Inde : objectif Mars

Le 5 novembre, la sonde Mangalyan a décollé de la base de Sriharikota. Direction : la planète rouge. C’est l’aboutissement provisoire d’un programme spatial lancé dès la fin de l’ère coloniale.

5, 4, 3, 2, 1, 0 ! Début d’un beau voyage de 400 millions de kilomètres. © Isro/AFP

5, 4, 3, 2, 1, 0 ! Début d’un beau voyage de 400 millions de kilomètres. © Isro/AFP

Publié le 19 novembre 2013 Lecture : 6 minutes.

Mardi 5 novembre, base de lancement de Sriharikota, dans l’État d’Andhra Pradesh, à 80 km au nord de Chennaï. Il est 14 h 38, heure locale. La sonde Mangalyan vient de s’arracher du sol. L’interminable périple qui doit la conduire jusqu’à la planète Mars commence. Quarante-quatre minutes plus tard, les applaudissements crépitent, l’engin a réussi à se placer dans l’orbite de la Terre. "C’est le modeste commencement de notre mission interplanétaire", commente Deviprasad Karnik, porte-parole d’Indian Space Research Organisation (ISRO), la société spatiale nationale. Jusqu’au 1er décembre, la sonde va donc tourner autour de la Terre afin de prendre de la vitesse avant de s’élancer vers Mars. Ce voyage de 400 millions de kilomètres devrait durer, dans le meilleur des cas, quelque trois cents jours.

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Mission accomplie ? Il est encore trop tôt pour le dire. Car dans ce type d’expédition martienne, les échecs sont fréquents. Dans le passé, moins de une mission sur deux (21 sur 51) a été couronnée de succès. La Chine en sait quelque chose. En 2011, sa sonde Yinghuo 1 n’est jamais parvenue à prendre la trajectoire de la planète rouge, ce qui, bien sûr, donne au tir indien une saveur toute particulière… Après les États-Unis, la Russie, l’Europe et le Japon, l’Inde rejoint donc le cercle très fermé des pays engagés dans l’exploration de Mars. Dans la grande course à la haute technologie dont l’Asie est le théâtre – et à laquelle elle feint de ne pas participer -, elle vient bel et bien de marquer un point contre le grand rival chinois.

Il est vrai qu’elle dispose en ce domaine d’une longue tradition spatiale naguère impulsée par des responsables politiques comme l’ancien Premier ministre Jawaharlal Nehru, un passionné de sciences, et par des scientifiques charismatiques au premier rang desquels Vikram Sarabhai, fondateur en 1947 du Physical Research Laboratory, à Ahmedabad, et véritable "père" du programme spatial indien. La philosophie de ce grand visionnaire a toujours été de mettre le spatial au service de la société civile. En 1969, c’est notamment grâce à lui que l’ISRO a pu voir le jour.

Dès le début de la décennie, l’Inde avait établi de fructueux contacts avec les États-Unis. La Nasa avait ouvert ses portes à certains de ses savants pour qu’ils se forment à l’assemblage et au lancement de fusées-sondes. C’est le paisible village de pêcheurs de Thumba, dans l’État du Kerala, qui, en raison de sa proximité avec l’équateur magnétique, avait été choisi pour accueillir une base de lancement. Le 21 novembre 1963, Nike-Apache, une sonde made in USA, fut lancée à partir de ce site. Outre les États-Unis, d’autres pays comme la France et la Russie participaient à l’opération. La recherche spatiale indienne était sur les rails. Au cours des douze années suivantes, de nombreuses sondes russes, françaises, allemandes et japonaises (350, au total) seront lancées depuis le pas de tir de Thumba.

Perte de contact avec le premier satellite pour Mars

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En 1964, les États-Unis expédient dans l’espace la sonde Mariner 4, qui transmettra à la Terre les premières photos de la surface de Mars. En 1967, l’Inde conçoit pour sa part sa première sonde, Rohini 75, d’un diamètre de 75 mm et d’un poids de 10 kg. Ce sera le premier d’une longue série d’engins chaque fois plus lourds et plus complexes. En 1971, c’est au tour de l’Union soviétique de s’illustrer en faisant atterrir un premier vaisseau sur la planète rouge. Son nom ? Mars 3. À la même époque, le gouvernement indien prend la décision de construire son propre lanceur. Ce sera chose faite moins de dix ans plus tard. Sous la houlette de Satish Dhawan, le directeur de l’Indian Institute of Sciences, qui a pris la relève de Sarabhai, mort en 1971, l’Inde développe la fusée SLV-3 (pour "Satellite Launch Vehicle" : "engin lanceur de satellites"), un lanceur comportant quatre étages capable de placer sur orbite une charge de 40 kg.

Mais le pays n’a pas attendu de disposer de son propre lanceur pour développer ses capacités spatiales. Le 19 avril 1975, le satellite Aryabhata, du nom du célèbre astronome indien (476-550), est lancé par une fusée soviétique Cosmos-3M. Quelques jours plus tard, le contact est perdu, mais cette première mission ouvre la voie à beaucoup d’autres. En 1979 et en 1981, les satellites Bhaskara I et Bhaskara II – du nom cette fois d’un mathématicien du XIIe siècle – emportent des caméras de télévision qui transmettent de précieuses images du sous-continent à l’origine de spectaculaires avancées dans les domaines de l’hydrologie, de la géologie, de l’étude des forêts, mais aussi des télécommunications. Tout au long des années 1980 et jusqu’en 2009, le lancement de satellites Insat (pour "Indian National Satellite System") permet à l’Inde de se doter d’un vaste réseau de télécommunications, de diffusion de télévision et de prévision météorologique.

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"Le programme spatial indien a toujours été centré sur la société, répète K. Radhakrishnan, l’actuel président de l’ISRO, quand on lui fait remarquer que, dans ce pays encore très pauvre qu’est l’Inde, les 55 millions d’euros qu’a coûté la mission martienne auraient pu être employés plus utilement. Chaque roupie dépensée a eu des retombées bénéfiques, notamment dans la gestion des catastrophes naturelles. Récemment, avant l’arrivée du typhon Phailin, les images transmises par Insat aux services de la météo nationale ont permis de sauver des milliers de vies."

Le 22 octobre 2008, trente-neuf ans après l’exploit de Neil Armstrong, l’Inde est devenue la quatrième puissance, après les États-Unis, l’Union soviétique et l’Europe, à placer, grâce à une fusée PSLV, un engin, la sonde Chandrayaan 1, en orbite autour de la Lune. Cette mission a notamment permis de révéler la présence d’eau sur notre satellite.

Que faut-il attendre de cette nouvelle expédition martienne – si, naturellement, elle arrive à son terme ? À l’instar de Maven, la sonde que la Nasa devait lancer ce 18 novembre, elle a pour objectif d’étudier l’atmosphère de la planète rouge. Les deux engins devraient d’ailleurs se trouver en même temps dans l’orbite de Mars le 24 septembre 2014.

Mais les similitudes s’arrêtent là. L’Inde ne peut consacrer à son programme qu’une somme dix fois inférieure à celle que la Nasa investit dans le sien. Les États-Unis en sont à leur vingt-deuxième opération martienne, l’Inde à sa première. La mission américaine devra s’efforcer de répondre à des questions précises. Par exemple : pourquoi la planète rouge a-t-elle vu disparaître la plus grande partie de son atmosphère ? Son alter ego indien a nécessairement des ambitions à la fois plus modestes et plus générales.

Étudier la présence de méthane

L’une d’elles devrait néanmoins susciter la curiosité de la communauté scientifique. "Nous souhaitons étudier la présence éventuelle de méthane, ce qui serait un précieux indicateur d’une possible vie sur Mars", explique Radhakrishnan. Lancé en 2011 par la Nasa, le robot Curiosity n’avait pour sa part décelé que d’infimes quantités de ce gaz à la surface de la planète rouge. Une découverte indienne dans ce domaine aurait donc une importance capitale. "Dans un second temps, nous souhaitons déterminer l’origine de ce méthane, établir s’il provient d’un processus biologique ou d’un processus géologique."

Prudence toutefois, le rêve spatial peut se briser à tout moment. Le 11 novembre, par exemple, la sonde n’arrivait plus à atteindre la vitesse souhaitée. Il a fallu des manoeuvres supplémentaires pour rectifier le tir. Les ingénieurs de l’ISRO ont donc de bonnes raisons de se montrer circonspects. "Il nous reste un long voyage à parcourir, expliquent-ils. Dans le temps et dans l’espace."

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