Guinée équatoriale : Obiang fait bande à part

Rien ne va plus à la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. La Guinée équatoriale a décidé de ne pas appliquer l’accord de libre circulation des personnes et des biens signé en juin. Un mauvais coup pour l’intégration régionale.

Teodoro Obiang Nguema, le président équato-guinéen, le 14 juin à Libreville. © Steve Jordan/AFP

Teodoro Obiang Nguema, le président équato-guinéen, le 14 juin à Libreville. © Steve Jordan/AFP

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 21 novembre 2013 Lecture : 6 minutes.

Cinq mois. C’est le temps qu’a mis la Guinée équatoriale pour revenir sur sa signature. Le 8 novembre, le gouvernement a annoncé qu’il n’appliquerait pas sur son territoire l’accord de libre circulation des personnes et des biens, signé en juin à Libreville et qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2014 dans l’espace de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac).

Se sentant libre de tout engagement, le président Teodoro Obiang Nguema décide donc de différer l’application de ce texte, qui prévoyait de supprimer l’exigence de visas aux frontières des États membres. Les capitales des pays voisins n’ont pas vu venir ce revirement. Pas plus que le président de la Commission de la Cemac, le Congolais Pierre Moussa, qui déclarait il y a une semaine dans J.A. "qu’à partir de janvier" il n’y aurait "plus de problème de visa pour les séjours de moins de trois mois".

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Le coup est rude pour cette organisation sous-régionale qui entamait sa phase de redécollage après la crise centrafricaine. En plus de fragiliser l’esprit communautaire, cet épisode fâcheux va davantage saper la confiance : on sait désormais qu’une mesure, même solennellement adoptée en conférence de chefs d’État, peut être unilatéralement remise en cause. "Qui est le plus à blâmer dans cette affaire ? s’interroge un cadre de la Cemac. Les présidents qui ont pris le risque de voir leur autorité se déprécier, ou les experts qui, par manque de courage, les ont laissé aller plus vite que la musique en fixant l’échéance au 1er janvier alors que ce délai était manifestement impossible à tenir ?"

Janvier 2014 : un choix surréaliste

De fait, le choix de janvier 2014 était surréaliste. Car à ce jour, seuls le Cameroun et le Congo ont les moyens techniques de délivrer à leurs citoyens les passeports biométriques Cemac prévus par l’accord. Quant au modèle de visa destiné aux pays tiers, il n’a toujours pas été réalisé. Ce n’est pas tout. Les retards concernent également l’acquisition d’équipements électroniques ayant la capacité de "traiter" les passeports biométriques aux frontières de la communauté.

Le silence gêné qui a suivi l’avanie infligée à ses pairs par le plus petit État – environ 700 000 habitants – de la communauté tient évidemment au caractère ultrasensible du sujet. D’autant que, dans cette communauté regroupant des pays n’ayant pas le même poids démographique ou économique, les mouvements de population sont un enjeu de politique intérieure potentiellement explosif.

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La volte-face de Malabo met notamment en difficulté Ali Bongo Ondimba, le président gabonais, partisan enthousiaste de l’ouverture des frontières. À contre-courant de son opinion, un tantinet frileuse sur ce chapitre, il a opéré un virage à 180 degrés par rapport à son prédécesseur. Sous Bongo père en effet, il n’est pas sûr qu’un tel accord aurait pu voir le jour. Le Palais du bord de mer a changé de locataire, le Gabon d’époque. Tout à ses projets d’émergence, le nouveau chef de l’État voit loin et pense à l’après-pétrole, une sombre perspective que les baisses de production de ces dernières années laissent entrevoir. Il a planifié la diversification de l’économie nationale et mise sur le marché commun en zone Cemac, dont la libre circulation des biens et des personnes constitue une étape incontournable.


Le Congolais Pierre Moussa (à g.) président de la Commission de la Cemac,
à Brazzaville, en octobre 2012. © Baudouin Mouanda pour J.A.

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Malabo, phobique du conflit

La peur de "l’autre" ? Bongo fils en sait quelque chose, lui dont les collaborateurs "étrangers" sont la cible quasi quotidienne des tenants de la "préférence nationale" à la gabonaise… Pour dissiper tout malentendu, "Ali" a choisi la pédagogie : "Il ne faut pas confondre circuler et s’installer", expliquait-il, le 17 août, à ses compatriotes qui craignaient un afflux d’étrangers et, partant, l’explosion de la criminalité et du chômage.

L’embarras est tout aussi grand au Congo-Brazzaville et au Tchad. Nul ne sait si les autres pays membres garderont le cap en dépit de la défection de l’un des six. Même mutisme au Cameroun, avec qui la Guinée équatoriale partage 189 kilomètres de frontière terrestre. Les Camerounais sont depuis longtemps résignés à supporter stoïquement les sautes d’humeur de leur très susceptible voisin du Sud. Le palais d’Étoudi observe avec un flegme méritoire le manège des fermetures-ouvertures quasi trimestrielles de la frontière commune, au gré des faits divers, et conserve son calme lorsque l’opinion s’émeut des expulsions massives de Camerounais. Il a fallu l’enlèvement, le 7 octobre 2008, d’un opposant équato-guinéen réfugié au Cameroun, pour faire perdre patience à Yaoundé. Mais tout est vite rentré dans l’ordre.

Plus que par la peur de l’étranger, Malabo est tenaillé par l’obsession sécuritaire et la phobie du complot. Depuis la découverte dans les années 1990 d’importantes réserves pétrolières et, plus récemment, de gros gisements gaziers, ce pays à moitié insulaire qui se sait riche a des réflexes de citadelle assiégée. Pas question de laisser entrer des hordes d’immigrés, fut-ce pour un séjour de trois mois. Depuis que la manne pétrolière abonde, plusieurs braquages ont été perpétrés. Plus grave, un coup d’État a été déjoué avec l’aide du Zimbabwe, en mars 2004. Ces menaces ont exacerbé la méfiance d’Obiang Nguema et accru sa propension à tout contrôler. Ainsi, au bout d’une longue guerre d’usure, le président a fini par obtenir la nomination d’un cadre équato-guinéen, Lucas Abaga Nchama, à la tête de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), où son pays détient à lui seul environ 50 % des réserves de toute la sous-région. Il a également des yeux et des oreilles au coeur de la Cemac, à Bangui : il a placé en 2012 à la vice-présidence de la Commission une très proche parente, Rosario Mbasogo Kung Nguidang, fringante trentenaire anciennement directrice générale de l’intégration régionale.

Une suite d’accord peu ou pas suivis

Qui s’étonne encore que, dix-neuf ans après la création de la Cemac, la libre circulation des personnes et des biens ne reste qu’un projet, à l’instar d’Air Cemac dont le vol inaugural, annoncé à maintes reprises, n’a jamais eu lieu ? Ou que la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale et le Douala Stock Exchange s’éloignent l’un de l’autre plus qu’ils ne se rapprochent ?

L’organisation sous-régionale est rattrapée par la réalité. L’intégration en Afrique centrale se résume à une suite de résolutions et d’accords peu ou pas suivis, mais jamais mis en oeuvre. Confortée par sa puissance financière, l’ancienne colonie espagnole reprend donc crânement le chemin de l’isolement, d’où elle était sortie en 1984 pour rejoindre ses voisins francophones. Reste que cet ultime coup de canif au contrat pourrait provoquer des tendances scissipares et pousser les autres pays membres à rechercher de nouveaux partenaires – un rapprochement avec le Nigeria n’est plus exclu au Cameroun – ou à privilégier une approche bilatérale, consacrant ainsi l’échec de la communauté économique régionale.

Libreville montre l’exemple

Terre d’immigration faiblement peuplée et riche en ressources naturelles, le Gabon pourrait servir d’exemple rassurant à la Guinée équatoriale dans le domaine migratoire. Selon Jean-François Ndongou, le ministre gabonais de l’Intérieur, les Maliens, Béninois et autres Nigérians constituent les plus gros contingents d’immigrants subsahariens du pays. Ils devancent les Camerounais et les Congolais, dont les États ont pourtant une frontière commune avec le Gabon. La proximité géographique n’est donc pas forcément un facteur "aggravant". Dans la perspective de la libre circulation, Libreville mise sur la biométrie pour sécuriser son état civil et "tracer" toute personne présente sur le territoire.

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