Front national : haut les masques !
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 1 décembre 2013 Lecture : 3 minutes.
Même avec une longue cuillère, il n’est guère aisé de dîner avec la fille du diable sans se brûler un peu. J’en ai fait l’expérience il y a un peu moins de deux ans lorsque, pour le mensuel La revue que dirige Béchir Ben Yahmed, j’ai interrogé pendant plus de deux heures l’héritière spirituelle et politique de Jean-Marie Le Pen. Robert Ménard, le cofondateur de Reporters sans frontières, à qui j’avais vivement reproché dans ces colonnes son flirt poussé avec la présidente du Front national, a dû sourire du franchissement de cette ligne rouge que je n’étais pas sûr dans le fond d’avoir placée au bon endroit. Il faut reconnaître que cette femme de 45 ans, à la poignée de main franche, au sourire d’Instamatic, qui débarque seule et à l’heure sans fiches ni notes, qui ne demande pas à relire le contenu d’un entretien qu’elle n’a pas enregistré en précisant qu’elle vous fait confiance alors qu’elle ne vous connaît pas, qui pratique la séduction tout en gardant ses distances et semble accorder de l’intérêt à ce que vous lui dites, est a priori tout à fait fréquentable. Marine Le Pen joue à merveille de ce contraste entre l’image négative que l’on a d’elle avant de l’avoir rencontrée et celle, dédiabolisée, presque bonne copine, rodée, étudiée, préparée mais tellement efficace, qu’elle s’est forgée. Marine Le Pen n’est pas antipathique comme savait l’être son géniteur. Tout le problème – et c’est là le danger – réside dans le fait que ses idées, elles, le sont.
Sous les eaux dormantes d’un discours adapté à l’interlocuteur du moment affleurent en permanence les récifs belliqueux d’une droite extrême (qualificatif rejeté par l’intéressée, mais qui, parmi les partis politiques français, se situe à la droite du FN ?), et il ne faut guère de temps pour y deviner les démons qui ne demandent qu’à ressurgir. La France de Marine le Pen, telle qu’elle apparaît à travers son programme et les pulsions de son électorat, ne sera pas bonne à vivre pour les étrangers, les immigrés, les binationaux, les demandeurs d’asile, les originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, les victimes des contrôles au faciès, les délinquants patronymiques, les militants d’ONG, les étudiants en quête de visas, les créateurs, les artistes, ni pour tous ceux qui estiment qu’il n’y a de démocratie que tolérante et de citoyenneté que plurielle. Aux yeux du monde, la France des Lumières ne sera plus qu’un astre mort. C’est tout au moins ma conviction.
Reste qu’en Afrique, où l’on porte sur les Le Pen père et fille un regard plus clinique et moins bipolaire, le Front national est souvent considéré comme un parti à l’instar des autres, en ce sens qu’il représente un visage de la France qui ne surprend plus. Pour nombre de visiteurs ou de résidents africains de la forteresse Schengen, le racisme et la xénophobie sont désormais des phénomènes banals et ce, quelle que soit la tendance politique des gouvernements en place. Dès lors, vont jusqu’à dire certains intellectuels d’Abidjan ou de Yaoundé, Marine Le Pen au pouvoir, cela aurait au moins l’avantage d’être clair et de faire tomber les masques. Il y a donc plus que jamais urgence à ce que les Français fassent savoir que Marine n’est pas Marianne et que la République a aussi la couleur de Christiane Taubira, sauf à s’entendre dire, quand il sera trop tard, qu’ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient.
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