Éthiopie : gare aux Shebab

Leur intervention en Somalie leur vaut la haine des jihadistes locaux. Pour se protéger contre d’éventuels attentats, les Éthiopiens ont transformé leur pays en forteresse. Avec succès jusque-là.

Des troupes éthiopiennes patrouillent à Baidoa, dans le sud-ouest de la Somalie. © JENNY VAUGHAN / AFP

Des troupes éthiopiennes patrouillent à Baidoa, dans le sud-ouest de la Somalie. © JENNY VAUGHAN / AFP

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Publié le 18 novembre 2013 Lecture : 4 minutes.

"Vous occupez notre territoire et opprimez nos frères. L’heure est maintenant venue de payer." Tel est, en substance, le contenu des messages haineux postés par les Shebab sur Twitter tout au long des quatre jours de la sanglante attaque du Westgate Mall de Nairobi, fin septembre. Comme lors de précédents attentats perpétrés au Kenya ou en Ouganda, les insurgés islamistes somaliens frappent leurs ennemis sur leur propre sol.

Les soldats kényans, qui font désormais partie de l’Amisom (la Mission de l’Union africaine en Somalie), ont traversé la frontière somalienne en octobre 2011. Un mois plus tard, ils étaient rejoints par leurs homologues éthiopiens, eux aussi chargés de mettre fin au chaos chez ce voisin dévasté par vingt ans de guerre civile. Depuis, les deux pays sont en première ligne contre les Shebab. Mais, contrairement aux Kényans, les Éthiopiens n’ont encore jamais subi de vengeance terroriste de cette ampleur. Certes, deux kamikazes somaliens ont bien tenté de commettre un attentat à Addis-Abeba le 15 octobre. Ils en ont été les seules victimes…

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Si elles se tiennent soigneusement hors de l’Amisom, les forces éthiopiennes ont pourtant joué un rôle décisif dans l’affaiblissement de la rébellion islamiste. Malgré un début de retrait au mois de juillet dernier, entre 4 000 et 5 000 militaires éthiopiens sont toujours présents en Somalie, soit à peu près autant que les Kényans. Et Addis-Abeba, avec son siège de l’Union africaine, ses institutions internationales et ses grands hôtels fréquentés par des diplomates du monde entier, ne manque pas de cibles symboliques… "Les Shebab ont les Éthiopiens dans le viseur, confirme un diplomate africain en poste à Addis. Mais ils savent aussi très bien que ce ne sont pas des enfants de choeur." Car l’ancien empire de Haïlé Sélassié s’est progressivement transformé en forteresse. Avec ses 150 000 hommes, l’armée éthiopienne est l’une des plus performantes du continent. Son intervention en Somalie lui a donné une profondeur stratégique, et d’importants moyens militaires sont déployés le long de la frontière pour prévenir toute incursion. Les Éthiopiens peuvent en outre compter sur le soutien des États-Unis, qui leur fournissent un appui financier et militaire depuis une vingtaine d’années. Symbole de cette coopération, une base de drones américains est implantée à Arba Minch, dans le sud du pays.

La clé de la réussite éthiopienne face au danger islamiste repose avant tout sur des services de renseignements très développés.

Mais la clé de la réussite éthiopienne face au danger islamiste repose avant tout sur des services de renseignements très développés. Depuis 2006 et la première opération contre les Shebab, des centaines d’agents ont été envoyés dans les zones tampons qui séparent les deux pays. "Tout est une question de surveillance, confie un responsable des services éthiopiens. Grâce à nos agents locaux, nous assurons la sécurité d’Addis-Abeba depuis la frontière." Et d’ajouter, index menaçant pointé vers l’est : "S’ils bougent un orteil, nous sommes immédiatement au courant."

L’Ogaden, la région somalie d’Éthiopie, est très contrôlée. La Liyu, la police spéciale créée en 2007, y est aux aguets. Plus largement, l’ensemble du pays est quadrillé grâce à un système bien rodé. L’État éthiopien est un régime policier dans lequel pullulent les informateurs. "Les renseignements sensibles remontent rapidement du niveau local aux forces de sécurité, analyse un diplomate occidental. Si vous achetez une arme à Addis, la police sera au courant dans les vingt minutes." La communauté somalienne installée dans la capitale est surveillée comme le lait sur le feu.

La mainmise sur les réseaux de télécommunication

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La responsabilité collective est une autre caractéristique de cet étroit maillage sécuritaire. "La société est notamment articulée autour des "Kebele", qui sont des sortes d’unités territoriales de quartier contrôlées par le FDR [Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens, au pouvoir], précise Roland Marchal, chercheur au Centre national de la recherche scientifique [CNRS]. Essentiellement chargés des problèmes de la vie quotidienne, les Kebele servent aussi d’organes de surveillance générale."

Pour renforcer le tout, l’État a la mainmise sur l’ensemble des réseaux de télécommunications, Ethio Telecom étant le seul opérateur téléphonique et l’unique fournisseur d’accès à internet. Enfin, les autorités s’appuient sur une législation antiterroriste très stricte.

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Mais le risque zéro n’existe pas. La bande frontalière entre l’Éthiopie et la Somalie est immense et une petite dizaine de personnes peuvent passer d’un pays à l’autre sans être repérées. Les gardes privés et les scanners, postés à l’entrée de chaque grand hôtel ou bâtiment officiel, ne sauraient empêcher un commando armé de passer à l’action. Ainsi, une semaine après l’attaque du Westgate Mall de Nairobi, le maire d’Addis-Abeba a convoqué différents responsables éthiopiens et internationaux dans son bureau pour leur rappeler l’objectif numéro un : rester vigilant face à la menace terroriste.

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