RSE : les multinationales cherchent la bonne formule
Alors que les compagnies internationales soulignent l’efficacité et la popularité du partage de capital avec les populations locales, les initiatives dans le domaine demeurent encore limitées.
RSE : vers un développement responsable
Approvisionnement en produits locaux, sous-traitance de proximité, mais aussi, et surtout, recours aux ressources humaines locales… L’engagement local des entreprises est devenu un facteur clé de succès.
En mars dernier, Ralph Mupita, PDG de l’opérateur sud-africain MTN, soulignait les « progrès réalisés par son entreprise au Ghana, où 23,7 % du capital des filiales locales – Scancom et MobileMoney – était désormais détenu par des investisseurs locaux ». Un objectif affiché de l’opérateur mais aussi le résultat de négociations avec le gouvernement ghanéen, qui l’avait sanctionné pour position dominante et contraint à ouvrir le capital de sa filiale à hauteur de 30 % de parts locales minimum. « Nous avons discuté avec le gouvernement ghanéen pour assurer un modèle optimal de développement de l’actionnariat local », précise-t-on au siège du groupe.
Cet exemple reste un cas bien isolé. Ces derniers mois, TotalEnergies, Orange, Sanofi, Société générale ou encore Nexans ont tous activé des dispositifs d’ouverture de leur capital, mais réservés aux salariés uniquement. « Les initiatives d’actionnariat salarié permettent d’associer plus étroitement les salariés à la croissance et à la stratégie de l’entreprise, en renforçant la notion d’appartenance », souligne un porte-parole de la major TotalEnergies au sein de laquelle, pour ce qui concerne l’Afrique, un salarié sur deux détient des actions du groupe.
Ce dispositif séduit : « Le taux de participation des salariés résidant dans un pays africain est nettement au-dessus de la moyenne du groupe », explique Alban de Nexon, responsable Rémunérations et Avantages sociaux du groupe industriel Nexans présent notamment au Maroc et en Côte d’Ivoire. Pourtant, ces dispositifs d’actionnariat salarié des multinationales répondent plus à des stratégies globales qu’à une volonté particulière d’avoir un impact sur le niveau de vie des populations africaines. C’est le cas chez Orange, dont les plans sont par ailleurs plébiscités, mais qui décline simplement son initiative Together 2021, visant à atteindre 10 % de capital salarié d’ici à 2025.
Outils financiers limités
Quant à « l’actionnariat populaire » – la participation d’actionnaires locaux au sein d’une même entreprise -, le système patine encore, notamment en raison du développement insuffisant des marchés financiers. Cette forme de participation « est peu développée dans les pays de l’Uemoa en raison d’un manque d’instruments pour y parvenir, comme les privatisations par le canal de la BRVM », explique Félix Edoh Kossi Aménounvé, directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM).
Dans un autre registre, la place ouest-africaine n’a connu qu’une dizaine de privatisations depuis son ouverture, contre 40 prévues initialement. Le principe même de fonctionnement d’une société cotée est de permettre la redistribution du capital. « L’ouverture de l’actionnariat se fait surtout en bourse, c’est plus rare via les sociétés non cotées. Le fait qu’une société ne soit pas cotée entraîne un déficit de liquidités », explique Laurent Demey, ancien directeur d’investissement à Proparco. La cotation renforce aussi la transparence et facilite la valorisation des actifs distribués aux salariés ou aux populations. C’est pourquoi l’ampleur de l’actionnariat populaire varie selon les secteurs économiques. « C’est la maturité du marché financier qui impose la tendance », confirme Daouda Ba, avocat associé au bureau de Bamako de Vaughan Avocats.
Puzzle de mesures
Seule exception, le secteur des télécoms en Afrique : arrivé à maturité, il parvient à attirer les investisseurs sur le marché et par conséquent, les potentiels actionnaires « populaires ». »Ce sont aussi des sociétés faciles à coter parce que rentables et stables », souligne Laurent Demey. Elles sont basées sur des infrastructures amenées à perdurer.
L’énergie et les banques sont les autres secteurs les plus actifs ; la BRVM attend plus de l’agro-industrie et des mines. Même si, pour l’industrie extractive qui concerne des sociétés dont l’exploitation est limitée dans le temps, la cotation en bourse reste moins évidente, limitant les initiatives privées concernant l’actionnariat local. Dans ce domaine, le partage de valeur est plutôt régi par des réglementations liées au concept de « contenu local » (voir encadré). C’est une exception plutôt qu’une règle, dans un paysage réglementaire africain fragmenté.
« Concernant l’actionnariat salarié, le droit OHADA fixe les règles de la distribution d’actions gratuites aux salariés à 10 % maximum du capital social, assorti d’une durée de conservation d’au moins deux ans », détaille Daouda Ba. Pour le reste, les lois varient selon les législations et les secteurs. Le Mali régule les assurances, le Ghana le secteur financier dans son ensemble, quand le Nigeria ou la RDC sévissent dans le pétrole et les mines. Le Maroc et la Tunisie se distinguent par une relative absence de règles.
« Pour beaucoup de législations, le problème est aussi le manque de clarté », assure Ashleigh Hale, co-directrice des activités corporate au sein du cabinet d’avocats Bowmans. « Pour les entreprises internationales, une grande partie du travail consiste à discuter avec les bons fonctionnaires pour comprendre ce qui doit être fait. » C’est pourquoi, malheureusement, les initiatives restent individuelles et souvent négociées au cas par cas : « Les lois existent souvent mais le contrôle et la surveillance sont limités », poursuit l’avocate.
Nombreuses réticences
Les multinationales pointent aussi la lourdeur de certaines procédures. Alban de Nexon cite les « contraintes légales au Maroc » qui imposent un contrôle systématique par l’Autorité marocaine des marché de capitaux (AMMC) des opérations salariées. « Le droit africain gagnerait à prévoir un cas de dispense à l’obligation d’établir un prospectus à faire approuver préalablement », appuie un expert du secteur bancaire.
Quelques leviers pourraient être actionnés pour systématiser le recours à l’actionnariat populaire. Les idées sont nombreuses, de la mise en place d’incitations fiscales à la créations de structures à capital variable. Pour des questions d’image et d’impact sociétal, ces différentes initiatives sont bien souvent non contraignantes, la simple implication dans une démarche RSE valant volonté de s’y inscrire. « Les grands groupes sont souvent réticents, admet Félix Edoh Kossi Aménounvé. Mais ceux qui en ont compris les bénéfices s’engagent dans l’actionnariat local. »
Le vrai obstacle au développement d’un actionnariat populaire d’ampleur en Afrique pourrait se trouver moins du côté des textes que du côté du portefeuille, moins du côté des entreprises que des locaux à qui céder le capital. « Il faudrait qu’il y ait de l’épargne, or les gens pensent d’abord à se loger et à manger. Pas à acheter des actions », tranche Jean-Jacques Lecat, avocat spécialiste des transactions internationales. « Avant de modifier les dispositifs nationaux sur l’actionnariat, il faudrait aussi essayer de revoir le droit concernant les salaires, souligne aussi Daouda Ba. Il s’agit de penser une politique de redistribution plus large, dont l’actionnariat fait partie. »
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