Parole de macaque
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 19 novembre 2013 Lecture : 3 minutes.
Vous le savez déjà, la négresse Christiane Taubira, ministre française de la Justice, est l’objet d’attaques immondes de la part de certains esprits étroits qui prennent un plaisir sadique à la traiter de "guenon". Comme vous le savez, nous sommes bien en France, au XXIe siècle. La bêtise serait-elle héréditaire ? Avant d’y répondre, laissez-moi vous raconter une petite histoire. C’était un après-midi, il y a de cela quelques années. Un documentaire animalier m’avait retenu devant le petit écran. Un groupe de singes jouait dans une vallée, en Asie. Soudain, un tigre surgit, prêt à les dévorer. À sa vue, mes cousins primates (indigène du Congo belge, j’étais traité de macaque par le colon) se passèrent le mot et, en un cri deux mouvements, ils se retrouvèrent sur la crête d’un rocher. Ensuite, unis comme un seul homme, pardon, comme un seul singe, ils ramassèrent des cailloux et se mirent à caillasser sans ménagement le pauvre félin. Dégoûté par cette résistance inattendue, le tigre fila à toute vitesse et disparut dans la broussaille. Parole de macaque, ces cousins me parurent plus intelligents et plus courageux que n’importe quel humain "civilisé", fût-il docteur en Sorbonne.
Ces lâches, je le crois, jubilaient quand l’apartheid régnait en Afrique du Sud.
Revenons à la négresse Taubira, devenue guenon par la grâce de ceux qui se gavent de chimères en s’imaginant que, sans eux, le monde ne serait plus le monde. Ceux qui enseignent la haine et l’arrogance à leur progéniture. Ceux qui s’étranglent d’indignation chaque fois que les descendants de ceux que leurs ancêtres, du haut de leur suffisance, traitaient de sauvages, osent avoir voix au chapitre. Ceux qui prétendent défendre les valeurs de leur république mais crachent sur sa devise : "Liberté, égalité, fraternité". Parce qu’il s’agit d’une négresse, les défenseurs de ces prétendues valeurs sont devenus subitement aphones. Vous l’avez vu de vos propres yeux. Par deux fois à l’Assemblée nationale, alors que les députés socialistes acclamaient, debout, la négresse Taubira, ceux de droite sont restés honteusement assis. Comme s’ils craignaient de se compromettre. Ces lâches, je le crois, jubilaient quand l’apartheid régnait en Afrique du Sud. Ils applaudissaient lorsque l’Africain-Américain était traqué comme du gibier, sans droits, sans rien, lynché par des brutes au nom de la "suprématie blanche". À l’instar de Langston Hughes, grand poète américain qui souffrit du racisme dans son pays, Taubira a le droit de dire aux quatre vents : "Moi aussi je suis la France !" À moins que…
>> Lire aussi : Christiane Taubira et les chiens de la République
Les masques sont tombés. Mais à ceux qui sont méprisés, on dit avec une mauvaise foi nauséabonde : "Le racisme n’existe pas en France. Vous faites du racisme anti-Blancs, de la victimisation." À tous les hypocrites, à tous les lâches, à tous les paternalistes qui ont oublié les souffrances infligées à l’humanité depuis des siècles par les tenants de la "supériorité raciale du Blanc", j’adresse ces vers de Senghor : "Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France / Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n’ai que haine […]." Et ceux de Césaire : "Il n’est point vrai que l’oeuvre de l’homme est finie […] / et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force […]."
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