Sénégal : Macky Sall face aux impatients

Un an et demi après son élection, le président sénégalais Macky Sall doit répondre aux attentes d’une population désireuse de voir ses promesses se concrétiser rapidement.

Macky Sall lors d’une interview au Palais de la République à Dakar, le 28 juin 2013. © AFP

Macky Sall lors d’une interview au Palais de la République à Dakar, le 28 juin 2013. © AFP

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Publié le 3 décembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Sénégal : à la recherche d’un second souffle
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Sénégal : à la recherche d’un second souffle

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Pour Macky Sall, la pilule a du mal à passer. En voyant le Sénégal dégringoler de la 166e à la 178e place dans le classement "Doing Business" 2014 de la Banque mondiale, le président, élu en mars 2012, n’a pas dissimulé son agacement. "Ce qui a été noté dans ce rapport est aux antipodes de ce qui se passe au Sénégal et des ambitions de ce pays", a-t-il commenté. L’amélioration de l’environnement des affaires est en effet l’une des priorités affichées par Aminata Touré, son nouveau Premier ministre, qui entend attirer les investisseurs afin de dynamiser la croissance. Si certaines mesures récentes n’ont pas été prises en compte dans cette analyse du climat des affaires établie par la Banque mondiale, et laissent donc espérer un meilleur classement l’an prochain, la nouvelle avait de quoi contrarier le successeur d’Abdoulaye Wade, alors que les Sénégalais attendent toujours de ressentir, dans leur vie quotidienne, des effets concrets de l’alternance.

L’attente exacerbée d’un avenir meilleur

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Car de Dakar à Tambacounda, les indicateurs macroéconomiques, comme la réduction du déficit budgétaire de 8,2 % en 2011 à 5,6 % en 2012, sont des données ésotériques dont il est rare qu’on discute autour du tiéboudiène. Le chef de l’État en a fait l’amère expérience fin septembre, lorsqu’il a dû écourter son séjour à New York et sa participation à l’Assemblée générale des Nations unies pour rentrer précipitamment à Dakar où, après deux semaines de panne du réseau de distribution d’eau, la colère de la population menaçait de déboucher sur une crise sociale et politique.

Le véritable baromètre du pays ne fluctue pas en fonction des satisfecit ou des réprimandes des institutions de Bretton Woods.

Car le véritable baromètre du pays ne fluctue pas en fonction des satisfecit ou des réprimandes des institutions de Bretton Woods ; il dépend avant tout du montant de la dernière facture d’eau ou d’électricité, du prix du litre d’essence et du kilo de riz, de la gestion par les pouvoirs publics des retombées des inondations ou des perspectives d’emploi offertes à une jeunesse largement désoeuvrée malgré ses diplômes. Pour un Sénégalais de la diaspora qui rentre au pays pour fonder une entreprise, combien de ses compatriotes sont prêts à rejoindre par tous les moyens un présumé eldorado dont les chaînes satellites lui laissent miroiter les bienfaits jour après jour…

Passé l’ivresse de la victoire, l’équipe de Macky Sall est aujourd’hui confrontée à cette attente exacerbée d’un avenir meilleur, la même qui avait accueilli l’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade en 2000, après quarante années de règne socialiste. À l’époque, à peine éteints les derniers vivats célébrant le parcours des Lions de la Teranga pendant la Coupe du monde de football 2002, la désillusion avait commencé à gagner le pays. Le sopi ("changement", en wolof) tant espéré se faisait attendre et les relents de malversations entourant un régime soupçonné de se payer sur la bête avaient renvoyé une large partie de la population à ce constat fataliste : pour espérer s’en sortir, mieux vaut s’acoquiner avec les tenants du pouvoir que compter sur son seul mérite.

Le yoonu yokkute ("le chemin du progrès") de Macky Sall sera-t-il plus profitable que le sopi naguère vanté par Abdoulaye Wade ?

Une décennie plus tard, confronté à une pénurie énergétique récurrente qui excède les populations et pénalise les entreprises, à la crise de certaines filières agricoles de premier plan comme l’arachide, à l’érosion de la fréquentation touristique ou à des taux de chômage et de pauvreté qui contrastent avec l’image de bon élève que veut se donner le pays, Macky Sall saura-t-il démontrer aux électeurs, d’ici à 2017, que le yoonu yokkute ("le chemin du progrès", son programme présidentiel) leur est plus profitable que le sopi naguère vanté par Abdoulaye Wade ?

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L’incarcération symbolique de Karim Wade ne change rien

Pour l’heure, même si le Rewmi d’Idrissa Seck vient de faire défection, le chef de l’État peut compter sur le soutien d’une coalition regroupant les principaux partis : l’Alliance pour la République (qu’il a fondée), le Parti socialiste et l’Alliance des forces de progrès. Face à lui, le seul poids lourd restant en situation d’opposition frontale est celui de son prédécesseur, le Parti démocratique sénégalais, qui retarde le moment de se trouver un nouveau leader. Mais à l’approche des élections locales, prévues en juin 2014, cette union sacrée pourrait connaître quelques dissensions du fait des ambitions contradictoires de ses composantes. Avant que ne se réveillent les ambitions présidentielles de ses leaders respectifs, d’ici à un ou deux ans.

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En mars 2012, le rejet du régime Wade avait été le ferment de la victoire de Macky Sall, soutenu, face au président sortant, par une large frange de la société civile et par l’ensemble des candidats malheureux du premier tour. Fallait-il pour autant en déduire que les Sénégalais plaçaient au premier rang de leurs priorités la croisade contre l’enrichissement illicite présumé des principaux lieutenants d’Abdoulaye Wade ? La médiatisation à outrance de "la traque des biens mal acquis", avec son long cortège d’enquêtes préliminaires, n’a pas seulement eu pour effet d’éclipser les autres réalisations du gouvernement : elle a fini par provoquer la lassitude d’une partie de la population, pour qui l’incarcération de Karim Wade, aussi symbolique soit-elle, n’est pas de nature à améliorer son quotidien. Au Sénégal, la transhumance n’est pas l’apanage des responsables politiques. L’opinion, elle aussi, peut se révéler volatile.

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