Chine : sur les traces du Petit Timonier
Le président Xi Jinping a lancé un grand programme de réformes économiques d’inspiration libérale. Est-il le nouveau Deng Xiaoping ? Cela reste à démontrer tant les choses ont changé depuis vingt-cinq ans.
Le document est touffu : environ vingt mille idéogrammes. Et son style ampoulé s’inscrit dans la grande tradition socialiste. Et pourtant, il s’agit certainement du plan de réformes le plus ambitieux depuis Deng Xiaoping (1978-1992). Son objectif ? Réduire le poids de l’État dans l’économie et accroître celui du secteur privé. "Nous devons avoir le courage et la volonté de nous renouveler", a lancé Xi Jinping à l’issue d’une réunion de quatre jours du IIIe plénum du comité central du Parti communiste chinois (PCC).
>> Lire aussi : Le nouveau président chinois Xi Jinping romt avec l’ancien style
Le nouveau président a pris son temps – huit mois – pour dévoiler son programme de réformes. Un programme complexe, voire contradictoire, censé permettre tout à la fois la poursuite de la croissance et l’accroissement de la liberté économique des particuliers – dans le strict cadre, bien sûr, de la politique du parti unique. "Depuis Deng, Xi Jinping est certainement le président qui concentre le plus de pouvoirs, explique l’universitaire Xiao Gongqin. Il dispose d’une grande marge de manoeuvre pour engager des réformes."
Soixante réformes pour réduire le poids de l’État dans l’économie
Ce n’est pas le seul point commun avec l’homme qui, en 1979, lança les premières grandes réformes de type capitaliste. "Comme Deng hier, Xi n’a pas renoncé à la rhétorique communiste, parce qu’il redoute par-dessus tout que sa politique ne débouche sur une explosion sociale", commente Xiao. Quand son prédécesseur avait engagé les "quatre modernisations" (industrie et commerce, éducation, organisation militaire et agriculture), lui propose soixante réformes allant de l’inflexion de la politique de l’enfant unique à la fin des camps de rééducation par le travail, en passant par le démantèlement des grands cartels d’État. Après les dix années plutôt mornes de la présidence de Hu Jintao, la décennie suivante s’annonce donc pleine de promesses. En réalité, l’équipe au pouvoir se donne jusqu’en 2020 pour réussir. "Il n’est jamais simple de faire des réformes dans ce pays, estime Zhang Bo, de l’université Beida. Il est donc encore prématuré de voir en Xi Jinping un nouveau Deng Xiaoping."
La fin des privilèges des entreprises publiques
Le projet de réforme des grandes entreprises publiques est assurément l’un des plus ambitieux, mais aussi des plus périlleux. La fin des privilèges dont jouissent ces dernières risque en effet d’attiser les rancoeurs entre les clans qui se disputent le pouvoir. Accusés d’accaparer les richesses du pays sans rien apporter en retour, les cartels devront à partir de 2020 reverser 30 % de leurs bénéfices à l’État central. Dans un souci de redistribution véritablement sans précédent, ces sommes gigantesques seront versées au pot de la sécurité sociale.
Toujours dans l’idée de "dégraisser le dragon", les cadres seront eux aussi mis à la diète.
Toujours dans l’idée de "dégraisser le dragon", les cadres seront eux aussi mis à la diète : le nombre des véhicules officiels et des personnels de service va être sensiblement réduit. En revanche, il n’est apparemment pas question d’imposer aux responsables publics de déclarer leur patrimoine. Depuis le scandale Bo Xilai, cet ancien ministre condamné à la prison à vie pour corruption, l’opinion y est pourtant favorable. Plus dangereux encore, les effectifs des personnels non combattants au sein de la pléthorique Armée populaire de libération (APL) seront réduits, même si aucun objectif chiffré n’a encore été avancé.
"Xi Jinping est à la fois à la tête du Parti communiste, du gouvernement et de l’armée, explique Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Mais ces trois piliers du régime ne s’entendent plus aussi bien que par le passé. Et chacun d’eux fait face à des coalitions d’intérêts elles-mêmes très contradictoires. Réunir tout ça n’est pas simple. Les problèmes, qu’ils soient écologiques ou économiques, sont énormes. Xi est confronté à des systèmes d’équations à inconnues multiples très difficiles à résoudre."
Grand écart entre politique économique de droite et modèle politique de gauche
Pour y parvenir, il semble donc résolu à marcher sur les traces de Deng Xiaoping. À l’instar de ce dernier, qui, à la fin de sa vie, avait entrepris une tournée des grandes villes du sud du pays au cours de laquelle il avait longuement plaidé pour la poursuite des réformes économiques, seul moyen d’engager une période de croissance sans précédent, son lointain successeur a symboliquement choisi de lancer sa présidence, au début de cette année, par un voyage dans le Sud, devenu entre-temps le coeur industriel du pays.
Mais ce grand écart permanent entre une politique économique qu’on pourrait qualifier de droite, en tout cas de libérale, et un modèle politique autoritaire de gauche pourra-t-il se poursuivre pendant dix ans encore ?
Jean-Vincent Brisset utilise l’image du colosse aux pieds d’argile. "On sait depuis les années 1990, explique-t-il, que le modèle de développement voulu par Deng est fragile, que c’est une construction sur du sable." Cette fragilité tient selon lui à l’ampleur des inégalités entre les aspirations d’une classe moyenne toujours plus riche et d’une paysannerie toujours plus pauvre. Aux luttes de factions incessantes et aux inexpugnables chasses gardées que l’armée et les grandes entreprises d’État ont réussi à constituer. Mais aussi au niveau invraisemblable atteint par la pollution, aux volontés séparatistes du Tibet et du Xinjiang, au rôle de plus en plus considérable d’internet en tant que caisse de résonance des revendications dans ce pays qui a grandi trop vite. La Chine de 2013 n’est plus celle des années 1980. Elle est plus complexe, plus explosive…
"En jouant le jeu de la réforme, Xi Jinping se borne à reprendre les méthodes utilisées par ses prédécesseurs, estime un diplomate occidental en poste à Pékin. Tous les présidents avant lui ont joué cette partition-là. Deng avait en partie réussi ses réformes, Hu Jintao avait échoué. On verra ce que donne cette nouvelle présidence."
"Enrichissez-vous !"
Quoi qu’il en soit, le pire serait assurément de ne rien faire. C’est donc à l’unisson que tous les médias officiels applaudissent ce grand élan réformateur. "Trente-cinq ans après l’ouverture de la Chine entreprise par Deng Xiaoping, c’est un nouveau départ pour les réformes", proclamaient ainsi en choeur les présentateurs des chaînes de CCTV à l’issue du plénum du comité central.
Finalement, le meilleur emprunt du nouveau président à son lointain mentor est peut-être cette capacité à détourner l’attention de l’opinion des grands enjeux politiques.
Finalement, le meilleur emprunt du nouveau président à son lointain mentor est peut-être cette capacité à détourner l’attention de l’opinion des grands enjeux politiques. En jetant l’opprobre sur des monopoles d’État, déjà très critiqués par la majorité des Chinois, en mettant en cause certains avantages acquis et en misant sur un nouvel essor de l’économie, Xi Jinping joue la carte du populisme sans prendre beaucoup de risques. La suite sera forcément plus difficile, les forces conservatrices ne cessant de renforcer leurs positions. Or son programme écarte prudemment toute idée d’ouverture politique. À l’exception notable de la suppression des camps de travail, les droits de l’homme sont les grands absents de cette feuille de route. "Je pense que c’est un pas en avant, estime cependant Nicholas Bequelin, qui suit la Chine pour Human Rights Watch. Le problème est que les autorités ont aussi l’intention d’introduire un nouveau système qui permettra de punir des gens, de les priver de liberté sans passer devant une cour et sans respecter les droits de la défense. Ce n’est donc pas la fin de la détention arbitraire."
En misant sur une relance de la croissance et sur une nouvelle ère de prospérité, Xi Jinping ne fait donc au fond que reprendre l’antienne de Deng Xiaoping : "Enrichissez-vous !" Ou, plus exactement : "Enrichissez-vous et taisez-vous !"
Enfant unique : la règle et l’exception
La décision des autorités chinoises d’autoriser une nouvelle exception à la politique de l’enfant unique a peu de chances de doper la natalité, mais n’en est pas moins symboliquement importante. À en croire Xinhua, l’agence de presse officielle, cette exemption devrait concerner les couples dont l’un des membres est lui-même fils ou fille unique, alors que jusqu’ici il fallait que l’un et l’autre le soient. Les exceptions à la règle de l’enfant unique sont d’ores et déjà, depuis des années, fort nombreuses. Elles profitent notamment aux agriculteurs dont le premier enfant est soit une fille, soit un handicapé – comme si c’était la même chose ! -, ainsi qu’aux représentants des minorités ethniques. Selon les estimations les plus optimistes, les nouvelles dispositions législatives pourraient se traduire par une augmentation de 5 % du nombre des naissances (entre 1 et 2 millions d’individus au cours des premières années). Reste à savoir combien de couples autorisés à avoir un second enfant feront usage de leur droit. Ce ne sera assurément pas un raz-de-marée. Dans la mégapole de Shanghai, un journal local estime qu’ils ne devraient pas être plus de 8 %. Le taux de fécondité est ici inférieur à 1 %. Ce qui signifie que de nombreux couples ne souhaitent pas avoir d’enfant du tout.
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