France : Africa blues pour le Front national

Organiser une visite de Marine Le Pen en Afrique n’est pas chose aisée. Elle aura besoin de tous les soutiens, qui demeurent, pour l’instant, peu nombreux.

Les soutiens de Marine Le Pen veulent lui permettre d’élargir son électorat. © Michel Euler/AP/SIPA, DR, Martin VAN DER BELEN/AFP

Les soutiens de Marine Le Pen veulent lui permettre d’élargir son électorat. © Michel Euler/AP/SIPA, DR, Martin VAN DER BELEN/AFP

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 4 décembre 2013 Lecture : 6 minutes.

C’est un immeuble de bureau sans prétention au numéro 78 de la rue des Suisses à Nanterre, en banlieue parisienne. Bien en évidence à l’entrée trône une statue de Jeanne d’Arc. Le nouveau siège du Front National (FN) a moins d’allure que le Paquebot de Saint-Cloud, vendu en 2011 pour éponger les dettes du parti. Peu importe. Pour les troupes de Marine, l’objectif est fixé : frapper un grand coup dans quatre ans, parvenir au moins au second tour et gagner l’Élysée, en 2022 au plus tard. Pour ce faire, le parti d’extrême droite cultive ses réseaux à l’étranger.

À la manoeuvre, Ludovic de Danne, conseiller aux affaires européennes et aux relations internationales. Né en 1975 et entré au cabinet de la présidente en 2012, il soigne l’image de Marine, à coup de tweets sur le célèbre réseau social, comme cette photo prise au Parlement européen le 22 octobre avec Khurram Dastgir Khan, ministre pakistanais du Commerce. De lui, on sait peu de choses. Son ascension fulgurante est à l’image de la nouvelle génération surgie avec l’élection de Marine Le Pen à la tête du FN en 2011 : titulaire d’un DEA en sciences politiques, trilingue, il adhère au FN à l’âge de 21 ans et est élu au Comité central en 2007 à l’âge de 32 ans seulement.

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Étoffer sa visibilité auprès de la piaspora africaine

Autre but visé : organiser une tournée africaine avant la présidentielle. Mais les relations avec le continent d’un parti très fortement marqué par la nostalgie de l’époque coloniale ont toujours été compliquées. L’année 2002 – année du second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac – fut à ce titre emblématique. Alors qu’une rencontre de Jean-Marie Le Pen avec Nelson Mandela avait été annoncée en janvier, elle n’a finalement jamais eu lieu. Même Guy Brice Parfait Kolélas, actuel ministre congolais de la Fonction publique, fils d’un ancien Premier ministre et ex-membre du FN, n’a pu débloquer les choses. Sollicité aussi, Marcel Ceccaldi, l’avocat corse bien connu du continent, n’a pas eu plus de succès. Pas plus qu’il n’est parvenu à faire venir Marine en 2011 à Abidjan, en pleine crise postélectorale, pour y rencontrer Laurent Gbagbo.

C’est à cette période qu’elle se rapproche de certaines élites comme la Franco-Camerounaise Calixthe Beyala. Farouche défenseure du nationalisme et du panafricanisme prônés par l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et l’ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi, l’écrivaine n’est certes pas devenue membre du FN, mais elle a donné l’occasion à sa présidente de surfer sur des idées chères au parti défendues par des Africains et d’étoffer ainsi sa visibilité au sein de la diaspora en France.

Dans son petit bureau du deuxième étage, Éric Domard, conseiller spécial de Marine Le Pen, aime à rappeler qu’il est né au Sénégal, qu’il y a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans et que ses parents sont rentrés en France il y a peu. Il aime aussi exhiber un classeur dans lequel il range soigneusement des articles de Jeune Afrique. Il se dit "sensible" à la question africaine. Ici, tout le monde espère voir la présidente fouler le sol africain pour sortir des clichés véhiculés par les médias français.

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Mais quels pourraient être les sujets de discussions partagés par la dirigeante du FN et les chefs d’État africains ? "La préférence nationale pour l’emploi, défendue par le Sénégal par exemple, la lutte contre la mondialisation et l’ultralibéralisme, la souveraineté nationale et la fin de la Françafrique", énumère-t-il. Les contacts déjà noués sur le continent ? "De plus en plus de partis politiques africains se rapprochent de nous", assure-t-il.

En réalité, pour l’instant, il n’y a pas grand-chose. Domard cite ainsi les Patriotes démocrates pour le développement du Cameroun (Paddec), présidé par l’avocat Jean De Dieu Momo, candidat quasi invisible à la dernière présidentielle camerounaise. Créée en 2010, cette microscopique formation a récolté 7 % des voix aux municipales de Douala en septembre de cette année. Au Tchad, le Parti populaire pour la liberté (PPL), fondé le 28 octobre par le militant des droits de l’homme Issa Hissein Al-Khaly, aurait aussi effectué un rapprochement… Le FN met par ailleurs en avant ses contacts avec Bahaa Anwar, "militant égyptien qui veut créer le premier parti laïc multiconfessionnel et défenseur des droits des femmes", et sa rencontre avec "un ambassadeur du Maroc et un député de l’Istiqlal", sans bien sûr citer de noms.

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Les soutiens de Marine Le Pen. De gauche à droite et de haut en bas : Marine Le Pen ; Louis Aliot ; Jean De Dieu Momo ;
Gilbert Collard ; Aymeric Chauprade ; Ayoub Kara ; Guy Brice Parfait Kolélas ; Ludovic de Danne ; Marcel Ceccaldi. © Sipa ; DR ; AFP

Des soutiens en Israël

Marine Le Pen ne saurait se passer de soutiens plus traditionnels. Louis Aliot, son vice-président et compagnon, fils de pied-noir et petit-fils d’un juif algérien, a ainsi initié un timide rapprochement avec la droite israélienne. En décembre 2011, il est venu chercher des voix auprès des Français expatriés en terre juive. Des relations ont aussi été nouées avec Ayoub Kara, membre du parti nationaliste Likoud et actuel vice-ministre du Développement du Néguev et de la Galilée. En 2011, ce dernier s’était aussi illustré en proposant à des députés israéliens arabes un aller simple en Libye pour soutenir Kadhafi.

Louis Aliot est, en revanche, à l’origine de l’arrivée d’une carte maîtresse : l’avocat Gilbert Collard, président du comité de soutien de Marine Le Pen. Le député, issu du Rassemblement bleu marine, sera particulièrement utile sur l’Afrique subsaharienne francophone. Défenseur de la première heure de Laurent Gbagbo, il est "en lien avec le Comité Afrique France (Comaf)", explique-t-on rue des Suisses. Cette organisation a pour porte-parole Joris Nkombe, président du Mouvement populaire de défense du Congo (MPDC). Mais en février 2012, une réunion organisée par le Comaf n’avait guère réuni plus d’une dizaine de personnes de la diaspora parisienne. Là encore, rien de bien consistant. En réalité, l’avocat parisien devrait user de toute son influence au sein de la Grande Loge nationale de France (GLNF, obédience maçonnique) – dont font partie notamment Ali Bongo Ondimba, Alpha Condé ou encore Blaise Compaoré -, seul réseau solide capable d’ouvrir les portes du continent à Marine.

Peut-être aussi la présidente du Front national pourrait-elle regretter le départ au milieu des années 2000 de Samuel Maréchal. Le père de Marion, ancien cadre du parti, remarié à Cécile Houphouët-Boigny, la petite-fille de l’ancien président ivoirien, fait aujourd’hui des affaires sur le continent. Mais plus question, pour lui, de faire de la politique.

"La burqa pose problème"

Quant au Maghreb, ce sera encore plus compliqué. Car même si la dédiabolisation du FN est en marche, personne n’a oublié l’affiche qui a fait réagir Abdelaziz Bouteflika, le président algérien, en 2010 : une France aux couleurs de l’Algérie, transpercée de minarets et une femme en burqa… mettant en garde contre l’islamisation galopante de la France. "Il y a quelques années, nous légiférions sur le voile, insiste encore Éric Domard, aujourd’hui c’est la burqa qui pose problème !"

Pour travailler ses réseaux arabes, Marine pourra néanmoins compter sur une jeune recrue, Aymeric Chauprade, spécialiste de géopolitique, conseiller occulte depuis quatre ans. Intégré officiellement début novembre au sein de son cabinet, tête de liste en Île-de-France pour les élections européennes, il joue les consultants pour le roi Mohammed VI sur la question du Sahara occidental. Selon le blog Realpolitik.tv, qu’il anime, Aymeric Chauprade a obtenu la chaire de géopolitique au Collège des Forces armées royales de Rabat en 2003 et à l’École supérieure de guerre de Tunis dès 2005. Ce que ne dit pas cette biographie, c’est qu’il est un fervent partisan de la thèse du complot sur les attentats du 11 septembre 2001. Interrogé sur cette question le 18 novembre sur la radio Europe 1, il répond : "Quand il y a des choses douteuses dans une version officielle, je me pose des questions." L’intervention française en Libye ? "Une guerre inconsidérée", explique-t-il le 8 octobre devant une commission de l’ONU. Le Mali ? "Une décision courageuse de la France." Les Touaregs ? "Un projet séparatiste récupéré par des fanatiques religieux." Et de conclure : "Est-ce cela que l’on veut pour le Sahara occidental ? La question du Polisario ne peut être distinguée des questions touarègues et fondamentalistes."

Un discours qui flirte par ailleurs avec l’islamophobie et auquel le Front national est habitué. Les vieux démons sont tenaces. De la rue des Suisses aux frontières du continent, le chemin risque d’être long.

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