« Les damnés de la Terre » de Frantz Fanon, d’une brûlante actualité
L’auteur des « Damnés de la terre », le Martiniquais Frantz Fanon, n’a rien perdu de son actualité. Une pièce de théâtre et un livre confirment toute la pertinence de sa pensée. Une mise en scène par Jacques Allaire, jusqu’au 6 décembre, au Théâtre du Tarmac, à Paris.
Six silhouettes grises entraperçues dans la pénombre derrière un mur de grillage des plus concentrationnaires. Corps usés, regards égarés, têtes confuses. "Peau noire, masques blancs", quatre hommes et deux femmes ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, fantômes d’une réalité sordide. Bienvenue à Blida pendant la guerre d’Algérie. Au coeur de l’hôpital psychiatrique, un médecin fait parler les âmes torturées des victimes de la folie coloniale et des bourreaux qui l’exécutent. Un psychiatre martiniquais, qui a connu lui aussi la barbarie de la domination raciale et son venin insidieux : la lente et progressive aliénation des esprits, celle qui vous fait assimiler les critères et les valeurs de l’autre, vous dépouille de votre identité et vous fait oublier qui vous êtes, vous fait croire qu’au final vous ne serez jamais "homme parmi les hommes, homme, rien qu’homme".
Né français, mort algérien, engagé lors de la Seconde Guerre mondiale contre le nazisme, compagnon de lutte du FLN et de tous les "damnés de la terre", Frantz Fanon est aujourd’hui davantage connu sur les campus américains que dans les universités françaises, voire africaines. Son oeuvre aura pourtant fortement influencé les réflexions des intellectuels du continent dans les années 1960-1970. Alors que la France s’enfonce dans de nauséabonds marécages haineux et qu’on laisse une enfant lancer en toute impunité à une ministre de la République : "La guenon, mange ta banane !", Jacques Allaire rend hommage au penseur révolutionnaire, ancien élève de Césaire.
Exiger de l’autre un comportement humain
À partir de l’oeuvre complète de Fanon, parfaitement assimilée, digérée et restituée sans emphase, l’homme de théâtre français livre une pièce forte, percutante, offrant des parallèles évidents avec la situation actuelle, où, à force de dénégation, le racisme s’est répandu à tous les niveaux de la société française. Les six acteurs – notamment Jean-Pierre Baro et Lamya Regragui – magnifient une scénographie à l’esthétique cruelle, terriblement efficace, disant toute l’horreur de la guerre et du colonialisme. Une pièce qui rappelle plus que jamais l’urgence à relire Fanon qui déjà, en 1952, écrivait : "Je me découvre dans le monde et je me reconnais avec un seul droit : celui d’exiger de l’autre un comportement humain." À faire méditer aux amateurs de banane !
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Les Damnés de la terre, d’après l’oeuvre de Frantz Fanon, mis en scène par Jacques Allaire, jusqu’au 6 décembre, au Théâtre du Tarmac, à Paris.
Meurtre pour mémoire
Tout commence comme un polar. Un certain Thomas, qui a entrepris d’écrire un livre sur un personnage qui l’obsède, reçoit chez lui un colis macabre : une tête coupée. Avec un mot : "Nous devons immédiatement porter la guerre chez l’ennemi. Le harceler sans répit. Lui couper le souffle." Phrases d’un auteur mythique, le psychiatre martiniquais Frantz Fanon, héraut de la lutte pour l’indépendance des Algériens et auteur des Damnés de la terre, auquel Thomas s’apprêtait justement à consacrer son ouvrage. Il va alors enquêter à la fois sur l’identité de l’individu décapité et, bien entendu, sur Fanon, le militant anticolonialiste et antiraciste qui légitimait la violence révolutionnaire contre les oppresseurs. Pourtant, Le Projet Fanon, de l’écrivain africain-américain John Edgar Wideman, n’est pas du tout un polar. Ce livre à l’écriture torrentielle est totalement inclassable, même si l’on peut parler de magnifique poème en prose naviguant entre roman, essai et autobiographie. S’il n’est jamais question de trouver des explications aux énigmes que Thomas doit résoudre, il s’agit bel et bien de revisiter le passé des luttes de libération – d’où l’apparition dans le livre de Patrice Lumumba ou de Malcolm X -, comme celui de l’auteur – sa jeunesse dans le quartier noir de Pittsburgh, ses relations avec son frère emprisonné pour meurtre et avec sa mère handicapée.
Le Projet Fanon, de John Edgar Wideman, Gallimard, 350 pages, 23,90 euros
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