Algérie : opération quatrième mandat pour Bouteflika

Le cercle des personnalités, partis et organisations appelant le chef de l’État algérien, Abdelaziz Bouteflika, à briguer sa propre succession en avril 2014 va s’élargissant. Tandis que l’intéressé, lui, ménage le suspense.

Abdelaziz Bouteflika n’a pas décliné l’invitation du comité central du FLN. © Farouk Batiche / AFP

Abdelaziz Bouteflika n’a pas décliné l’invitation du comité central du FLN. © Farouk Batiche / AFP

Publié le 2 décembre 2013 Lecture : 8 minutes.

Malgré l’état de santé précaire du président Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, la probabilité pour qu’il brigue un quatrième mandat en avril 2 014 se renforce au fil des semaines. Le cercle des personnalités, partis et organisations l’appelant à se lancer dans la bataille d’El-Mouradia s’élargit. La décision du comité central du Front de libération nationale (FLN), réuni à Alger le 16 novembre, de faire du chef de l’État, au pouvoir depuis 1999, le candidat de la première force politique du pays n’est certes pas une investiture officielle, laquelle relève des prérogatives exclusives du congrès du parti. Mais la machine électorale de l’ex-parti unique ne s’en est pas moins ébranlée, au service d’une idée qui semblait bien compromise depuis l’accident vasculaire cérébral (AVC) dont a été victime le président le 27 avril 2013 et qui lui valut plusieurs mois de convalescence. À ceux qui agitent l’argument médical – quelques séquelles tardent à disparaître – comme un motif de rejet du dossier de candidature de Bouteflika par le Conseil constitutionnel, le secrétaire général du FLN, Amar Saïdani, rétorque que "l’ancien président américain Franklin Roosevelt a été élu à quatre reprises alors qu’il se déplaçait en chaise roulante". Pas sûr que la comparaison soit de bon augure. Car si Franklin Delano Roosevelt fut bien le seul président américain à avoir obtenu les faveurs du suffrage universel à quatre reprises, il n’a pu achever son dernier mandat, emporté par la maladie quelques mois après l’avoir entamé.

La machine Bouteflika IV en marche

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Si l’intéressé n’a pas fait part de ses intentions, il n’a pas pour autant décliné l’invitation lancée par les membres du comité central du FLN, ni démenti ce que les éditorialistes de la presse privée et les commentateurs des télévisions libres répètent à l’envi : la volonté du chef de l’État de rempiler. En réalité, la machine Bouteflika IV s’est mise en marche avant l’annonce officielle de la décision du FLN. Depuis quelques semaines, les hérauts d’un quatrième mandat font le tour des médias, trustant l’actualité face à une classe politique aussi inaudible que le patient Bouteflika. Après Amara Benyounès, patron du Mouvement populaire algérien (MPA) et ministre de l’Industrie, et son collègue des Transports, Amar Ghoul, étoile montante du courant islamo-nationaliste en rupture de ban avec les Frères musulmans du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), c’est au tour du Premier ministre de défendre l’idée d’une prolongation du bail de Bouteflika au palais d’El-Mouradia.

Abdelmalek Sellal sillonne le pays profond, inaugure nouvelles villes et infrastructures, axes routiers et usines clés en main, distribuant logements, titres de concession d’exploitation agricole ou de boutiques flambant neuves…

Abdelmalek Sellal sillonne le pays profond au nom de son mentor, inaugure nouvelles villes et infrastructures, axes routiers et usines clés en main, distribuant logements, titres de concession d’exploitation agricole ou de boutiques flambant neuves au profit de jeunes chômeurs ou commerçants de l’économie informelle. Chacun de ses séjours dans la trentaine de wilayas – sur les 48 que compte le pays – s’est achevé par une réunion avec la société civile aux allures de meeting électoral. Avec, à la clé, une rallonge budgétaire au profit de la région visitée dont le montant est loin d’être négligeable : entre 25 et 40 milliards de dinars (entre 250 et 400 millions d’euros). L’annonce est le plus souvent accompagnée d’un rappel : les nouvelles infrastructures, hôpitaux ou universités, salles omnisports ou centres commerciaux sont le fait d’un seul homme, Abdelaziz Bouteflika, "l’homme de la réconciliation nationale qui a ramené la paix sans laquelle aucune opération de développement n’est possible", répète inlassablement Abdelmalek Sellal.

"Présidence en fauteuil roulant ou pas, le pays avance"

Naïma, militante du MPA, assure que "l’idée est moins saugrenue que ne le laissent entendre certains. Ni l’âge ni les capacités physiques de Bouteflika n’altèrent le bilan de ses trois mandats. À son crédit, au plan politique, l’élimination de la menace islamiste contre les institutions de la République et une meilleure représentativité des femmes dans les instances élues. Au plan économique et social, ses bonnes performances sont incontestables. En moins de quinze ans, la consommation des ménages a été multipliée par trois, la classe moyenne s’est consolidée et le cadre de vie a été amélioré. L’Algérie est beaucoup moins immobile qu’on ne le prétend. Présidence en fauteuil roulant ou pas, le pays avance". Mais les détracteurs de Bouteflika ont, eux aussi, des arguments. L’ex-ministre de la Communication, Abdelaziz Rahabi, relève que "depuis l’accident de santé du président, le fonctionnement de l’État est fortement perturbé. Plusieurs dizaines d’ambassadeurs étrangers n’ont pu présenter leurs lettres de créance. Et pas un chef d’État étranger n’est venu à Alger depuis le 27 avril". Les incidences ne sont pas uniquement d’ordre diplomatique. Aux termes de la Constitution, l’année judiciaire est inaugurée par le chef de l’État quelques jours après les rentrées parlementaire et scolaire. Cela n’a pas été le cas cette année, ce qui n’a pas empêché Bouteflika de mettre fin aux fonctions de Kaddour Berradja, président de la Cour suprême, sans estimer devoir expliquer sa décision à l’opinion.

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L’opposition divisée comme jamais

Que fait donc l’opposition ? Ce qu’elle peut, c’est-à-dire pas grand-chose. Dans les deux chambres du Parlement, députés et sénateurs se réclament, à une écrasante majorité, du programme présidentiel. L’Alliance de l’Algérie verte, censée accrocher les nombreux micropartis islamistes à la locomotive MSP, s’apparente à un mirage. Divisés comme jamais, les fondamentalistes s’en tiennent à une revendication minimale avec l’exigence de reporter la révision de la Constitution à l’après-présidentielle. Ce qui n’aurait aucune incidence sur un quatrième mandat, l’actuelle loi fondamentale n’imposant aucune limite d’âge.

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L’idée portée par Abdelmadjid Menasra, président du Front du changement (FC, dissidence des Frères musulmans), d’un candidat unique pour les islamistes, voire pour l’ensemble de l’opposition, a fait long feu, aucune personnalité ne parvenant à faire l’unanimité. désert. Quant à la gauche, elle semble avoir adopté le mot d’ordre "il est urgent d’attendre". Le Front des forces socialistes (FFS) perd en vitalité avec une situation interne marquée par le retrait de son président fondateur, Hocine Aït Ahmed, 87 ans, et une succession délicate. Pour avoir boycotté les dernières législatives, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïc) de Mohcine Bellabes, est moins visible, donc moins influent. Les trotskistes du Parti des travailleurs (PT) évitent d’évoquer l’échéance présidentielle avant la tenue de leur congrès, prévu pour le premier trimestre 2014, qui doit trancher la question de la participation du parti au scrutin. Cependant, tout indique que le PT devrait investir sa secrétaire générale, Louisa Hanoune, pour la course à El-Mouradia. L’annonce de la candidature de l’écrivain Yasmina Khadra n’a pas, pour l’heure, produit d’effet d’entraînement. Hormis quelques candidatures sans grande envergure, peu de présidentiables à l’horizon.

Ce désert politique conforte la machine Bouteflika IV, qui continue de recruter à tout va. Avec une dernière prise de taille : les Fennecs.

Ancien patron du FLN et rival malheureux de Bouteflika en 2004, l’ex-Premier ministre Ali Benflis fait part, en privé, de son intention d’y aller, tout en retardant l’annonce officielle. Selon l’un de ses lieutenants, "que Bouteflika se présente ou non, Ali Benflis défendra les chances pour un changement salvateur". Autre ancien chef du gouvernement dont le nom est évoqué pour succéder à Bouteflika, Ahmed Ouyahia se confine dans le silence depuis sa démission, en janvier 2013, de la présidence du Rassemblement national démocratique (RND). Après dix mois de retrait du devant de la scène, il y est revenu par le biais des élections en… Mauritanie. À la demande de Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’Union africaine, Ouyahia est appelé à superviser les deux tours du scrutin législatif des 23 novembre et 7 décembre 2013. Ce désert politique conforte la machine Bouteflika IV, qui continue de recruter à tout va. Avec une dernière prise de taille : les Fennecs. La qualification de l’équipe nationale de football pour la Coupe du monde 2 014 au Brésil est en effet présentée comme celle de l’Algérie qui gagne, celle de Bouteflika. Les images des vingt-trois Fennecs sautant de joie et criant en choeur "Bouteflika ! Ô Bouteflika ! Allez, allez, allez !" tournent en boucle sur les quatre chaînes de la télévision publique. Entre deux séquences, un supporteur euphorique crie : "Quatrième Mondial pour un quatrième mandat." La machine Boutef IV tourne presque à plein régime.

Bouteflika et le patient tunisien

Depuis qu’Abdelaziz Bouteflika est revenu en Algérie, en juillet 2013, après une longue convalescence à Paris, seules trois personnalités étrangères lui ont rendu visite. Un émissaire émirati et deux hommes politiques tunisiens : Rached Ghannouchi, leader d’Ennahdha, et Béji Caïd Essebsi (BCE), ancien Premier ministre de la transition et président de Nida Tounes, principale formation du Front du salut national, coalition regroupant l’opposition aux islamistes. C’est la seconde fois que le président algérien reçoit les deux principaux protagonistes du dialogue de sourds qui enfonce la Tunisie tous les jours un peu plus dans une grave crise politique, doublée d’une nette détérioration des conditions sécuritaires avec l’apparition de nouveaux maquis islamistes au mont Chaambi et dans l’extrême sud du pays. Comme pour la première audience, les deux hommes ont été reçus à plusieurs heures d’intervalle.

Venu assister au congrès du parti algérien Ennahda, Ghannouchi a rencontré Bouteflika le 15 novembre. Au terme de deux heures d’entretien, le président algérien a demandé à Abdelkader Hadjar, son ambassadeur à Tunis, de faire savoir à BCE qu’il souhaitait le rencontrer et mettait à sa disposition un jet pour faire l’aller-retour. L’ex-Premier ministre tunisien est reçu le 17 novembre. Au menu des entretiens avec les deux hommes : les problèmes de sécurité, aggravés par la détérioration de la situation en Libye, l’impasse dans laquelle se trouve le dialogue national et, par conséquent, la paralysie des institutions et de l’économie. Bouteflika a rappelé qu’il ne s’érigeait nullement en médiateur, encore moins en donneur de leçons, mais il a fortement suggéré à BCE d’accélérer le processus de négociation autour de la désignation d’un chef de gouvernement, condition sine qua non d’une sortie de crise durable.

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