai acquis la certitude, dès cet instant, que les Anglo-Saxons allaient signer avec l’Iran. L’Allemagne suivrait le mouvement et la France serait obligée d’en faire autant.

C’est exactement ce qui s’est passé dans la nuit du 23 au 24 novembre.

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2) Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui avait fait échouer l’accord une première fois avant de l’accepter le 24 novembre, est-il, comme on le dit ou l’insinue, un adversaire caché de l’objectif stratégique des Anglo-Saxons qui est de faire tout ce qui est raisonnable pour renouer avec l’Iran ?

Un de nos confrères soutient que le président Obama n’aurait eu d’autre choix que de demander à François Hollande de "calmer" son ministre.

Et l’on prête à ce dernier d’avoir pronostiqué, après la signature, que ce seront les Iraniens eux-mêmes qui rendront l’accord caduc : "Ils tricheront", aurait-il prédit.

Il sera important, en tout cas, de vérifier dans quel camp se situera la France en 2014 : dans celui d’Israël et de l’Arabie saoudite, alliés de circonstance, réunis par une volonté acharnée, à l’instar des plus conservateurs des Américains, de remettre l’Iran, avec la Corée du Nord, dans "l’axe du mal" ? ou dans celui des cinq autres grands qui tentent de l’en sortir en pariant sur une évolution positive de son régime ?

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3) L’opinion américaine ? En dépit de sa sympathie bien connue pour Israël et de l’action soutenue du lobby pro-israélien, elle s’est prononcée cette semaine à deux contre un en faveur de l’accord. Lasse des guerres, elle soutient majoritairement ce qui en éloigne les États-Unis.

Guerroyant sans discontinuer depuis le Vietnam (où ils ont été engagés par John F. Kennedy en 1961, il y a un peu plus de cinquante ans), les Américains de 2013 ont en Barack Obama, Prix Nobel de la paix, un président qui refuse que les États-Unis continuent de s’endetter et de perdre des soldats pour être "le gendarme du monde".

>> Lire aussi : Israël – États Unis : la grande discorde

Là est la donnée de politique internationale la plus nouvelle et la plus importante du moment.

S’y ajoute la révolution énergétique née de la mise à disposition du marché, grâce au procédé de la fracturation hydraulique, du gaz et du pétrole de schiste. Désormais, avec ce qu’ils peuvent importer du Canada et du Mexique, les États-Unis n’ont plus besoin, pour leur consommation, des hydrocarbures du Moyen-Orient ou même d’Afrique.

Fatigue de la guerre et indépendance énergétique virtuelle sont les deux fondements principaux d’une nouvelle analyse stratégique américaine. En cours d’élaboration, elle conditionne déjà le comportement des États-Unis au Moyen-Orient.

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Les Américains regardent désormais le Moyen-Orient de plus loin, si je puis dire ; ce qui s’y passe a moins d’importance pour eux, et leurs alliés dans la région pèsent moins.

Israël et l’Arabie saoudite ont déjà perdu leur droit de veto sur la politique américaine et, au fil des années, verront diminuer leur importance aux yeux de Washington.

C’est parce qu’ils ne l’ont pas encore compris ou accepté que Benyamin Netanyahou et le roi Abdallah d’Arabie saoudite, en s’opposant à Barack Obama sur l’Iran, donnent l’impression de "mouliner dans la farine".

L’accord du 24 novembre n’a été que la première manifestation d’une nouvelle politique des États-Unis qui les affranchit d’Israël et de l’Arabie saoudite.

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