Monde arabe : à l’école des cancres

Programmes indigestes, classes surchargées, méthodes inadaptées… Du primaire à l’université, le système d’enseignement public a désespérément besoin d’une refonte dans le monde arabe.

Des classes surpeuplées pour trop peu de professeurs. © AFP

Des classes surpeuplées pour trop peu de professeurs. © AFP

Publié le 21 novembre 2013 Lecture : 4 minutes.

École de garçons d’Imbaba, dans un quartier pauvre du Caire. M. Nabawi, professeur d’histoire et de géographie, ne cache pas son exaspération quand on lui demande si les devoirs de ses élèves nécessitent des recherches sur internet. "Nous n’avons ni le temps ni les moyens de l’exiger, répond-il d’un ton dédaigneux. Nous nous contentons de suivre le programme. Si je leur demande de faire des recherches, ils ne termineront pas le devoir. Ici, les classes peuvent compter 40, 50, voire 60 élèves. Ils sont incultes, et internet les rend encore plus ignorants." Et l’enseignant, qui refuse de donner son nom complet, de se diriger vers la sortie du lycée pour négocier avec une mère des cours particuliers pour son fils.

Dans un système éducatif saturé qui se soucie peu d’inculquer aux élèves la capacité de penser par eux-mêmes, le travail des professeurs particuliers consiste à aider les jeunes à mémoriser des programmes souvent verbeux et abrutissants. Et à leur fournir des réponses types que les lycéens sont encouragés à apprendre par coeur pour les régurgiter sur leurs copies.

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20px;" alt="" src="https://www.jeuneafrique.com/photos/112013/013112013162426000000graph-education.jpg" />Les programmes indigestes, les écoles surpeuplées et le recours aux cours particuliers ne sont pas le lot de la seule Égypte. À écouter parents, professeurs et observateurs, le secteur de l’éducation est en crise dans l’ensemble du monde arabe. Les problèmes sont moins aigus dans certains pays, comme au Liban, au Qatar et dans les Émirats arabes unis, qui s’en tirent bien dans les classements internationaux en matière d’éducation. Mais ailleurs, du primaire à l’université, les systèmes d’enseignement public ont désespérément besoin d’une refonte.

Engorgés et sous-financés, les systèmes nationaux produisent une foule de diplômés mal formés en quête d’emploi dans la fonction publique. Et les employeurs se plaignent souvent du manque de dynamisme et de compétences exigés dans le secteur privé. Les qualités valorisées par les économies modernes – comme le sens de l’initiative, la créativité et les capacités à résoudre des problèmes – sont trop rares, disent-ils. Le "Rapport 2013" sur la compétitivité mondiale place ainsi l’Égypte au dernier rang, sur 148 pays, quant à la qualité de l’enseignement primaire. Le Yémen est avant-dernier, alors que l’Algérie et la Libye occupent la 131e et la 132e place.

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L’école primaire : insuffisante pour avoir des connaissances de base

Selon le "Rapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous" publié par l’Unesco, le primaire dans le monde arabe n’est souvent pas de qualité suffisante pour garantir à tous l’acquisition des connaissances de base. Une étude de 2007 faisait apparaître que 53 % des lycéens égyptiens âgés de 13 ans à 14 ans n’atteignaient même pas les standards internationaux les plus bas en mathématiques. Pauline Rose, directrice dudit rapport, affirme que 35 % des enfants arabes qui arrivent en quatrième année ne remplissent pas les critères minimums "de lecture et de compréhension" et ne maîtrisent pas les opérations mathématiques de base. "Je ne pense pas qu’il y ait un pays dans le monde arabe où l’on puisse dire que les résultats sont bons, déclare-t-elle. La Jordanie faisait mieux, mais des [études] récentes montrent que le niveau n’a pas progressé, et s’est même un peu dégradé."

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Dans une région où la moitié de la population a moins de 24 ans, les ressources sont surexploitées et les effectifs sont souvent bien trop importants pour que les professeurs puissent suivre chaque élève individuellement. La pression pour faire de la place à la cohorte suivante conduit à laisser passer de classe ceux qui devraient redoubler. "Il y a des enfants qui arrivent en dernière année d’école élémentaire en étant à peine capables de lire, indique Nayra Ijeh, une consultante égyptienne en matière d’éducation. Ils passent grâce à la tricherie collective. Il arrive même que des professeurs à l’extérieur des salles d’examens leur hurlent les réponses au mégaphone." Mais elle n’en a pas moins rencontré des enseignants et des proviseurs de qualité, et de bons établissements qui "réussissaient en dépit du système, jamais grâce à lui".

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L’apprentissage machinal : un des principaux défauts du système éducatif

Les observateurs soulignent que l’un des principaux défauts du système éducatif, en Égypte et ailleurs dans le monde arabe, est la dépendance à l’apprentissage par coeur, lequel ne peut inculquer la pensée critique, préalable indispensable au progrès et à l’innovation. "La notion [qui sous-tend l’éducation universitaire en Égypte] est qu’il y a une somme finie de savoir, explique Khaled Fahmy, professeur d’histoire à l’université américaine du Caire. On a donc un livre standard qui doit être enseigné, et les étudiants sont censés acquérir ce seul savoir. L’absence de bibliothèques explique le peu de recherches effectuées. Le professeur délivre un cours qui n’est que la répétition du manuel de base, et les étudiants ne sont examinés que sur ce contenu."

Professeur de mathématiques à l’université du Caire, Hany al-Husseini reproche au système de n’avoir pour horizon que l’examen et déplore que les équipes universitaires soient sous pression pour faire passer autant d’étudiants que possible, sans considération de leur niveau réel. La faculté où il enseigne n’est pas très demandée, la recherche scientifique en Égypte étant essentiellement le fait d’institutions d’État, lesquelles rémunèrent mal. "Les sciences sont considérées comme des disciplines un peu marginales et même un peu excentriques, regrette-t-il. La possibilité de gagner de l’argent y est limitée. La plupart des étudiants viennent ici parce que leurs notes ne leur permettent pas d’aller ailleurs. Ils ne sont pas motivés. Mais nous considérons que notre mission est de déceler les plus doués dès la première année, de les extraire du système de l’apprentissage machinal et de leur donner une bonne formation."

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Par Heba Saleh

© Jeune Afrique et Financial Times

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