Maroc : adieu, rue Redman

Fouad Laroui © DR

Publié le 15 novembre 2013 Lecture : 2 minutes.

Quand j’étais petit, à El-Jadida, je m’amusais à déchiffrer les noms des rues au hasard de mes promenades. Certains noms me faisaient rêver. Il y avait, par exemple, la rue Redman. Quand on est gamin, effectivement, un tel nom, dans une ville marocaine, ne peut qu’intriguer. À l’époque, on n’avait ni internet, ni jeux vidéo, ni même la télé, un rien pouvait nous amuser ou nous étonner. Redman ? J’imaginais un explorateur fameux qui se serait échoué sur nos côtes ; ou un criminel d’envergure, l’abominable Redman, qui aurait légué sa fortune mal acquise à la ville ; ou au moins, ce Redman, c’était un grand peintre qui aurait fini sa vie sur l’immense plage qui va jusqu’à Azemmour.

Or mon ami Mustapha Jmahri, qui est l’historien local d’El-Jadida, ville à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages, m’a alerté à propos de la disparition de la rue Redman. Vous sursautez : – Quoi ? Comment ? Les rues disparaissent, au Maroc ? Hélas oui. La rue Redman se trouve au centre-ville, derrière la poste. Un jour, en passant par-là, Mustapha s’aperçoit que l’ancienne plaque a été enlevée. La nouvelle plaque porte désormais le nom très banal de "rue de la Poste". Sans doute le conseil municipal a-t-il pris cette décision parce que, pour lui, le nom de Redman ne signifiait rien. Ignorance coupable ! Honte à toi, conseil municipal ! Les Redman étaient une ancienne famille de consuls britanniques à Mazagan (c’est ainsi que la ville s’appelait autrefois). Le cimetière anglais existe toujours à El-Jadida, et l’un des Redman y est enterré depuis 1896. Paix à son âme. On aurait pu le consulter avant de lui voler sa rue !

Il faut encadrer les conseils municipaux dont certains font vraiment n’importe quoi.

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Un nom anglais donné à une rue d’El-Jadida, ça a une portée symbolique, pas seulement pour nous, mais aussi pour nos interlocuteurs étrangers. L’ancienneté des liens qui unissent le Maroc au reste du monde est ainsi soulignée, ce qui peut contribuer au rayonnement d’une ville qui était considérée, il y a quelques siècles, comme la porte ouverte vers l’Europe. Supposons un groupe de touristes britanniques, une délégation municipale de Londres ou de Manchester, en visite ici : ne seraient-ils pas touchés de voir que leurs ancêtres avaient des liens privilégiés avec notre ville ? Et rentrés dans leurs pénates, la bière aidant, ils en parleraient autour d’eux, suscitant des envies de venir voir sur place, pour le plus grand bien de notre balance commerciale. (Je le signale amicalement au ministre du Tourisme.)

Plus généralement, je lance ici un appel au tout nouveau ministre de l’Intérieur pour qu’il mette sur pied une commission chargée d’étudier les changements des noms de rue. Il faut encadrer les conseils municipaux dont certains font vraiment n’importe quoi. Il y a quelques années, j’avais monté une campagne, dans ces pages, pour sauver la rue Socrate, à Casablanca. Cette campagne avait porté ses fruits. Malheureusement, je n’ai rien pu faire pour sauver la rue Redman, à El-Jadida. Encore un petit pan de notre histoire qui a disparu à cause de l’ignorance et du je-m’en-foutisme généralisé.

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