Férid Boughedir : « Qui tire profit de la diffusion d’images doit contribuer à soutenir le cinéma »
Engagé en faveur de la coopération Sud-Sud, le cinéaste tunisien entend faire du Fonds panafricain du cinéma et de l’audiovisuel, créé en juillet, une machine à promouvoir le 7e art sur le continent.
Réalisateur de Halfaouine et d’Un été à La Goulette, critique et historien des cinémas du Sud, le Tunisien Férid Boughedir se veut aussi, voire avant tout, défenseur du cinéma africain. Il a fondé avec un groupe de militants du septième art le Fonds panafricain du cinéma et de l’audiovisuel (FPCA), dont il a été élu président du premier comité exécutif. Né en juillet 2013 à Tunis, cet organisme entend favoriser l’essor, en Afrique, d’un cinéma de qualité qui soit économiquement viable. Entreprise raisonnable ou nouveau serpent de mer dans un secteur hélas sinistré ?
Jeune Afrique : À un moment où, sur le continent, la plupart des pays ne produisent au mieux qu’un ou deux films par an, l’objectif du FPCA de relance du cinéma africain n’est-il pas utopique ?
Férid Boughedir : Je serais moins pessimiste que vous. Parfois, un unique film peut susciter dans un pays une sorte de révolution bénéfique pour tous les cinéastes. Il a suffi qu’Un homme qui crie, du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, entièrement financé par la France, soit sélectionné en compétition officielle à Cannes, en 2010, et y remporte un prix pour qu’on décide, à N’Djamena, de créer un Fonds de soutien au cinéma national alimenté par 10 % des recettes de la téléphonie mobile. Lorsqu’ils possédaient encore un nombre suffisant de salles, le Burkina Faso et la Tunisie, suivis par le Maroc puis pour une courte durée par le Cameroun et le Sénégal, avaient été pionniers en apportant un soutien à leur cinéma national. Ils n’avaient pas mis à contribution les caisses de l’État, mais prélevé un pourcentage sur les ventes de tickets pour alimenter un fonds. Ce n’est plus possible. Il faut donc aujourd’hui, comme le font la France ou l’Espagne, mobiliser des ressources en mettant à contribution l’ensemble du secteur audiovisuel, fournisseurs d’accès à internet inclus. Le Maroc a montré l’exemple. En ne prélevant que 5 % des recettes publicitaires des télévisions au profit du cinéma, il a réussi à décupler le nombre de films du pays, devenu le premier producteur du continent.
D’où vient cette idée de fonds panafricain pour le cinéma ?
Le FPCA voudrait aboutir à la concrétisation d’un rêve, celui de ces deux grands pionniers du cinéma africain que furent le Sénégalais Ousmane Sembène et le Tunisien Tahar Cheriaa. Tous deux ont fondé en 1970, à Tunis, la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci). Et ils voulaient que se crée une solidarité Sud-Sud entre les pays africains nantis et les autres. Pour compléter et même remplacer à long terme la coopération Nord-Sud, qui a certes permis l’existence d’un grand nombre de films d’Afrique subsaharienne. Le groupe de militants qui vient de créer le FPCA, après trois ans d’efforts, comprenait des personnalités de toutes origines, parmi lesquelles Alimata Salembéré, cofondatrice du Fespaco et ancienne ministre de la Culture du Burkina Faso, l’historien Elikia M’Bokolo (RD Congo) ou encore Ahmed Bedjaoui, le "Monsieur Cinéma" de l’Algérie devenu expert audiovisuel international. Peut-être des idéalistes, mais tous des gens habitués à agir.
>> Lire aussi : Un fond africain se met en place pour le cinéma et l’audiovisuel en Afrique
Pourquoi le FPCA a-t-il été fondé par ce groupe et non par la Fepaci ?
La Fepaci, dont j’ai été un membre fondateur, est le véritable initiateur du projet. Mais en tant qu’organisme professionnel de type syndical et corporatiste, elle ne peut statutairement soutenir financièrement des films ou la mise en place de structures. La Fepaci s’est adressée par deux fois, en 2003 et 2006, à l’Union africaine, laquelle a accepté de créer une "commission africaine du film" mais pas un fonds de soutien. Elle s’est alors tournée vers l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui a accepté en 2010 de soutenir la mise en place du projet.
Mais l’OIF ne couvre pas toutes les régions du continent ?
C’est pourquoi il faut saluer l’engagement de ce grand homme qu’est Abdou Diouf, secrétaire général de l’OIF, qui a accepté de dépasser les limites linguistiques et géographiques de son organisation en acceptant de soutenir le FPCA et en intervenant pour réclamer l’implication concrète des États africains. La Tunisie a répondu à son appel, en aidant à constituer un Conseil d’orientation transitoire (COT) du FPCA et à lui offrir un siège. Tous désintéressés, les membres du COT, y compris moi-même, démissionneront du comité exécutif du FPCA dès que ce dernier aura atteint le stade opérationnel. Il sera alors temps de laisser la place aux candidats présentés par les organisations cinématographiques.
Comment le FPCA, s’il réussit à se financer, pourra-t-il soutenir dans la pratique le développement des cinémas africains ?
En s’appuyant sur le proverbe bien connu : "Ne me donne pas un poisson, apprends-moi à pêcher" ! Il ne se contentera pas d’être un guichet de plus au service de la production de films africains. Il va surtout soutenir, grâce à l’envoi d’experts qu’il prendra en charge, l’installation par les États de mécanismes de soutien à leur cinéma à partir de leur marché audiovisuel spécifique. La philosophie est la suivante : qui tire profit de la diffusion d’images dans le pays doit contribuer, même à faible échelle, à soutenir la production de films.
Pourquoi avoir installé le siège légal de ce Fonds à Genève plutôt que dans une capitale africaine ?
Il ne s’agit que d’un siège provisoire, prévu par l’étude de faisabilité de la FEPACI, répondant à un souci de neutralité propre à encourager les premiers donateurs… et permettant de leur offrir les meilleurs avantages fiscaux. Il est déjà prévu de le transférer à l’île Maurice, où existeront les mêmes avantages. Puis, probablement, dans une capitale africaine dès que cela sera possible. Nous avons aussi prévu l’installation immédiate de "bureaux décisionnels" sur le continent. Car, bien sûr, ni la Tunisie, le pays où a été créé le FPCA, ni le comité exécutif élu n’auront le pouvoir de répartir les attributions financières. S’en chargeront des commissions d’experts proposées entre autres par notre parrain, la Fepaci, et par d’autres organisations professionnelles. Comme nous considérons que Ouagadougou est la capitale indiscutable du cinéma africain, j’ai personnellement écrit dès février 2013 aux autorités burkinabè pour suggérer que le premier bureau africain du FPCA y soit installé. On peut envisager que Dakar suive. La Tunisie a déjà offert d’abriter un bureau du Fonds. Il faudrait que ce dernier soit actif aussi à Durban, Harare, Maputo, Addis-Abeba pour être présent surtout là où des festivals rassemblent des cinéastes africains, qui pourront ainsi contrôler régulièrement les opérations.
Les créateurs du FPCA revendiquent une filiation avec la Fepaci mais on vous présente parfois comme des "dissidents" de l’organisation. Son nouveau secrétaire général, le cinéaste Cheik Oumar Sissoko, a déclaré que la mise sur pied du FPCA aurait été faite "en dehors de la Fepaci"…
Durant la période où la Fepaci était en léthargie, à la suite du décès de son président, les membres du COT ont dû agir seuls. Mais leurs initiatives ont été ensuite validées, en mai 2013, par le congrès de la Fepaci. C’est sous sa supervision qu’a eu lieu la création légale du Fonds à Tunis, où un membre de son bureau directeur, élu d’ailleurs à la vice-présidence du FPCA, était présent. Et il a été prévu, y compris dans les statuts, que la Fepaci jouerait un rôle central dans toutes les décisions. Il ne peut donc s’agir que d’un malentendu. Invité à la réunion fondatrice, le secrétaire général n’a pu être des nôtres à cause d’un deuil. Il a pu penser, de bonne foi, que nous avions éloigné la Fepaci du FPCA. Il a peut-être été insuffisamment informé des décisions de ses prédécesseurs, qui ont toujours conçu ce fonds comme un organisme complémentaire de la Fepaci disposant d’une certaine autonomie, nécessaire sur un plan légal. Nul doute qu’après une rencontre avec Cheik Oumar Sissoko, grand cinéaste et grand politique que nous respectons, d’éventuels différends seront aplanis.
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Propos recueillis par Renaud de Rochebrune
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