Environnement : Thulani Makhalanyane ou la passion du plancton

Embarqué à bord de la goélette française Tara dans l’Atlantique sud, ce scientifique est l’un des premiers Sud-Africains à étudier la microbiologie marine.

Thulani Makhalanyane, embarqué à bord de la goélette française de recherche océanographique Tara. © Maéva Bardy

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 19 juin 2022 Lecture : 7 minutes.

D’un extrême à l’autre. Un jour, Thulani Makhalanyane marche dans le désert namibien, à une quarantaine de kilomètres de Windhoek. Quelques mois plus tard, il rejoint la base néo-zélandaise de Scott, en Antarctique, pour y arpenter Ross Island et les Dry Valleys. Deux territoires qui, a priori, n’ont rien à voir. Et pourtant, pour le microbiologiste sud-africain, le lien est évident. Dans ces zones où les conditions de vie sont très difficiles, il existe des micro-organismes ayant développé des mécanismes de survie sophistiqués. C’est à eux que Thulani Makhalanyane s’intéresse – parce que ce qui est invisible à l’œil nu peut avoir une influence décisive sur la santé de notre planète.

Actuellement embarqué à bord de la goélette française de recherche océanographique Tara, le chercheur de 38 ans est l’un des premiers scientifiques sud-africains à se concentrer sur la microbiologie marine. Visage rond et souriant, bouc anarchique, lunettes, Thulani Makhalanyane semble être le pur produit de ce en quoi il croit, à savoir « le travail sérieux ». Sa trajectoire, même s’il ne l’évoque qu’avec modestie, laisse imaginer de longues heures d’étude et une sévère exigence quotidienne.

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Apartheid

Né dans la petite ville minière de Klerksdorp en avril 1984, Thulani Makhalanyane est le fils d’une infirmière et d’un directeur d’école. Sa mère est zouloue, son père sesotho – lui maîtrise aujourd’hui quelque six langues. « Nous avions assez pour manger, se souvient-il, soulignant aussitôt qu’il ne vivait pas dans la pauvreté, mais qu’elle guettait à la porte chaque fin de mois. Quand ma sœur est arrivée, huit ans après ma naissance, les choses se sont un peu améliorées. Mes parents ont pu acheter une petite voiture. »

Sa grand-mère tient un « shebeen », où elle vend de l’alcool : les descentes de police sont fréquentes. À l’école, dans le township, l’apartheid règne jusqu’à la libération de Nelson Mandela. Lorsque le régime raciste est aboli, le jeune garçon est autorisé à rejoindre la Christian Academy de Klerksdorp, désormais ouverte aux Noirs. « La ville est néanmoins demeurée très conservatrice, raconte-t-il. Les Blancs ont trouvé le moyen de se séparer. Quand nous sommes arrivés à l’école, ils sont tous partis, si bien qu’il n’en restait que trois ou quatre, dont le fils du directeur ! »

Encyclopaedia Britannica

Sur les bancs, Thulani Makhalanyane est un élève appliqué et discret. « Mon père me préparait pour l’école. J’étais un enfant calme, peu sociable, je passais mon temps à lire. Nous avions plusieurs volumes de l’Encyclopaedia Britannica à la maison, j’en emportais un dans ma chambre et je le dévorais. Je trouvais toujours un sujet intéressant qui m’embarquait. Je n’avais pas vraiment accès à des bandes dessinées, mais j’avais l’encyclopédie ! » Aujourd’hui, ce serait plutôt lui qui l’écrit – ses lectures de loisir le portant vers les auteurs africains-américains, surtout l’immense Toni Morrison, à qui il voue une grande admiration.

Alors que ses parents l’imaginent médecin, ses aspirations scientifiques se précisent au collège. « Je savais déjà que je voulais faire de la science, mais j’ignorais encore dans quel domaine. » Devenu étudiant au sein de la Northwest University, il s’oriente vers la chimie et la biologie. En troisième année, un projet de recherche le conduit à s’interroger sur l’impact de la cuisson dans la nourriture traditionnelle sud-africaine. « À ce stade, ce sont surtout les processus et les démarches scientifiques qui m’ont passionné », confie-t-il.

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Un autre projet d’étude l’amène à étudier les micro-organismes présents dans l’eau douce d’un village où doit être installé un système d’assainissement par osmose inverse. À l’issue de cette expérience, sa décision est prise : il sera microbiologiste. Un choix qu’il ne semble pas regretter : sur le pont de Tara, filtrant de l’eau de mer pour en extraire les plus infimes composantes du plancton, il n’accorde guère d’attention aux bestioles visibles à l’œil nu que rapportent les filets. Plus c’est petit, plus il apprécie. « Ce qui m’intéresse, c’est ce que je ne peux pas voir. »

Pour son master, Thulani Makhalanyane rejoint l’université du Cap-Occidental où un professeur enseigne la microbiologie, avec un intérêt tout particulier pour l’Antarctique, ce continent glacé que l’Afrique du Sud touche du doigt avec l’île du prince-Édouard et l’île Marion. Désormais, l’étudiant se spécialise dans les adaptations génétiques des micro-organismes, virus, bactéries et autres. S’il a quelques moments de doute, détermination, travail et persévérance caractérisent sa trajectoire. Après une courte et peu convaincante pause dans le secteur privé une entreprise produisant des polymères – il décide de mener à bien son PhD et de se consacrer entièrement à la recherche.

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C’est ainsi qu’il se retrouve d’abord dans un base de recherche du désert namibien, puis, pour quatre semaines, dans une base de l’Antarctique. En résulte un article collaboratif publié dans un magazine de référence, The ISME journal*. D’autres suivront, notamment dans le Scientific Reports** sur l’influence des courants marins au large de l’Afrique du Sud. Ses missions de terrain le conduisent au large des côtes sud-africaines, à bord des navires de recherche RV Phakisa pour les zones proches et RV Agulhas II pour les plus lointaines, lui qui, enfant, n’allait que rarement au bord de la mer.

Mieux comprendre l’impact de la pollution

En 2014, Thulani Makhalanyane devient professeur de génétique à l’Université de Pretoria. S’il existe déjà des enseignements d’océanographie en Afrique du Sud, ceux-ci se concentrent sur la chimie, la physique ou la vie animale visible à l’œil nu – mammifères, poissons, oiseaux. « Il n’y avait pas de programme de microbiologie marine à l’époque, affirme le chercheur. Aujourd’hui, j’ai en charge 18 étudiants et 3 postdocs. Nous essayons de développer ces compétences et de mettre en place de nouveaux outils, de nouvelles techniques. » Un objectif qui exige, au-delà des recherches purement scientifiques, la construction d’un réseau de correspondants internationaux et africains.

D’où l’implication de Thulani Makhalanyane dans le projet AtlantECO, financé par la Commission européenne, qui rassemble quelque 36 institutions scientifiques d’Europe, du Brésil et d’Afrique du Sud. Dans ce cadre, six grandes expéditions doivent permettre d’analyser le fonctionnement et la circulation des micro-organismes marins, et peut-être de mieux comprendre l’impact de la pollution et du changement climatique sur ces micro-organismes.

Ainsi, après avoir travaillé sur un navire japonais aux abords de la fosse des Mariannes dans le Pacifique, Thulani Makhalanyane a rejoint la mission Microbiomes de la Fondation Tara Océan pour quelques semaines de prélèvements scientifiques dans le courant du Benguela, au large de l’Afrique du Sud, de la Namibie, de l’Angola, de la RDC et de la République du Congo, puis dans le fleuve Congo jusqu’à Matadi. Avec l’idée de construire un réseau régional de chercheurs, il est accompagné à bord de la goélette par l’une de ses étudiantes de l’Université de Pretoria, Mancha Mabaso, et par une chercheuse angolaise du National Institute for Fisheries and Marine Research, Suzana Joao Da Conceiçao Nicolau, qui ont ainsi la possibilité de travailler avec des chercheurs d’autres pays.

Prédire les évolutions à grande échelle

Sur le pont du voilier de 36 mètres, des instruments de mesure de haute précision conçus pour une analyse « nanomillimétrée » de l’océan, ou plus exactement de ce qu’il contient : zooplancton, phytoplancton, nutriments, géotraces, … « Il s’agit d’assembler un puzzle gigantesque… sans en connaître l’image globale », résume avec pédagogie Thulani Makhalanyane. Mais pourquoi s’évertuer à aller pêcher des micro-organismes invisibles ? Parce qu’ils sont à la base de toute la chaîne alimentaire. Parce que leur biomasse est telle qu’elle influence les grands cycles de la planète, comme le climat. Parce qu’ils sont sensibles à toutes les pollutions. Parce qu’ils réagissent de différentes manières aux variations de leur environnement.

« Étudier les microorganismes, déterminer les changements qui les affectent et leurs réactions peuvent permettre de prédire des évolutions à plus grande échelle », ajoute Makhalanyane. S’il n’est pas médecin, comme l’auraient souhaité ses parents, le Sud-Africain participe aujourd’hui ni plus ni moins à un diagnostic de l’état de santé de la planète. Ce n’est pas pour rien que, dans sa partie africaine, la mission Microbiomes de la Fondation Tara Océan porte aussi sur les embouchures de fleuves majeurs – Orange, Congo, Sénégal – dont on peut imaginer sans difficulté qu’ils subissent l’influence de l’agriculture et d’autres activités humaines plus ou moins polluantes. Et qu’ils déversent dans la mer à la fois sédiments et poisons.

Père de deux jeunes enfants, Thulani Makhalanyane a épousé une analyste en médecine légale. Quand elle intervient sur les corps, il est déjà trop tard. Mais pour le chercheur à l’humeur joyeuse, il y a toujours de l’espoir pour la planète, même si cet optimisme « diminue lentement ». Demeure une question : y aura-t-il quelqu’un pour prendre en compte les diagnostics des océanographes et des microbiologistes qui lisent l’avenir dans le plancton ?

*Evidence for Successional Development in Antarctic Hypolithic Bacterial Communities

** The Agulhas Current Shapes Microbial Diversity and Functionality

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