Tunisie : la grève générale de l’UGTT très suivie
Engagée dans un bras de fer avec le président Kaïs Saïed, l’organisation du travail fait la démonstration de son influence intacte au sein de la société civile.
Pas un avion ne décolle ni n’atterrit en Tunisie, pas un bateau ne décharge sa marchandise. C’est tout juste si certains services publics ont consenti un service minimum. Très attendue, la grève générale, touchant près de 159 départements du secteur public, a été respectée par 96,22 % des concernés sur tout le territoire tunisien.
Un succès prévisible, d’autant que la décision de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a reçu un soutien sans précédent de nombreuses organisations internationales, dont la Confédération syndicale internationale et la Fédération américaine du travail-Congrès des organisations industrielles, sans compter la société civile tunisienne.
Mieux, pour les associations locales comme celle des Femmes démocrates (ATFD) ou le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), la solidarité avec l’UGTT est une tradition qui se poursuit depuis des années au fil des batailles sociales engagées. « L’UGTT est le seul contre-pouvoir qui parvienne actuellement à se faire entendre. Ce qui rend sa voix encore plus précieuse », souligne une militante féministe.
Le succès du mouvement n’allait pourtant pas de soi. La centrale syndicale et son secrétaire général, Noureddine Taboubi, sont dans le collimateur du président de la République, Kaïs Saïed, qui ne leur pardonne pas d’avoir boudé son projet de Tunisie nouvelle.
Dans un premier temps, l’UGTT avait pourtant soutenu le locataire de Carthage après ses décisions du 25 juillet 2021 par lesquelles il s’était arrogé l’essentiel des pouvoirs.
La circulaire n° 20 en cause
Mais le peu de disposition qu’a montrée le chef de l’État à organiser un dialogue national inclusif ou même à prendre en compte les suggestions de l’UGTT a conduit le syndicat à changer de braquet. En cause, la circulaire n° 20, qui empêche la centrale de mener des discussions sectorielles bilatérales avec les ministères et l’incite à s’adresser uniquement à la chefferie du gouvernement.
Une situation devenue inextricable quand le Fonds monétaire international (FMI) a exigé, au vu de l’importance de l’UGTT dans le secteur public, que le syndicat avalise les projets de réformes que le gouvernement se proposait de soumettre à l’institution internationale pour entamer des négociations en vue d’un nouveau prêt.
Pour Kaïs Saïed, c’en est trop. Il est parvenu à en finir avec les partis, à morceler la société civile et les corps intermédiaires, mais la centrale ainsi que le corps des magistrats continuent à lui opposer de la résistance.
Pourtant, la grève générale du 16 juin ne se veut pas politique. La centrale réclame le démarrage des pourparlers sociaux afin de rétablir le pouvoir d’achat, l’annulation de la cotisation de 1 % pour les employés du secteur public – qui devait être prélevée pendant un an en 2017 mais continue d’être ponctionnée –, le lancement des réformes dans les entreprises publiques et l’annulation de la circulaire n° 20.
L’appui de Mezri Haddad
Mais les soutiens du président, comme les membres du Mouvement du 25 juillet, se sont livrés à une campagne de dénigrement de la centrale, accusée notamment de corruption, dans l’espoir qu’un décret vienne dissoudre l’activité syndicale. Mais, s’agissant de l’UGTT, Kaïs Saïed éprouve quelques scrupules à toucher à un symbole national.
Parmi les appuis du président, une figure inattendue a réémergé. Mezri Haddad, jadis soutien notoire de l’ex-dictateur Zine el-Abidine Ben Ali et proche des Émirats arabes unis, se fend de posts acerbes contre l’UGTT entre deux visites nocturnes à Carthage, sans faire grand cas du droit de grève en démocratie.
« La décision de l’UGTT [de lancer] une grève générale est une action antinationale qui relève de la haute trahison et de l’atteinte à la sécurité nationale » écrit-il sans ambages.
Quoi qu’il en soit, l’organisation semble bien décidée à maintenir ses revendications sociales et à lutter contre la dégradation du pouvoir d’achat qui affecte toutes les franges de la société. « La centrale est une vigie », conclut un ancien député.
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