Incendies en Algérie : face à l’urgence, la piste américaine
Au moment où le pays est de nouveau confronté à des feux meurtriers, se doter de bombardiers à eau est devenue une nécessité absolue. Le président Abdelmadjid Tebboune s’est chargé lui-même d’en démarcher l’acquisition auprès du constructeur Lockheed Martin.
Au cours de sa visite le 13 juin au pavillon des États-Unis, pays invité d’honneur de la 53e Foire internationale d’Alger, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a sollicité le constructeur d’avions Lockheed Martin pour l’achat, sinon l’affrètement, d’avions bombardiers d’eau.
« C’est urgent, cela peut se conclure sur le champ », a-t-il affirmé en souhaitant que les avions soient dotés d’un équipement susceptible d’utiliser l’eau de mer. L’intervention du chef de l’État a surpris, y compris la délégation des ministres qui l’accompagnait. « L’option des Américains n’était pas à l’ordre du jour », nous confie un haut responsable.
Cafouillage sur la commande d’avions russes
Cause de ce soudain empressement présidentiel : la commande officielle de quatre bombardiers d’eau au constructeur russe Beriev Aircraft Compagny d’une capacité de 13 000 litres, avec une option de commande ultérieure de deux appareils supplémentaires, ne pourra pas être totalement honorée avant 2023. « Le constructeur russe impose des périodes d’attente entre une année et deux ans », ajoute notre source.
Coût global de la transaction : 240 millions de dollars (229 millions d’euros). Un des bombardiers d’eau n’arrivera en Algérie qu’au mois de décembre, quant aux trois autres, ils seraient livrés au cours du premier trimestre de l’année prochaine. Bien après la saison propice aux incendies.
Cette demande inattendue d’affrètement indique en tout cas un cafouillage des autorités algériennes. Le ministère de la Défense nationale, chargé par le président Tebboune en août 2021 de mener les consultations avec la Russie à ce sujet, était alors convaincu « de la livraison dans les meilleurs délais de la commande ».
Un choix guidé par la capacité des avions russes « d’intervenir contre les incendies de forêt dans des conditions météorologiques extrêmes et complexes ». « Il fallait trouver des bombardiers d’eau adaptés à la topographie algérienne caractérisée par des zones difficiles d’accès pour un avion bombardier d’eau ordinaire. C’est l’une des raisons invoquées pour justifier que le pays n’ait pas consenti un tel investissement auparavant », soutient l’une de nos sources.
Plus de 300 foyers d’incendie
En attendant, l’Algérie est de nouveau confrontée à des incendies meurtriers : depuis le 14 juin, 323 foyers ont été comptabilisés par la protection civile, faisant deux victimes âgées de 45 et 68 ans à Skikda.
Le pays se retrouve ainsi contraint de conclure des contrats d’affrètement pour ne pas que le raté dramatique de l’été 2021 ne se répète. Avec les Russes en premier lieu : un Beriev BE 200 a atterri le 15 juin au soir à Alger pour intervenir en urgence dans les opérations d’extinction de feux.
« C’est un affrètement pour une période de trois mois », a précisé à l’agence de presse APS le ministre de l’Intérieur, Kamel Beldjoud, qui était sur place lors de l’atterrissage de l’appareil. « Sur instruction du président, nous avons été dans l’obligation d’aller chercher des affrètements à travers certains pays du monde.
Il y a eu une réponse d’un pays et cet avion bombardier est ici en Algérie », a-t-il ajouté. L’avion, qui peut atteindre une vitesse de plus de 500 km/h, permet un échoppage en mer en 4 secondes avec possibilité de ravitaillement sur la piste d’atterrissage.
En outre, l’Algérie a loué à une société européenne six avions de lutte contre les incendies de type Thrust Aircraft, qui seront opérationnels durant les mois de juillet et d’août.
Quatre de ces appareils opéreront à partir des aérodromes d’Alger, d’Annaba et de Béjaïa. Deux d’entre eux disposent d’une capacité de 3 000 litres, les deux autres peuvent emporter jusqu’à 6 000 litres.
« Il faut compter en moyenne deux millions de dollars par saison pour un appareil, si le contrat d’affrètement est signé plusieurs mois en avance, car les interventions en situation d’urgence font exploser les prix », confie un spécialiste à Jeune Afrique.
Volte-face sur les bombardiers
Lors de l’été 2021, l’Algérie s’était retrouvée démunie face aux gigantesques incendies, qui ont débuté le 9 août 2021 et détruit des dizaines de milliers d’hectares de forêts dans 26 wilayas sur les 58 que compte le pays, entrainant la mort d’au moins 90 personnes, parmi lesquelles 33 militaires, selon divers bilans des autorités locales et le ministère de la Défense.
Ce sont les citoyens qui ont bravé les premiers le danger pour tenter d’éteindre les feux, à l’aide de moyens dérisoires. Quand les premiers secours sont arrivés, il était déjà trop tard pour nombre de personnes. À défaut de disposer d’avions bombardiers d’eau, l’armée nationale avait déployé des hélicoptères Mi-26 transportant jusqu’à 1 000 litres d’eau, dans la localité fortement touchée de Tizi-Ouzou.
Les autorités avaient aussi pu compter sur le renfort de deux bombardiers d’eau français et d’un autre appareil espagnol. Arrivés les 12 août, ceux-ci se sont révélés cruciaux dans la lutte contre les flammes.
Jusqu’aux incendies de l’été dernier, la direction de la protection civile a préféré fonctionner avec six hélicoptères anti-incendie, jugeant les avions bombardiers d’eau « trop coûteux et inadaptés aux reliefs algériens, avec le risque d’entrer en collision avec des pylônes et les câbles de haute tension en raison du vol à basse attitude qu’ils sont obligées d’effectuer pour réussir leur mission ».
La Direction générale de gestion des forêts (DGF) avait, elle, une autre appréciation puisque lors de la préparation de la campagne de lutte contre les feux de forêt de 2021, Ilhem Kabouya, directrice de la Protection de la flore et de la faune auprès de la DGF, avait soutenu que « l’acquisition d’avions bombardiers d’eau, serait d’un apport non négligeable pour la lutte contre les incendies ».
Cette année, la DGF a bénéficié d’une enveloppe financière de 4 milliards de dinars (26 millions d’euros) pour améliorer son dispositif de lutte contre les incendies. Un budget qui a déjà permis de moderniser la salle des opérations et de suivi des incendies.
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