Sénégal – Sahad Sarr : « Il faut créer des alternatives pour la jeunesse »

Lancement d’un label panafricain, exposition, formation éco-spirituelle dans son village de Kamyyak… Le chanteur sénégalais Sahad Sarr multiplie les projets, résolument tournés vers l’avenir. Rencontre.

Sahad Sarr, auteur, compositeur et interprète sénégalais © Randa Osman

Publié le 24 juin 2022 Lecture : 3 minutes.

En ce mois de juin, Sahad Sarr est à Dakar, à Stéréo Africa 432, qu’il a lancé il y a quelques mois. Ce studio et label installé dans le quartier de Ouakam est aussi  « un musée » pour l’artiste. Il termine justement l’accrochage d’une exposition sur l’histoire des musiques sénégalaises des années 1960 à aujourd’hui : Jamono. Voyages dans les mémoires, proposée dans le cadre du OFF de la Biennale de Dakar.

« C’est important de transmettre, de questionner et d’archiver. Quels projets existaient avant la colonisation ? Pourquoi y-a-t-il eu, à un moment, l’avènement de musiques étrangères, de la salsa ? Pourquoi le mbalax ? Dans quel contexte arrive le hip-hop ? » Ce touche-à-tout prépare aussi un film sur le sujet. Mais d’ici là, il pilote la première édition de Stereo Africa Festival, prévue pour la fin du mois juin, avant de partir en tournée en Europe. Sans oublier, au cœur de son quotidien, les allers-retours au village éco-conçu de Kamyaak.

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Sur les traces de Felwine, Majnun et Alibeta

Il ne faut pas longtemps, au contact de l’artiste, pour saisir que quête spirituelle et volonté de transformation sociale et politique guident chacun de ses engagements. « Je ne pensais pas devenir musicien. Pour mes parents, c’était important les diplômes ». Il se souvient des premières notes de guitare au lycée Lamine Guèye, sur les traces de « [s]es frères », dont Felwine, Majnun et Alibeta.

Sahad allie un temps musique et cursus universitaire en sciences politiques puis en marketing. C’est là qu’il rencontre ceux avec qui il crée la formation The Nataal Patchwork : « Une famille, une école, une philosophie. Des musiciens avec qui [il] partage la vision d’une musique décolonisée, sans complexe ». Imprégné des sons de Miles Davis, Ray Charles, Xalam, Richard Bona, Fela Kuti, ou encore Mory Kanté, le groupe pratique une musique « fusion-jazz taxée d’intellectuelle pour son âge ». Entre une première scène en 2008, le prix des Journées musicales de Carthage en 2015 et la sortie du premier album en 2017, Sahad quitte la voie tracée des longues études pour embrasser celle de la musique et s’engager dans une quête spirituelle soufie Baye Fall.

Son initiation religieuse l’amène à parcourir le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger. Une expérience qui imprègne l’album Jiw, en 2017 et Luuma, sorti en janvier dernier. « Luuma signifie “le marché itinérant”. Une anarchie organisée où le tout forme une unité. Dans cet album, j’affirme notre place en tant qu’Africain pour regarder autrement la mondialisation. C’est un récit entre le monde urbain et le monde rural », raconte celui qui a grandi à Dakar mais dont le père, officier, avait à cœur que sa progéniture connaisse ses racines. « À la maison on parlait sérère et français. Et à chaque saison d’hivernage, nous allions chez nos grands-parents à Niodior. Ça a été une chance. »

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Éco-village spirituel

C’est à Kamyyak, près de Fatick, que depuis cinq ans Sahad – qui signifie « moisson » en wolof – construit un espace de formation dédié aux enjeux écologiques et sociaux locaux. « Ce village s’adresse d’abord aux jeunes qui, faute d’autres propositions, veulent souvent devenir lutteur, partir en Europe ou vivre en ville pour être marchand ambulant. Il faut créer des alternatives pour la jeunesse locale. »

Fabrication de savon ou de café touba, maisons en éco-construction et teintures végétales sont quelques unes des activités proposées dans un esprit « d’entrepreneuriat communautaire ». Kamyaak est conçu comme un incubateur qui rassemble habitants, étudiants et chercheurs venus de pays voisins ou d’Europe. Sahad, nourri de cosmogonie mouride, a également à cœur d’y accueillir de jeunes Baye Fall : « À Kamyaak, nous sommes dans une quête spirituelle mais via le travail ».

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Cet « éco-village spirituel » a impulsé la création d’antennes de l’association-mère Jiwnit en Allemagne et en France. « Nous partageons nos savoir-faire sur l’agroécologie depuis l’Afrique. Une manière aussi de déconstruire les rapports Nord-Sud et de parler de mouvements de fond de décolonisation », insiste Sahad. Que ce soit par l’entrepreneuriat culturel ou agricole, la vision émancipatrice qu’il appelle « utopie active » reste le fil rouge : « L’important est que les gens puissent prendre en charge des outils pour le changement qu’ils veulent pour eux et puissent se réapproprier de multiples manières de penser la réussite ». Prochain chantier pour Sahad et son équipe ? Ouvrir un studio éco-construit à Kamyyak pour produire des artistes locaux.

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