OPA sur l’Union africaine

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 28 novembre 2013 Lecture : 5 minutes.

À cette place, la semaine dernière, j’ai fait état du consensus autour du décollage économique imminent de l’Afrique, indiquant que ses habitants n’allaient pas tarder à sentir que leur continent s’était enfin mis à bouger.

Pour que ce pronostic se réalise, il faut que la gouvernance rattrape le retard qu’elle a pris. Or tel ne paraît pas être le cas, comme chacun de nous peut le constater.

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J’avais attiré l’attention sur le trop grand nombre de présidents africains qui ne se résolvent pas à quitter le pouvoir : y étant solidement installés, ils prennent l’habitude des avantages qu’il leur procure ainsi qu’à leurs proches, et en arrivent à se persuader que ce qui est bon pour eux l’est aussi pour leur pays.

L’écrivain congolais Alain Mabanckou l’a dit éloquemment : "Le désespoir des Africains est lié à l’état actuel du continent : des monarques qui ont verrouillé le pouvoir et qui utilisent les richesses des nations comme si elles leur appartenaient, poussant du coup les populations à vivre dans des conditions d’indigence criante.

Qui sont les faiseurs de rois en Afrique ? Les anciennes puissances coloniales !"

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À cette tare africaine dont aucun autre continent ne souffre à ce degré s’ajoute ce que l’actualité nous met sous les yeux.

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1) Au coeur du continent, l’un de ses 54 pays, la République centrafricaine, se désagrège inexorablement depuis huit mois sans que l’organisation régionale, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), qui y a son siège, trouve un moyen sinon d’arrêter, du moins de freiner le mal dont ce pays a été saisi et qui le conduit au suicide.

L’Union africaine a pris l’initiative louable d’aider l’Égypte à régler les problèmes institutionnels et politiques créés par la destitution, le 3 juillet dernier, du président élu, Mohamed Morsi. Elle a choisi et affecté à cette lourde tâche un groupe de travail présidé par Alpha Oumar Konaré. En silence, comme il sied, et en prenant leur temps, le président Konaré et ses collègues progressent vers la bonne solution.

En revanche, cette même Union africaine ne donne pas l’impression d’être concernée par la tragédie qui endeuille le centre du continent. Ex-puissance coloniale, la France multiplie les appels pour que l’on vienne au secours de la Centrafrique, mais se garde bien, et on la comprend, de prendre sur elle la lourde charge d’y rétablir l’ordre.

Il faudra donc attendre que la machinerie de l’ONU, réputée pour sa lourdeur et sa lenteur, se mette en marche. Avec l’espoir que la "menace génocidaire" n’ait pas rendu son intervention impossible ou sans objet.

L’ONU et la France pourraient conjuguer leurs moyens pour une action plus rapide.

Quant à la Cemac, elle continue de feindre d’exister, même si les scandales financiers qui ont terni son fonctionnement n’ont jamais suscité ni de vraies sanctions ni un assainissement digne de ce nom.

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2) Pendant ce temps, dans le nord du continent, l’une des petites conséquences du Printemps arabe a été la mort de l’Union du Maghreb arabe (UMA).

Mal nommée à sa naissance, composée de cinq pays dont deux périphériques, la Libye et la Mauritanie, qui n’auraient pas dû en être, elle n’a jamais vraiment existé ni joué de rôle significatif.

La voici disparue corps et biens, et ce n’est pas plus mal. Mais quid de l’idée d’un Maghreb non désuni qu’elle a tenté de ne pas laisser mourir ?

Que faire pour que la disparition de la non regrettée UMA n’entraîne pas les pays du Maghreb à s’installer dans le "chacun pour soi", avec des frontières fermées ou, lorsqu’elles ne le sont pas, perméables à tous les terroristes et au trafic d’armes ?

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3) Mais c’est le lieu et le moment de parler de l’Union africaine elle-même. Notre organisation continentale rassemble en théorie les 54 pays du continent, dont le Soudan du Sud, enfant d’une scission, et la République arabe sahraouie démocratique (RASD), pays virtuel reconnu, le plus souvent, par des gouvernements désireux de plaire à l’Algérie…

Mais, comble du paradoxe, le Maroc, membre fondateur de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ne fait pas partie de l’Union africaine.

On peut donc dire de cette Union africaine qu’elle "embrasse trop et n’étreint pas assez" et qu’elle s’évertue à ressembler à l’Union européenne sans y parvenir, tant s’en faut.

Mais le plus grave, je le trouve dans les échos qui nous parviennent de son siège à Addis-Abeba et dont il me faut vous parler tant je les trouve préoccupants.

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Il semble bien que se soit réalisé ce que beaucoup avaient craint lorsque l’Afrique du Sud, principale puissance économique du continent, a voulu – et fait en sorte – que l’un des siens soit élu à la présidence de la Commission.

Tout se passe en effet comme si, avec Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de la Commission depuis un an, l’Afrique du Sud elle-même avait réalisé une OPA sur l’Union africaine, puisque ladite commission serait dirigée, dit-on, par un "deuxième cabinet de la présidente", formé de fonctionnaires venus d’Afrique du Sud. Ce serait au sein de ce cabinet que se prendraient les vraies décisions.

Rappelons que dans aucune autre organisation de ce type on ne confie la présidence à un citoyen du pays dominant : a-t-on vu un citoyen de l’Allemagne réunifiée à la présidence de la Commission européenne ? Ou un Américain secrétaire général des Nations unies ? Inimaginable !

La faute ayant été commise, il faut en assumer les conséquences jusqu’à la fin du mandat de Nkosazana Dlamini-Zuma, en 2016. Mais prendre d’ores et déjà, avec l’accord de l’Afrique du Sud, les dispositions pour ne la renouveler en aucun cas.

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Le pronostic évoqué au début de cette chronique a toutes les chances de se vérifier, et les Africains vont sentir, dans les prochaines années, que leur continent s’est mis à bouger parce qu’il est en train de décoller économiquement.

Une meilleure gouvernance sera alors une absolue nécessité, et ceux des présidents qui rechigneront à laisser la place seront chassés du pouvoir, car l’alternance sera devenue la règle.

Un fléau comme le paludisme, dont ne se préoccupent suffisamment ni les gouvernements africains ni leur Union africaine, devra être éradiqué. Les Subsahariens des nouvelles générations n’en seront que mieux pour assurer le développement économique.

La régression politique apportée à la Tunisie et à l’Égypte par l’accession des islamistes au pouvoir devra être surmontée d’une manière ou d’une autre car elle interdit la bonne gouvernance.

La lutte contre le salafisme et son corollaire terroriste cessera d’être menée en bonne partie par les puissances extérieures à l’Afrique pour devenir ce qu’elle aurait dû déjà être : l’affaire des Africains. 

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