France : le diable s’habille en Marine
Forte d’une popularité qui n’en finit pas de croître, la présidente frontiste, Marine Le Pen, poursuit sa stratégie de séduction. Fini le temps des frasques du père, le parti entend désormais se parer d’un vernis de respectabilité.
(Mis à jour le 03 janvier 2014 à 14h37 – Voir Précision à la fin de l’article)
Le Front national est sur un petit nuage. Un sondage du Nouvel Observateur publié début octobre le crédite de 24 % d’intentions de vote aux élections européennes du mois de mai 2014 devant l’UMP (22 %) et le PS (19 %). Le FN, "premier parti de France" ? Même si elle a peu de chances d’atteindre les scores électoraux annoncés, la première phase de la stratégie de Marine Le Pen, sa patronne, est gagnante sur toute la ligne. La seconde phase qui commence est destinée à la conduire à l’élection présidentielle de 2017.
Quand elle succède à son père à la tête du Front, le 16 janvier 2011, Marine est décidée à "retirer la tunique de Belzébuth" qui ternit l’image de son parti, comme elle le dit. Autrement dit, il faut le "dédiaboliser", le rendre convenable. Et suivre l’exemple de Gianfranco Fini, ancien président du Mouvement social italien (MSI), parti néofasciste qui s’est recentré en se transformant en Alliance nationale, puis en fusionnant avec la droite classique de Silvio Berlusconi pour entrer au gouvernement.
Dédiaboliser le FN sans changer le programme
"Elle a analysé la présidentielle de 2002 qui a vu Jean-Marie Le Pen affronter Jacques Chirac au deuxième tour, explique Michel Soudais, rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire Politis. Elle a constaté que son père n’avait pas progressé entre les deux tours parce qu’il faisait peur. Elle en a conclu qu’il lui fallait débarrasser le Front de son côté sulfureux et peu recommandable… mais sans changer son programme. C’est une pure stratégie de communication."
Car, à la différence de son père, elle veut arriver au pouvoir. Elle a donc fait le ménage parmi les "brebis galeuses" ostentatoirement extrémistes, comme les proches du Parti de France. "Mais surtout quand elles sont dénoncées par la presse", souligne Michel Soudais. La couverture de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute qui assimile Christiane Taubira, la garde des Sceaux, à un singe ? "Inadmissible", selon Florian Philippot, le vice-président du Front. André Kornmann, le candidat FN à la mairie de Strasbourg, parle-t-il d’utiliser des chiens d’attaque contre "la racaille" ? Débarqué.
Elle a abandonné les petites phrases provocatrices de papa. Celui-ci estimait que la Shoah avait été "un détail" de la Seconde Guerre mondiale ? Elle déclare que "la Shoah était le summum de la barbarie". L’extrême droite vomissait de tout temps les francs-maçons à l’instar des Juifs ? Marine s’affiche avec deux "frères", les avocats Gilbert Collard, devenu député apparenté FN, et Valéry Le Douguet.
Elle a gauchi son discours. La voici laïque fervente. Elle ne stigmatise plus tellement "l’étranger", que les Églises chrétiennes défendent bec et ongles, mais "l’islamiste", qu’elle condamne au nom des valeurs de la République, en susurrant qu’il "y a des religions qui posent plus de problèmes que d’autres".
Laurent Lopez, le candidat FN, remporte les élections à Brignoles,
avec 53,9% des voix, le 13 octobre. © Franck Pennant/AFP
Alain Delon, Brigitte Bardot et Jean Roucas à ses côtés
Ses positions économiques étaient fondamentalement poujadistes et vouées à la défense des petits contre les gros. Désormais, elle se rapproche des thèses monétaristes de l’économiste Maurice Allais, qui ont tout de même plus belle allure.
Dans le grand débat sur le mariage pour tous, on ne l’a pas entendue. Mais Marion Maréchal-Le Pen, sa nièce, a participé à toutes les manifestations des opposants au projet de loi.
Elle ne se réfère plus aux innombrables batailles perdues par la génération de son père, ni à Vichy, ni à l’Algérie française. Elle est jeune, 45 ans, et divorcée. Elle ne dit rien contre l’avortement. Les stars Alain Delon et Brigitte Bardot, l’humoriste Jean Roucas sont ses compagnons de route. Sa modernité et son langage simple séduisent de plus en plus de jeunes et elle a quadruplé les scores électoraux de son père parmi les plus de 60 ans, qu’elle rassure avec son discours politiquement correct.
>> Lire aussi : Marine Le Pen fait sauter les digues
Et ce relooking a porté ses fruits. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, elle a réalisé le meilleur résultat du Front avec 17,9 % des suffrages exprimés. Elle est classée par les sondages dans les premiers rangs des personnalités politiques ayant de l’avenir aux côtés de François Fillon ou d’Alain Juppé.
Forte de ces succès, la présidente du FN veut interdire à la presse de dire de son parti qu’il est "d’extrême droite". À BFM TV, elle a déclaré début octobre : "J’envisage de me tourner vers les tribunaux pour faire admettre que ce terme est péjoratif, qu’il est utilisé de manière politique et partiale pour dénigrer le FN. C’est une injure et une manière de mener une guerre sémantique contre le Front." Un combat incertain, car son père avait été débouté en 1996 de ses plaintes contre les quotidiens Le Monde et Libération, qui avaient persisté à qualifier son parti d’extrémiste.
Un front anti-européen, à l’échelle de l’Europe
Mais ne chipotons pas. Comme le dit Steeve Briois, le secrétaire général du parti, "le pari de la dédiabolisation a été gagné. Nous devons aujourd’hui gagner celui de la crédibilité". Tel est l’objectif de la seconde phase que Marine amorce en ce moment. Elle consiste à "professionnaliser" le FN en lui donnant les deux dimensions qui lui manquent pour partir à la conquête du pouvoir : un ancrage international et un maillage local.
Marine travaille au premier en tentant de constituer un front anti-européen, à l’échelle de l’Europe. Le 13 novembre, elle a persuadé Geert Wilders, son alter ego néerlandais du Parti de la liberté (PVV), de fédérer avec elle les citoyens qui "souhaitent défendre leur identité". Ensemble, ils entendent combattre l’immigration et prôner le protectionnisme. Ils ont pris contact avec le Vlaams Belong (Flamand), le Parti de la Liberté PFÖ (Autriche), les Vrais Finlandais et la Ligue du Nord (Italie).
Par souci de respectabilité, pas question de démarcher les néonazis d’Aube dorée (Grèce) ou les néofascistes de Jobbik (Hongrie). L’idée de Marine est de constituer un groupe parlementaire à Strasbourg d’au moins 25 députés européens, ce qui leur vaudrait 1 million d’euros pour ses frais de fonctionnement. Et comme les sondages attribuent à l’extrême droite entre 90 et 150 sièges au Parlement européen, il serait vraiment navrant d’éparpiller ces voix et de se priver de cette manne.
Les municipales de mars 2014 donneront au FN plusieurs opportunités. "Marine veut surtout rétablir l’appareil politique, qui n’a pas été reconstruit après la scission avec Bruno Mégret en 1998, analyse Michel Soudais. Elle veut mettre en place des cadres formatés et non des gens imprévisibles pour ne pas répéter les gestions calamiteuses de villes comme Vitrolles ou Marignane qui ont nui à l’image du Front."
Accessoirement, il s’agira de faire en sorte que "les gens s’habituent à voter pour nous", confirme Louis Aliot, vice-président et compagnon de Marine. En 2007, le FN avait eu 70 conseillers municipaux et maires se réclamant de lui. Il vise, en 2014, un millier d’élus qui constituera une pépinière "Bleu Marine", socle indispensable à la préparation de l’élection présidentielle de 2017.
Les prières des musulmans dans la rue comparées à l’occupation allemande en France
Par ailleurs, la présidente du Front rêve de "faire péter l’UMP". En effet, des fissures sont apparues dans le premier parti de droite en raison de l’attractivité nouvelle du FN sur son électorat. Trois tendances se sont distinguées dans les rangs de l’UMP : celle de son président, Jean-François Copé, qui reprend les thèmes du Front sur la sécurité et l’immigration, mais refuse de s’allier avec lui ; celle de François Fillon, l’ancien Premier ministre, qui n’exclut pas de voter pour un candidat du FN si celui-ci est "moins sectaire" ; celle d’Alain Juppé, l’autre ancien Premier ministre, qui refuse les idées de l’extrême droite et la moindre alliance électorale avec elle. Pour achever sa mue en femme politique respectable, Marine Le Pen devra ne pas succomber à la tentation de la phrase provocatrice, comme celle où elle a comparé les prières des musulmans dans la rue à l’occupation allemande en France : "C’est une occupation de pans de territoire. Certes, il n’y a pas de blindés, pas de soldats, mais elle pèse sur les habitants."
Ce genre de dérapage se répétera, selon Sylvain Crépon, professeur à l’université Paris-Ouest-Nanterre et auteur du livre Enquête au coeur du nouveau Front national, qui juge "qu’elle ne peut pas abandonner le style de l’outrance car sa marge de manoeuvre est extrêmement limitée. Si elle essaie de se donner une carrure économique, elle baisse dans les sondages et il lui faut revenir aux fondamentaux du Front que sont l’immigration et la préférence nationale. Ce qui marche, c’est la radicalité. Ce qui lui permettrait de parvenir au pouvoir, ce seraient des compromis qui la banaliseraient". Un dilemme insoluble pour l’instant.
La marge de Marine est donc beaucoup plus étroite que ne le fait croire le tintamarre médiatique autour de sa poussée automnale dans les sondages. La nette victoire sur l’UMP à l’élection cantonale de Brignoles du 13 octobre ne la met pas encore aux marches des palais de la République.
Précision
Après la publication de notre article, Me Jean de Dieu Momo, président des Patriotes démocrates pour le développement du Cameroun (Paddec), précise : « Il n’est pas exact de dire que [j’ai] été un candidat quasi invisible à la dernière élection présidentielle au Cameroun : j’en ai été l’une des révélations, notamment pour avoir lancé ma campagne dans le village de l’actuel chef de l’État, à Mvogmeka. Écrire que [nous avons] récolté 7 % de voix aux municipales à Douala n’est pas exact. Mon parti, les Patriotes démocrates pour le développement du Cameroun (Paddec), ne s’est présenté que dans le cinquième arrondissement et a obtenu deux sièges de conseiller municipal ; j’ai adressé une correspondance à Marine Le Pen pour l’inviter à une collaboration avec le Paddec car, depuis avril 2002, j’ai le sentiment que sa formation, tout comme la mienne, est victime d’un carnage médiatique visant à la diaboliser. Depuis que je lis la Lettre du Front national, je suis plus rassuré sur la justesse de son combat. »
Jean de Dieu Momo conseiller municipal Douala Ve (Cameroun) et président national du Paddec
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