Tunisie : Kaïs Saïed, le discours et la méthode

Le pays de Bourguiba serait-il en train de basculer dans une forme d’autocratie populiste ? Si l’expression peut paraître excessive, le projet et les méthodes du président de la République ne laissent pas d’inquiéter et suscitent bien des interrogations depuis son coup de force du 25 juillet 2021.

Le président tunisien au palais de l’Élysée, à Paris, le 22 juin 2020. © Charles Platiau / Reuters

Publié le 5 juillet 2022 Lecture : 11 minutes.

Énigmatique et atypique, le président tunisien, 64 ans, doit son élection, en 2019, à un concours de circonstances. Dans un contexte politique très agité et instable, son intégrité et son austérité lui ont conféré la stature d’un homme providentiel capable d’éradiquer la corruption qui mine le pays. Pendant les vingt premiers mois de son mandat, le candidat anti-système se révélera tout simplement populiste, respectera sa mission telle qu’assignée par la Constitution. Mais, très vite, il se sent à l’étroit avec un Parlement qui a trop de pouvoir à son goût.

« Monsieur Propre » manifeste dès lors son dédain pour l’Assemblée en battant froid son président, le leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui lui fait de l’ombre. Le président n’échange plus qu’avec les partis qu’il juge fréquentables. Petit à petit, Kaïs Saïed esquisse, creuse et consolide une voie nouvelle qui revient à renverser, en usant de sa légitimité, un régime dévoyé. Son passage en force, le 25 juillet 2021, prend de court les Tunisiens, mais en séduit beaucoup d’autres que le slogan « Le peuple veut » motive. Mais depuis, certains déchantent.

Kaïs Saïed, autocrate ou homme providentiel ?

Après le 25 juillet 2021, le maître de Carthage ne précise pas ses intentions et prend son temps. Il n’amende pas la Constitution, dont il interprète l’article 80 pour s’arroger les pouvoirs exécutif et législatif, et faire place à son projet. La dégradation du contexte socio-économique lui permet d’instaurer des mesures exceptionnelles avec l’appui de l’armée.

Il procède à un démantèlement méthodique des institutions, gèle l’Assemblée, qu’il dissout neuf mois plus tard, en finit avec l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi, puis avec l’Instance de lutte contre la corruption, s’en prend ensuite aux magistrats, remplace les membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et écarte tous ceux qui lui sont opposés, dont 57 juges, qu’il révoque.

Il en fait de même avec l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), qu’il place sous sa coupe. Mise en résidence surveillée, interdiction de voyage et recours à la justice militaire – pratiques inhérentes à l’état d’exception – témoignent d’un tour de vis liberticide. Kaïs Saïed, dans une attitude toute messianique, estime savoir ce que veut le peuple puisqu’il l’incarne.

Il nie avoir opéré un coup d’État, mais a néanmoins malmené la Constitution, écarté les partis et poursuit son opération d’éradication en s’attaquant aux syndicats, avec lesquels il refuse de discuter. Désormais, Kaïs Saïed décide seul, gère par décrets inaliénables et veut faire adopter une nouvelle Constitution, taillée selon ses orientations. L’escalade autoritaire est enclenchée.

Le président s’inspire-t-il du kadhafisme ?
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