Tintin revient au Congo

Si le Maroc s’est singulièrement modernisé depuis le siècle dernier, il semblerait que les préjugés européens, eux, résistent au temps.

Une vue de la Koutoubia depuis un toit de Marrakech. © Xavier Malafosse/SIPA

Fouad Laroui © DR

Publié le 28 juin 2022 Lecture : 2 minutes.

« Où sont les lions ? »

Ce fut, paraît-il, la première phrase que prononça une célèbre actrice américaine lorsqu’elle descendit de la passerelle de l’avion qui l’avait amenée à Casablanca, dans les années cinquante du siècle dernier.

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« Where are the lions? » L’histoire – la petite – n’a pas retenu ce qu’on lui avait répondu. Ah, si nous avions été là… Les réparties possibles abondent, énoncées avec le plus grand sérieux. « Ils font la sieste, madame. – Really ? – Ils font la grève. – But why? – Tartarin de Tarascon les a tous descendus. – Oh, shocking… – Ils sont chez le dentiste. – Poor little beasts… – Ils sont allés peigner la girafe. » (Celle-là aurait été difficile à traduire en anglais…)

Il est plus probable qu’un officiel marocain bien renseigné lui avait révélé la triste vérité : le dernier lion de l’Atlas fut abattu en 1912, l’année même où la République française imposa son protectorat à un Empire chérifien mal en point. On peut voir dans cette frappante concomitance une sorte d’image ou de métaphore. Mais c’était dans les années cinquante. Aujourd’hui, les voyageurs sont plus avertis, n’est-ce pas ? Tintin au Congo, c’est fini, n’est-ce pas ? Les préjugés, les caricatures, les appréciations condescendantes, voire injurieuses, tout cela n’est plus de mise ?

Je l’ai longtemps cru. Et puis, un samedi de ce joli mois de juin, j’ai été rappelé à une déconcertante réalité : l’éternel jeune homme à la houppette blonde n’a jamais quitté notre continent. Ou plutôt, il y revient de temps à autre, sous des guises différentes. Ce samedi de juin, donc, à Marrakech. Il fait beau – c’est presque un pléonasme dans cette ville – et je me trouve avec un groupe d’auteurs européens de passage dans le royaume. Ils sont tous de bonne compagnie, respectueux du local, curieux, amicaux.

Où sont les voleurs ?

Sauf un. Dès notre arrivée dans la médina, il demande, à la cantonade :

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« Où sont les voleurs ? »

Je ne plaisante pas – ce serait de mauvais goût –, je n’invente rien. Sur le coup, je suis choqué mais je ne dis rien. Peut-être ai-je mal entendu ? Mais non. Nous visitons la splendide medersa Ben Youssef, puis le fameux « jardin secret », puis le riad Kniza, où nous déjeunons – et l’homme, aveugle à toutes ces merveilles, ne cesse de marmonner : « Où sont les voleurs ? Je n’en ai encore vu aucun… Lui, là-bas, c’en est un ? »

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Je sais : si on m’avait raconté cette anecdote, je l’aurais trouvée difficile à croire. On est en 2022 quand même. Marrakech est superbe avec ses larges avenues, ses hôtels de luxe, ses parcs et ses jardins, ses monuments. Le pays est moderne avec ses autoroutes, son TGV, son industrie, ses universités – mais non : Tintin n’a d’yeux que pour ces voleurs invisibles qui semblent l’obséder.

Et puis, mille sabords ! Il y avait des Marocains dans le groupe, c’était d’une monstrueuse indélicatesse de clamer sous leur nez « Où sont les voleurs ? » comme si c’était tout ce que leur pays avait à offrir. L’actrice américaine, tout aussi cruche, avait au moins le bon goût de réclamer des lions…

Je me suis efforcé de rester près d’autres membres du groupe – un Canadien, un Allemand, quelques Français, un Chinois de Singapour – qui semblaient vraiment apprécier la promenade dans Marrakech. Tintin revient toujours au Congo mais il n’est plus le seul visiteur. Heureusement !

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