Ce que la jeunesse espère du travail
À l’instar des étudiants de la promotion d’AgroParisTech, qui, en avril, ont appelé à « déserter des jobs destructeurs », beaucoup de jeunes s’interrogent sur le sens de leurs futures activités. Mais tous ne peuvent se permettre de remettre en question le modèle entrepreneurial existant.
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Aïda N’Diaye
Enseignante, auteure et philosophe. Chroniqueuse sur France Inter et collaboratrice à « Philosophie Magazine ».
Publié le 25 juin 2022 Lecture : 2 minutes.
Le 30 avril, la remise des diplômes de la promotion d’AgroParisTech, prestigieuse école d’ingénieurs agronomes française, s’est transformée en « happening » lorsqu’un groupe d’étudiants a lancé un vibrant appel à leurs camarades les invitant à « bifurquer » et à « déserter » les carrières promises par leur formation. « Ces jobs sont destructeurs. Les choisir, c’est nuire en servant les intérêts de quelques-uns », ont-ils notamment déclaré, dénonçant une industrie destructrice du vivant et de la paysannerie. Cet appel enregistre à ce jour plus de 890 000 vues et semble entrer en résonance avec un profond bouleversement des attentes de la jeunesse vis-à-vis du travail.
La jeunesse ? Mais quelle jeunesse ? À l’occasion du Forum euro-méditerranéen des jeunes talents organisé par l’ambassade de France au Maroc du 10 au 12 juin, j’ai pu discuter avec des étudiants et des entrepreneurs marocains de leurs aspirations en matière de travail, eu égard notamment aux répercussions de la pandémie de Covid-19. Ils ont cité sept priorités parmi lesquelles la rémunération (un revenu suffisant pour vivre), l’environnement et le climat de l’entreprise (des modes de travail fondés sur la collaboration, qui permettent de se développer et se former), ainsi que les perspectives de carrière…
L’obstacle du milieu social
Alors quelles conclusions tirer des résultats de cette enquête ? Bien que celle-ci ne soit pas de grande ampleur, nous pouvons néanmoins en tirer un nécessaire décentrement pour penser les transformations en cours dans notre rapport au travail, lequel reste une réalité et ne valeur – son sens et sa place dans nos vies ne peuvent donc qu’être marqués par les différences sociales et culturelles. En France, ne sont en effet visibles que les jeunes les plus privilégiés, souvent étudiants ou diplômés de grandes écoles. Le refus de certains de placer le travail au cœur de leurs existences est certes retentissant. Il ne peut que nous rendre optimiste sur l’émergence d’une révolution qui, à long terme, remettrait le travail à sa juste place, en cohérence avec les préoccupations sociales, politiques, environnementales, qui doivent, de toute urgence, devenir les nôtres.
Mais ne pas faire de la rémunération la préoccupation et le critère premiers de nos choix de carrière reste un luxe que bien peu de jeunes peuvent s’offrir, en France, et surtout dans le monde. Plus fondamentalement, philosophiquement, nous ne pouvons pas penser notre rapport au travail si nous faisons abstraction de cette dimension essentielle : le travail est ce qui nous permet de vivre, et c’est seulement à partir de cette contrainte-là qu’une réflexion réaliste peut se développer. On ne saurait dès lors faire de la possibilité de « déserter » une règle tant le milieu social d’origine de la plupart des jeunes est à ce titre un obstacle.
De quelles ressources familiales faut-il en effet disposer pour aller s’installer à la montagne, faire du dessin ou fonder une communauté agricole, comme ont déclaré le faire certains des diplômés d’AgroParisTech ? Comment financer une reconversion professionnelle ? Et même, comme l’ont pointé les jeunes participants à mon atelier – que je remercie –, et comme nous l’avons tous constaté lors du confinement, de quel confort individuel et collectif (un réseau internet qui fonctionne, par exemple) faut-il disposer pour télétravailler ?
Dans ce cadre, vouloir s’engager dans une carrière au sein d’une entreprise qui offre des garanties de stabilité sur un temps long reste une aspiration légitime face aux incertitudes de notre monde.
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