Tunisie : l’UGTT maintient la pression sur Kaïs Saïed

La menace d’une grève générale le 16 juin se précise, tant le pouvoir et la centrale syndicale affichent des positions antagonistes.

Le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, dans une réunion syndicale à Tunis, le 11 juin 2022. © Hasan Mrad/ZUMA Press/REA

Publié le 14 juin 2022 Lecture : 4 minutes.

La réunion de la dernière chance avec le gouvernement a tourné court : l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) maintient la grève générale du secteur public prévue le 16 juin. 159 entreprises étatiques  sont concernées par ce mouvement qui pourrait conduire à un débrayage de l’ensemble de la fonction publique.

En Tunisie, une grève de l’UGTT est un indicateur de crise profonde. Certains évoquent celle du 12 janvier 2011 à Sfax qui a précédé celle qui a mobilisé tout le pays le 14 janvier 2011 et entraîné la chute du régime de Ben Ali.

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Entre la puissante centrale syndicale et l’exécutif, les désaccords sont nombreux. Ses détracteurs dénoncent l’irresponsabilité de l’organisation nationale qui néglige l’incidence et l’impact d’une grève sur les finances publiques.

Mais pour l’UGTT la question n’est pas là : elle est vent debout contre le maintien de la circulaire dite n°20 qui interdit d’entamer des discussions bilatérales sectorielles avec des ministères et oblige à passer par le chef du gouvernement.

De tous les combats

Elle s’indigne également de la nette dégradation du pouvoir d’achat et ne compte pas approuver une quelconque cession des entreprises publiques. « Hors de question d’y toucher ! Hors de question d’imposer des mesures douloureuses qui appauvrissent le peuple ! » tempête son secrétaire général, Noureddine Taboubi.

L’UGTT ne compte pas lâcher du lest. Parmi les signes qui ne trompent pas, la tournée effectuée sur tout le territoire par Noureddine Taboubi ces dernières semaines. À chaque étape, il répète son attachement au dialogue social et aux négociations, et souligne son engagement à défendre l’identité syndicale, dans ses dimensions de revendications sociales et nationales.

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Depuis sa création en 1946, l’UGTT tient un rôle politique à la faveur de son soutien inconditionnel à la lutte nationale. Elle a été de tous les combats, a siégé à la Constituante de 1955, a joué un rôle de contre-pouvoir et a participé au dialogue national en 2013, ce qui lui a valu d’être distinguée par le prix Nobel de la paix en 2015 pour avoir écarté le risque d’une guerre civile.

Avec plus de 750 000 adhérents, l’UGTT en impose au point que certains souhaiteraient qu’elle devienne un parti politique. Mais elle ne veut pas déroger à sa mission sociale et préfère s’assurer du maintien des équilibres sociaux.

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Restent les tentatives du pouvoir de réduire ses marges de manœuvres avec la circulaire n°20, du jamais-vu qui traduit bien la volonté du président de la République, Kaïs Saïed, de contourner les corps intermédiaires.

Ingérences présidentielles

L’UGTT a pourtant été une utile faire-valoir des décisions présidentielles du 25 juillet 2021 par lesquelles Kaïs Saïed s’est adjugé l’essentiel des pouvoirs. La centrale syndicale avait alors soutenu le coup de force. Avant de se lasser de ne pas être réellement écoutée par le chef de l’État.

Du moment où la centrale a signifié qu’elle ne participerait pas au comité consultatif mis en place pour rédiger un projet de Constitution, elle est devenue la cible de menaces, menées notamment par des groupuscules acquis à Kaïs Saïed, mais aussi d’intrigues pour disloquer sa direction en tentant notamment d’invalider le dernier congrès.

Ce serait le refus des magistrats d’accélérer la procédure d’invalidation qui a conduit à la révocation de 57 juges par Kaïs Saïed. Le président s’agace en particulier du rejet par l’UGTT des mesures d’austérité que veut engager le gouvernement de Najla Bouden.

Il l’est d’autant plus que le Fonds monétaire international (FMI) prend en compte le pouvoir de blocage de l’UGTT et exige que la centrale paraphe, au même titre que le gouvernement, le programme de réformes que lui soumet la Tunisie pour débloquer un nouveau prêt de 4 millions de dollars.

De son côté, l’UGTT persiste à exiger un débat inclusif sur les questions politiques, économiques et sociales. Et sur les bases du projet de loi fondamentale – faute de quoi, le contenu de la Constitution serait biaisé.

Elle continue de refuser de participer aux réunions de la commission consultative en charge de rédiger un projet de Constitution malgré le décret présidentiel qui le lui impose. Ce faisant, elle se réserve la possibilité d’appuyer, ou de boycotter, le référendum du 25 juillet qui vise à faire valider la Constitution par le peuple. Le président ne l’entend pas de cette oreille : ceux qui discutent ses initiatives ou qui n’y adhérent pas sont considérés comme autant d’obstacles à son projet.

Cela a été le cas pour l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) et dont l’ancien président Abdelmajid Ezzar, trop proche d’Ennahdha et donc opposant à Kaïs Saïed, a été écarté en faveur de Noureddine Ben Ayed, tout acquis à la politique du chef de l’État. Pareille manœuvre avec l’UGTT s’avérerait plus complexe, l’organisation, même traversée par des courants contraires, étant extrêmement soudée et ayant démontré par le passé qu’elle était en mesure de mener des combats de longue haleine.

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