Bénin : à Ouidah, le musée qui manquait
Dorénavant, la Fondation Zinsou exposera une partie de sa collection à Ouidah. Une manière de faire découvrir les oeuvres d’artistes africains de renom au plus grand nombre. Une initiative salutaire.
Uniforme bleu de rigueur, les écoliers quittent l’ombre fraîche de la Villa Ajavon en rang par deux pour retrouver la poussière des rues de Ouidah. Sortie d’école ? Non. En ce 11 novembre 2013, un événement exceptionnel vient d’avoir lieu. Pour la première fois, un musée consacré à l’art contemporain a ouvert ses portes au Bénin. Ces enfants de 7 ou 8 ans ont été les premiers visiteurs à en découvrir les cimaises où sont accrochées des oeuvres signées par des artistes africains de renom, à l’instar du photographe malien Malick Sidibé, du plasticien béninois Romuald Hazoumé ou du peintre tanzanien George Lilanga.
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À l’origine de ce projet à vocation pédagogique, la Fondation Zinsou, installée depuis 2005 à Cotonou. "J’ai toujours eu envie de créer quelque chose à Ouidah, d’où est originaire ma famille", raconte Marie-Cécile Zinsou, présidente de la fondation. Petite bourgade située à une quarantaine de kilomètres de la capitale économique, la ville occupe déjà une place notable dans les livres d’histoire. C’est en effet depuis ce comptoir de la traite que des centaines de milliers d’esclaves furent déportés vers les Amériques. Mais jusqu’à présent, aucune réponse contemporaine à la hauteur de l’enjeu mémoriel n’y avait été proposée. Certes, le monument de la Porte du Non-Retour et les sculptures en ciment de Cyprien Tokoudagba sur la route des Esclaves offrent aux descendants de captifs un lieu de recueillement. Mais si "on ne construit pas son avenir sans connaître son histoire", comme le dit Marie-Cécile Zinsou, on ne le bâtit pas non plus solidement sur un sol de larmes et de cendres. L’art d’aujourd’hui, qui est souvent digestion du passé et projection vers l’avenir, peut impulser un véritable élan créatif – vital pour une société qui a plus d’idées que de pétrole !
La crème de l’art contemporain
Lors de la soirée d’inauguration du musée de Ouidah, l’économiste Lionel Zinsou (PAI Partners), qui est aussi le principal bailleur de fonds de la fondation qui porte son nom, ne s’est pas privé de raconter que l’idée d’exposer la collection familiale venait en réalité… du Japon ! C’est en effet sur l’île de Naoshima que les Zinsou ont puisé l’inspiration. La société Benesse y expose, dans des espaces dessinés par l’architecte Tadao Ando, mais aussi dans des maisons traditionnelles rénovées, la crème de l’art contemporain international ! "On s’est dit : et si on faisait Naoshima à Ouidah ? raconte Lionel Zinsou. Peut-être ne sommes-nous que 162e dans la liste des pays selon l’indice de développement humain, mais nous disposons d’un moteur puissant qui est celui de la culture. Ici, il y a une vraie passion de la culture, une vraie passion de l’éducation."
À Ouidah, c’est dans une belle bâtisse de style afro-brésilien que la fondation a décidé de présenter un dixième des oeuvres de la collection familiale, en les changeant deux à trois fois par an. C’est le hasard des rencontres qui a permis que la Villa Ajavon, construite en 1922, devienne un musée. Roger Yamadjako ne se fait pas prier pour parler de son grand-père maternel, Ayivi Ajavon – 11 femmes et 43 enfants… – qui fit fortune dans l’huile de palme et construisit sa demeure à deux pas de la cathédrale. "Il est mort en 1961, et jusqu’à récemment la maison est restée vide, mis à part la grande salle qui nous servait de lieu de réunion. Nous tenions à ce qu’elle reste dans le patrimoine familial et nous ne voulions pas la transformer en buvette ou la céder à la mairie. La proposition de la fondation correspondait exactement à ce que nous voulions, si bien que les négociations n’ont pas été longues." L’accord : un prêt des lieux pour trente ans, en contrepartie d’une restauration. En un an, le bâtiment de terre a été rénové de fond en comble, et ce jusqu’aux poignées de portes. Puis les oeuvres y ont été installées, pour certaines dans des cadres antihumidité et anti-UV. Elles y seront surveillées par 15 gardiens et seront protégées par alarme et caméras. Coût global de l’opération : sans doute un peu plus de 200 000 euros pour la rénovation, tandis que le budget provisoire de fonctionnement du musée est estimé à près de 67 000 euros.
"Je n’avais jamais rêvé que des gamins béninois iraient voir mes oeuvres",
se réjouit Romuald Hazoumé. © Jean-Dominique Burton
Un musée entièrement gratuit
Mais peut-on sans risque imposer, ex nihilo, un musée en un lieu où l’art contemporain est sans doute l’une des dernières préoccupations des habitants ? Après des débuts plutôt élitistes avec des expositions consacrées à Romuald Hazoumé et à Jean-Michel Basquiat, la fondation s’est peu à peu orientée vers une démarche plus pédagogique, à destination des enfants. "Il faut que les gens se familiarisent, qu’ils se sentent chez eux, pas qu’ils se sentent exclus, affirme Marie-Cécile Zinsou. Je préfère avoir un public plutôt que de mettre en avant une démarche complexe. Je défends l’idée de délectation !"
À Cotonou, la fondation transporte les enfants en bus jusqu’aux salles d’exposition, à eux ensuite d’y conduire leurs parents. "Je suis en train de mettre en place cette même stratégie, de contact avec les enseignants et les élèves, explique Claude Akotome, le directeur du musée. Je ne dis pas que la tâche sera facile, mais la réaction est déjà très positive et la nouvelle s’est vite répandue sur le terrain grâce aux zémidjans [mototaxis]." Et de poursuivre : "Ici, beaucoup de gens sont habitués à l’art ancien, le musée va leur permettre de découvrir quelque chose de nouveau."
Comme rien ne doit empêcher les visiteurs d’entrer dans le musée, celui-ci est entièrement gratuit. "On s’est posé la question de la gratuité, explique Lionel Zinsou. N’était-ce pas dépréciatif ? Mais même à 100 F CFA, personne n’entrerait !" Et pour celui qui entre, la promesse d’une main tendue rassure : celle d’un guide en tee-shirt rouge, expliquant les démarches artistiques du Sud-Africain Bruce Clarke, du Camerounais Samuel Fosso ou du Béninois Aston. Et tout au long du parcours, des panneaux répondent à des questions sans doute basiques, mais essentielles, comme : "Qu’est-ce que la peinture ?" ou "Qu’est-ce que la sculpture ?"
Bien entendu, la grande majorité des artistes béninois applaudissent. À commencer par le plus connu d’entre eux, Romuald Hazoumé, qui soutient la fondation depuis ses débuts. "Ce n’est jamais facile de faire quelque chose en Afrique, dit-il, il faut avoir un protecteur. J’ai joué ce rôle jusqu’à maintenant. Mais je n’avais jamais rêvé que des gamins béninois iraient voir mes oeuvres ! J’en ai pleuré ! Aujourd’hui, des gosses de Porto-Novo me reconnaissent et me disent "je te connais, notre maître nous a emmenés à la fondation !""
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Ne pas attendre de l’État qu’il prenne les initiatives
Pour l’exposition d’ouverture, Marie-Cécile Zinsou a logiquement mis l’accent sur la production locale. "Il s’agit que les gens s’identifient tout de suite. Après, ils viendront plus facilement. Pour l’instant, le concept même d’exposition n’est pas familier." Il est vrai que la grande majorité des enfants venus inaugurer les lieux, le 11 novembre, n’avaient encore jamais mis les pieds dans un musée. Plus tard, la Villa Ajavon pourra tout de même être consacrée à d’autres projets muséographiques. "On ne fige pas les choses", souligne Marie-Cécile Zinsou.
Environ un an après la destruction d’une oeuvre de Bruce Clarke par un bulldozer, sur ordre du ministère de la Culture, la résilience et la détermination de la fondation surprennent. D’autres se seraient depuis longtemps découragés. "Il faut mettre l’accent sur la culture, où réside notre identité, a déclaré Lionel Zinsou lors du vernissage inaugural. Mais nous ne devons pas attendre de l’État qu’il prenne toutes les initiatives. C’est à la société civile, à la fondation, à tous les citoyens de le faire. Nous pouvons rendre à la jeunesse de ce pays sa mémoire. La diaspora est, elle aussi, une force formidable pour restituer le passé et accomplir l’avenir." À Cotonou, la fondation se réjouit d’avoir touché plus de 4 millions d’enfants depuis sa création. Des enfants qui deviendront bientôt des adultes, des électeurs. "Tout ce que nous faisons en tant qu’artistes, ce musée, c’est pour la communauté, soutient l’infatigable provocateur qu’est Romuald Hazoumé. Les enfants, ce sont eux qui vont faire la révolution."
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