Cameroun : Léonora Miano, une saison en or
Le 6 novembre, la Franco-Camerounaise Léonora Miano a reçu le prestigieux prix Femina pour La Saison de l’ombre. Un roman original sur la traite négrière.
Elle n’a pas jugé nécessaire de s’offrir une arrivée de star. Cela n’est pas pour elle. Pour le cocktail organisé en son honneur par son éditeur, Léonora Miano est arrivée dans les salons parisiens du cinéma Le Panthéon bien avant tous les invités. Un brin lassée de redire encore et encore sa joie de recevoir le prestigieux prix Femina décerné le 6 novembre, la romancière franco-camerounaise a donné l’accolade avec une égale chaleur tant à ses cousins et cousines qu’aux célébrités du landerneau littéraire : Benoîte Groult, Laure Adler, Bernard-Henri Lévy… La quadra s’est éclipsée au bout de trois heures, après nous avoir fixé un rendez-vous téléphonique pour le lendemain à 7 heures.
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La nuit de sommeil n’y a rien changé. Elle ne réalise toujours pas que son nom rejoint ceux de Marguerite Yourcenar, Jorge Semprun ou encore Marie Ndiaye sur la liste des lauréats de l’un des prix littéraires français les plus courus. Léonora Miano dit comprendre, aux coups de téléphone qui affluent, en particulier du Cameroun, combien elle rend les gens heureux. Au point qu’elle se demande si ce prix ne lui confère pas de nouvelles responsabilités. "J’essaie de ne pas me donner trop d’importance", lâche-t-elle de sa voix grave et feutrée. Elle avoue avoir eu beaucoup de chance : elle n’a été désignée qu’à cinq voix contre quatre à Laurent Seksik pour Le Cas Eduard Einstein (Flammarion). L’écrivaine reconnaît qu’il ne lui a pas toujours été facile d’imposer son travail, tant elle aborde de manière frontale un sujet délicat : la traite transatlantique.
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Avec La Saison de l’ombre, Léonora Miano signe un texte prégnant qui non seulement parle de son continent natal, mais surtout s’adresse à lui. L’action se situe sur les côtes africaines, au moment où les Occidentaux arrivent pour mettre en place cinq siècles de traite négrière. Inversant la perspective habituelle qui s’intéresse aux esclaves déportés, Léonora Miano se penche sur ceux qui restent. Ceux à qui l’on arrache les êtres qu’ils aiment et dont le monde s’effondre. Elle nous rappelle que la plupart des Subsahariens de l’époque ne sont ni des captifs ni des trafiquants d’hommes. Mais des personnes simples, qui n’ont aucune prise sur les événements. L’écrivaine, qui a fait de l’Afrique son matériau exclusif pour son septième roman, estime cependant que c’est "l’universalité du thème abordé" qui lui vaut une telle récompense. Chacun d’entre nous peut en effet se reconnaître dans celui qui perd un être cher. Finalement, peu importent les circonstances dans lesquelles cela s’est produit. Ce qui compte, c’est la détresse.
La force de Léonora Miano est d’avoir su retracer la complexité de l’humanité. Le criminel est beaucoup plus ambivalent qu’il n’y paraît. La Saison de l’ombre campe ainsi une tribu qui a pris sur elle de fournir des captifs aux négriers parce qu’elle se sentait constamment agressée. C’est cela aussi l’engrenage dans lequel l’Afrique s’est laissée embarquer. Aux Africains aujourd’hui de prendre possession de leur histoire et de l’écrire. Cela suppose de déterminer les responsabilités des uns et des autres en cernant les motivations sous-jacentes de chaque protagoniste. Tranquillement. Ce roman offre un point de vue afrocentré assumé. "Ce qui ne signifie pas que je rejette le reste du monde, explique son auteure. Mais les figures noires et africaines sont au centre de ma production. Ce sont leurs émotions et leurs pensées qui m’intéressent en priorité." Léonora Miano, qui se définit comme une écrivaine subsaharienne francophone et française, revendique une forte culture littéraire anglo-saxonne, caribéenne et africaine-américaine, notamment celle des lettres féminines du Black Arts Movement des années 1970, dont la démarche politique touche profondément la militante qu’elle est. C’est par ce truchement qu’elle pense atteindre son Afrique rêvée, celle qui aurait recouvré l’estime de soi en annihilant sa profonde aliénation.
Vestiges du comptoir négrier de Bimbia, au Cameroun. © Aimé Ménoba pour J.A.
Un sujet de mémoires au Cameroun
Dans un éclat de rire, la romancière déclare dédier sa récompense "à tous ceux à qui cela fait du bien". Et confesse que sa manière de ne pas chercher à plaire lui a valu, à ses débuts, des insultes de la part d’une diaspora qui s’estimait stigmatisée par ses écrits. L’Intérieur de la nuit, où il est question de sacrifices humains et de cannibalisme, de la léthargie d’une société malade de son passé, a déclenché l’ire de certains membres de la communauté africaine de France. Il s’agit néanmoins de son ouvrage le plus apprécié de ses compatriotes. Inscrite au programme des classes de seconde au Cameroun, il est actuellement le sujet de mémoire de nombre d’étudiants en lettres.
Lors de la remise du prix Femina, Léonora Miano a eu une pensée émue pour la mère de la chanteuse Sandra Nkaké, aujourd’hui disparue. Elle lui doit en partie la structure de son roman. En septembre 2010, Léonora Miano découvre un rapport intitulé "La mémoire de capture", que Lucie-Mami Noor Nkaké a rédigé pour l’Unesco. Si la traite transatlantique est omniprésente dans l’oeuvre de Miano, cette étude lui a permis de déplacer la perspective dans laquelle se situent habituellement ceux qui l’abordent pour introduire cette dimension humaine souvent occultée. Pour elle, faire l’impasse sur cette dimension c’est passer sous silence les résistances qui se sont organisées. Des populations ont été décimées, des rois destitués ou assassinés parce qu’ils refusaient de se soumettre. Il faut les célébrer. Ce que la romancière a fait dès 2010 en composant Sankofa Cry, un répertoire blues dédié aux premiers Subsahariens déportés vers les Amériques. À partir de février 2014, celle pour qui la musique occupe une place primordiale dans l’écriture se produira avec Out in The Blue, un récital jazz poétique sur l’expérience des Subsahariens et des afro-descendants.
Cette question, Miano la porte en elle depuis l’enfance. Pour cette fille de pharmacien et d’enseignante, la grande confrontation avec ce sujet vient avec la lecture, à l’âge de 14 ans, de La Prochaine Fois, le feu de James Baldwin. Les réponses à ses questions de petite Subsaharienne lui sont venues de la diaspora noire américaine. Elle a alors découvert que les Africains de l’Antiquité étaient égaux aux autres peuples. Avec l’esclavage, on a chassé les Noirs du genre humain. Romancière révoltée, Léonora Miano ? Cette admiratrice de l’écrivain ghanéen Ayi Kwei Armah décline : trop vieille pour l’être. Elle a de puissants motifs d’indignation, mais l’écriture lui a permis de calmer ses tourments.
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