Indomptable Doris Lessing

Prix Nobel de littérature en 2007, l’auteure du « Carnet d’or » est décédée le 17 novembre à l’âge de 94 ans. Sans avoir renoncé à son anticonformisme.

« Le mariage n’est pas un état qui me convient », disait Doris Lessing. © JAN DELDEN / SCANPIX SWEDEN / AFP

« Le mariage n’est pas un état qui me convient », disait Doris Lessing. © JAN DELDEN / SCANPIX SWEDEN / AFP

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Publié le 26 novembre 2013 Lecture : 3 minutes.

Le Nobel, elle s’en fichait comme d’une guigne. Elle va avoir 88 ans et peine à s’extirper d’un black cab quand, un jour d’octobre 2007, elle repère des journalistes qui l’attendent devant son domicile londonien. "Avez-vous entendu la nouvelle ? Vous avez gagné le prix Nobel de littérature !" Non, Doris Lessing n’était pas au courant. "Mon Dieu", souffle-t-elle. Devant les micros qui se tendent, avides d’une réaction qui ne vient pas, la romancière britannique ne trouve pas les mots. "Que pensez-vous que je devrais dire ? […]. J’ai déjà gagné chaque prix en Europe, chaque foutu prix." D’une main, elle cherche de l’aide pour se hisser sur le trottoir, puis lâche avec un sourire : "Ils ont pensé là-bas, les Suédois : celle-là a dépassé la date de péremption, elle n’en a plus pour longtemps. Allez, on peut le lui donner !"

Ainsi était Doris Lessing, décédée le 17 novembre à l’âge de 94 ans : moqueuse et volontiers acide. Sans doute aurait-elle même préféré ne pas l’avoir, ce Nobel. Quelques mois plus tard, elle en avait parlé comme d’une "catastrophe". "Tout ce que je fais, c’est donner des interviews et me faire prendre en photo", se lamentait-elle. Posture d’écrivain menacé par le snobisme ? Même pas. Pour Doris Lessing, qui avait refusé d’être anoblie par la reine, mieux valait être l’un de ces grands auteurs trop insolents pour être officiellement célébrés que de céder au politiquement correct, "la plus puissante tyrannie des esprits dans ce que l’on appelle le monde libre".

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Société réactionnaire

Il n’y avait pas de risque. Jamais la petite Doris May Tayler, née en 1919 en Perse (Iran), n’a fait ce que l’on attendait d’elle. Elle n’a que 13 ans lorsqu’elle décide de quitter l’école. À l’époque, elle vit en Rhodésie du Sud (Zimbabwe), où son père, un ancien officier de l’armée britannique amputé d’une jambe lors de la Grande Guerre, a traîné la famille dans l’espoir de faire fortune dans le maïs et le tabac. Il doit vite déchanter. L’enfance de la jeune Doris est peuplée de moustiques, de crises de dysenterie et de sermons protestants. Dans la modeste ferme familiale, elle lit tous les grands classiques du XIXe. À 18 ans, elle part s’installer à Salisbury (Harare) ; à 19, elle épouse un jeune fonctionnaire rhodésien. Cinq ans plus tard, elle a déjà divorcé et renoncé à ses deux enfants. Du jamais vu !

En Angleterre, loin des pesanteurs rhodésiennes, elle revit, libre et amoureuse, mais c’est toujours l’Afrique – une Afrique violente et étouffante – qui la nourrit.

Elle fréquente un groupe de communistes ("En Rhodésie du Sud, j’étais dans une société très réactionnaire, très inculte, très provinciale, dira-t-elle plus tard. Pour la première fois, je rencontrais des gens qui avaient lu, qui avaient réfléchi, et j’ai adopté leur point de vue sur l’affreuse condition des Africains. Je n’avais jamais rencontré personne qui pensait ainsi"), rencontre Gottfried Lessing, un Juif allemand, l’épouse, tombe enceinte, divorce à nouveau ("le mariage n’est pas un état qui me convient") et part s’installer en Angleterre.

Là-bas, loin des pesanteurs rhodésiennes, elle revit, libre et amoureuse, mais c’est toujours l’Afrique – une Afrique violente et étouffante – qui la nourrit. Romans, poèmes, autobiographies ou pièces de théâtre… Une soixantaine d’ouvrages suivront la publication, en 1950, de Vaincue par la brousse. À chaque fois, Doris Lessing désarçonne. Engagée, anticonformiste, anticolonialiste, elle enrage contre l’absurde et déteste qu’on lui appose une étiquette. "Je suis écrivain, c’est tout !" Sans doute est-elle aussi féministe, mais lorsqu’on lui en fait la remarque, elle répond que les féministes sont devenues "méchantes" et "horribles avec les hommes" par "manque dramatique d’humour". Jamais elle n’aura mâché ses mots.

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