Pour ou contre la Coupe du monde 2022 au Qatar ?

Ancien international marocain, Abdeslam Ouaddou est catégorique : l’organisation de la Coupe du monde 2022 doit être retirée à l’émirat. Président de la Fédération congolaise (RDC) de football, Constant Omari est d’un avis diamétralement opposé. Interview croisée.

Constant Omari, à Tunis, en novembre 2010. © FETHI BELAID/afp

Constant Omari, à Tunis, en novembre 2010. © FETHI BELAID/afp

Alexis Billebault

Publié le 27 novembre 2013 Lecture : 7 minutes.

En décembre 2010, l’organisation de la Coupe du monde 2022 a été attribuée au Qatar. Depuis, les critiques se multiplient. Certains jugent que la température qui règne dans l’émirat au coeur de l’été – autour de 50 °C – est incompatible avec la pratique du football de haut niveau. D’autres estiment que faire jouer la compétition en hiver poserait de délicats problèmes de calendrier, notamment pour les championnats européens. D’autres encore dénoncent la corruption et les violations des droits de l’homme dans le richissime émirat. Ancien international marocain, Abdeslam Ouaddou a joué de 2010 à 2012 pour les clubs qataris de Lekhwiya SC et de Qatar SC. À l’en croire, il existe des motifs suffisants pour que l’organisation de la compétition soit retirée au Qatar. Président de la Fédération congolaise de football (RD Congo), Constant Omari n’imagine pour sa part pas une seconde que celle-ci puisse avoir lieu dans un autre pays. Ils s’en expliquent. Sans ménagements.

Jeune Afrique : Comment avez-vous réagi, le 2 décembre 2010, à l’annonce de l’attribution au Qatar de la Coupe du monde de 2022 ?

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ABDESLAM OUADDOU : Le fait que ce pays n’ait pas une grande histoire footballistique ne me dérangeait pas. Après tout, ce sport est universel… Je ne connaissais du Qatar que ce qu’on voulait bien nous en montrer. J’avais en tête l’image d’un pays plutôt moderne et ouvert. Avec le temps, je me suis aperçu que je m’étais laissé piéger par cette image achetée par les Qataris à coups de milliards. Ils ont d’ailleurs plutôt bien réussi leur coup.

CONSTANT OMARI : Quand la Coupe du monde 2010 fut attribuée à l’Afrique du Sud, il y eut beaucoup de commentaires pessimistes. On disait que ce pays était l’un des plus violents de la planète, qu’il risquait d’y avoir des morts. Or tout s’est finalement bien passé. C’est la même chose pour le Qatar. Au nom de l’universalité du football, je considère que c’est une bonne chose que le Mondial lui ait été attribué.

Le monde du football a fini par réaliser qu’il fait très chaud au Qatar, surtout l’été, et qu’il est peut-être un peu dangereux d’y jouer au football…

A.O. : Il y a pourtant des médecins qui travaillent pour la Fifa ! Ils savent que les températures élevées – l’été, il peut faire au Qatar jusqu’à 50 °C – sont incompatibles avec la pratique du football. Car non seulement il fait très chaud, mais le taux d’humidité atteint 80 %. On met donc en danger la santé des footballeurs, exposés à des problèmes cardiovasculaires, respiratoires ou musculaires, mais aussi celle des supporteurs. Quand je jouais là-bas, j’ai vu des joueurs étrangers s’évanouir ! Les Qataris disent qu’ils vont climatiser les stades, mais j’ai joué dans un stade climatisé ! Il y faisait encore chaud et il y avait toujours autant d’humidité.

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C.O. : Contrairement à ce que certains pensent, le comité exécutif de la Fifa n’a pas fait preuve d’amateurisme. On joue bien au football en altitude, notamment en Bolivie ou au Pérou. Et dans certains pays africains, même quand il fait très chaud ! Vous avez une vision trop européenne du problème. Les Qataris assurent qu’ils peuvent organiser la compétition chez eux, au coeur de l’été, en climatisant leurs stades. Ils en ont la volonté et les moyens.

Êtes-vous favorable à un changement de date ?

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A.O. : Je suis surtout favorable à un nouveau vote ! Mais pour répondre à votre question, je ne comprends pas pourquoi il faudrait bouleverser le calendrier international sur une période d’au moins trois ans. Certains pays sont opposés à tout changement de calendrier. La Coupe du monde a toujours eu lieu en été, et là, pour les beaux yeux des Qataris, il faudrait jouer en hiver ?

C.O. : Pourquoi changer de date si les Qataris affirment qu’il est possible de jouer en été ? Mais je sais que la Fifa s’efforce de trouver la meilleure solution. Si, en définitive, la compétition devait se disputer en hiver, où serait le problème ? Est-ce si grave de bousculer le calendrier international ? Rassurez-vous, le football s’en remettra ! Une fois de plus, on est obnubilé par les grands championnats européens. Je rappelle à l’UEFA [la fédération européenne] qu’on joue au foot en Afrique à peu près aux mêmes dates. Et que la CAF [la fédération africaine] l’a accepté pour aider à harmoniser le calendrier international. Quant aux contrats de marketing ou ceux avec les diffuseurs, je ne pense pas qu’ils soient figés.

Selon l’hebdomadaire France Football, certains membres du comité exécutif de la Fifa auraient reçu de l’argent du Qatar en échange de leur vote…

A.O. : J’aimerais bien qu’on m’explique où se trouve la frontière entre lobbying et corruption. L’enquête conduite par l’Américain Michael Garcia le dira, mais ma conviction est faite : les Qataris ont arrosé ! Cela fera une raison supplémentaire d’attribuer la compétition à un autre pays. Comment expliquez-vous que certains membres du CE aient démissionné après le vote ? Et que dire du mail de Jérôme Valcke, le secrétaire général de la Fifa [adressé à Jack Warner, l’ancien vice-président] dans lequel il écrit que le Qatar "a réussi à acheter la Coupe du monde" ? Et puis le Qatari Mohamed Ibn Hammam, ancien membre du CE, a bien été suspendu à vie, non ? Je connais les Qataris, ils aiment faire des cadeaux…

C.O. : Si l’enquête menée par Michael Garcia prouve qu’il y a eu corruption, il faudra sanctionner les personnes concernées. Mais ce ne serait pas à mes yeux une raison pour retirer la Coupe du monde aux Qataris. Lors de l’attribution des Jeux olympiques d’hiver de 2002 à Salt Lake City, il y avait eu aussi des cas de corruption. Or les JO ont bien eu lieu là-bas, comme prévu. On en fait beaucoup parce qu’il s’agit du Qatar.

Plusieurs reportages en témoignent : les conditions de travail imposées à certains ouvriers étrangers sur les chantiers de construction des infrastructures du Mondial 2022 sont assez effarantes…

A.O. : Ce qui se passe au Qatar est un scandale humanitaire. Il y a des morts presque tous les jours. Quand j’étais là-bas, des ouvriers venaient à la mosquée pour avoir de l’eau, alors qu’il faisait une chaleur infernale. Les Qataris dépensent des milliards pour améliorer leur image et pour construire des stades, mais ils versent des salaires de misère – quand ils les versent ! – à des immigrés qu’ils font trimer sans se soucier des normes de sécurité et qu’ils logent dans des taudis. Ce n’est rien d’autre que de l’esclavage ! Et intéressez-vous aux viols dont sont victimes tant de femmes venues d’Inde, du Sri Lanka ou du Népal… La Fifa a les moyens d’intervenir, de peser sur le Qatar pour qu’il améliore les conditions de travail des ouvriers. Et le système du parrainage – kafala, en arabe – qui fait qu’un travailleur étranger dépend obligatoirement d’un Qatari ou d’une société locale est proprement scandaleux. Il y a des Français bloqués dans ce pays à cause de ça. Pour certains, ça commence à s’arranger parce que les Qataris sont propriétaires du Paris Saint-Germain et qu’ils veulent y amener un très gros sponsor, le Qatar Tourism Authority. Et puis ce pays est quand même soupçonné de financer le terrorisme islamiste ! Comment va-t-il gérer le problème de l’alcool que les supporteurs ont coutume de boire en grande quantité ? Et celui des tenues légères arborées par les supportrices – surtout par 50 °C ! Et on veut organiser une Coupe du monde là-bas ?

C.O. : Les questions relatives aux droits de l’homme sont-elles du ressort de la Fifa ? Celle-ci peut donner son avis, s’enquérir de la situation, mais je ne pense pas que ce soit au président Blatter de donner des leçons en ce domaine. Il y a un comité local d’organisation qui est censé s’occuper de cela. Une Coupe du monde aura lieu en 2018 en Russie, pays où la situation des droits de l’homme pourrait être meilleure. Qui en parle ?

Exil amer

En juin 2010, après avoir résilié à l’amiable son contrat avec l’AS Nancy-Lorraine, Abdeslam Ouaddou (35 ans) s’engage avec le club qatari de Lekhwiya SC. Il ne le sait pas encore, mais il va vivre l’expérience la plus douloureuse de sa carrière. Pour l’ancien défenseur international marocain, vice-champion d’Afrique en 2004, la première saison se passe plutôt bien. "J’avais signé pour deux ans avec une option pour une saison supplémentaire au cas où nous terminions dans les quatre premiers, raconte-t-il. Nous avons remporté le titre, mais, à partir de juin 2011, les choses ont commencé à se gâter. On m’a fait savoir que j’étais prêté au Qatar SC. Lekhwiya appartient au prince héritier du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani. Et le Qatar SC à cette même famille Al Thani." Début juillet 2012, son employeur cesse de lui verser son salaire. Ouaddou, qui est actuellement sans club, choisit de saisir la Fifa. "Au Qatar, on vous jette pour un oui ou pour un non, sans respect des contrats. Il y a beaucoup de joueurs dans mon cas, qui, souvent, se taisent. J’ai voulu dénoncer ces pratiques."

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