Les « sous-off » du terrorisme

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 14 novembre 2013 Lecture : 5 minutes.

Il y a tout juste dix-huit mois, le 2 mai 2011, les Américains ont tué Oussama Ben Laden, qu’ils avaient fini par localiser, et jeté son corps à la mer.

Lui et son organisation, Al-Qaïda, leur avaient infligé, dix années auparavant, le 11 septembre 2001, une humiliation plus grande que celle que leur avaient fait subir les Japonais en décembre 1941 à Pearl Harbor : lancés sur New York et Washington, les avions-­suicides d’Al-Qaïda ont fait en quelques heures près de 3 000 morts – et semé le désarroi aux plus hauts échelons du gouvernement américain.

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Dès le lendemain, le président des États-Unis, qui était alors George W. Bush, a lancé son pays dans ce qu’il a appelé, sans se donner la peine d’en élaborer le concept, "la guerre mondiale contre le terrorisme". Bon gré mal gré, d’autres pays se sont engagés derrière l’Amérique dans cet affrontement sans frontières contre un adversaire insaisissable et mal défini.

Et nous avons tous dû, depuis plus de dix ans, nous plier à des mesures de sécurité paralysantes et coûteuses, accepter une surveillance de tous les instants, de sévères limitations à nos libertés…

Au début de 2009, George W. Bush a quitté le pouvoir après y avoir sévi pendant huit années au cours desquelles les États-Unis ont envahi et occupé deux pays musulmans, l’Afghanistan et l’Irak, dont ils ont changé les régimes.

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L’aventure a permis aux Américains d’assouvir leur désir de vengeance et d’effacer l’humiliation subie, mais à un coût humain, financier et politique dont ils s’aperçoivent aujourd’hui qu’il a été très élevé.

Pourchassée dans le monde entier, Al-Qaïda a perdu des centaines de ses dirigeants, capturés ou tués, les survivants étant coupés de leurs troupes. On a pensé que la mort d’Oussama Ben Laden, qui était son chef charismatique et financier, lui porterait le coup de grâce. Et que cette guerre contre le terrorisme, qui retentissait négativement sur nos vies et sur les économies de nos pays, s’acheminerait peu à peu vers sa fin.

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On s’aperçoit aujourd’hui, non sans étonnement, qu’il n’en est rien : le terrorisme aveugle n’a plus de centre, certes, mais il s’est disséminé et donne l’impression d’être désormais (presque) partout. En Irak et en Syrie, il a même pris la forme d’unités combattantes ; il s’est répandu sur le continent africain, de proche en proche, au nord comme au sud du Sahara.

On dirait un cancer dont la tumeur centrale a été irradiée, brûlée et détruite, ou presque détruite, tandis que des métastases se développent ici et là, de façon apparemment anarchique.

De ce fait, elles seront difficiles à résorber.

L’Al-Qaïda de Ben Laden et de Zawahiri (ex-numéro deux érigé au rang d’héritier et de successeur) est devenue un fantôme et un mythe dont se réclament une dizaine de "mini Al-Qaïda" dirigées dans plusieurs pays musulmans par ce que j’appellerai des "sous-officiers du terrorisme", médiocrement alphabétisés, qui se situent quelque part entre la politique et le banditisme, se financent par divers trafics et des prises d’otages…

*

Cette situation est des plus préoccupantes. Nous nous devons de l’analyser et de rechercher les moyens de guérir le monde du cancer de ce terrorisme.

1) Ce n’est pas une guerre mais un combat de longue haleine : vieille d’une décennie, "la guerre contre le terrorisme" n’est pas, au sens traditionnel de ce terme, une guerre, laquelle se conclut au bout de quelques années "par une victoire décisive qui contraint l’ennemi à se soumettre à la volonté du vainqueur".

Elle s’apparente davantage à "la guerre froide", cet affrontement feutré qui, sous des formes diverses, aura duré près d’un demi-siècle.

Le terrorisme pratiqué hier par Al-Qaïda, aujourd’hui et demain par les "mini Al-Qaïda" qu’elle a engendrées, ne disparaîtra pas dans les cinq ou dix ans à venir. Dans le meilleur des cas, le monde et les pays musulmans n’en viendront à bout que dans plusieurs dizaines d’années.

Cette guerre-là est donc appelée à être longue, il nous faut le savoir et nous préparer à vivre avec. Les pays musulmans en sont à la fois la source, le théâtre et les principales victimes.

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2) Elle est fille du sous-développement économique et surtout culturel : Ben Laden, Zawahiri, Mohamed Atta, l’homme qui a abattu les tours jumelles de New York, étaient ou sont des intellectuels issus de la classe moyenne, tandis que les chefaillons des "katibas jihadistes" d’aujourd’hui sont des semi-analphabètes d’extraction modeste : sans fusil, ils n’existent pas et sont chômeurs. Mais ils se transforment en hommes considérés ou redoutés dès qu’ils ont une arme entre les mains et montrent qu’ils savent s’en servir.

Les plus malins ou les plus courageux d’entre eux deviennent chefs pour quelques courtes années : ils savent – et acceptent l’idée – qu’ils seront tués par les services de sécurité… ou par un adjoint devenu rival.

Ces caractéristiques conjuguent leurs effets pour donner à ce nouveau phénomène des "mini Al-Qaïda" une relative permanence.

Il revient aux pays musulmans où il se développe et sévit de s’employer à l’éradiquer par la force, à l’algérienne, impitoyablement. Puis d’empêcher sa résurgence par l’éducation et le développement économique.

Ce sera long…

*

3) Les États-Unis et l’Europe, Russie incluse, ont réussi, par le renseignement et le professionnalisme de leurs forces de sécurité, à protéger leurs territoires de l’intrusion de ces terroristes.

Ils les tiennent à distance, s’en protègent comme d’une menace extérieure. Mais leurs citoyens dans les pays musulmans n’en restent pas moins des cibles pour les preneurs d’otages.

Les États-Unis et l’Europe ne continueront pas ad vitam æternam à assumer le rôle qu’ils ont tenu tout au long de la décennie écoulée de chefs de file de la lutte antiterroriste à qui il incombe de mettre hors d’état de nuire toutes les Al-Qaïda de la terre.

Il reviendra peu à peu aux pays musulmans atteints de cette maladie de l’islam d’en guérir leurs nations.

*

4) L’islamisme violent procède directement de l’islamisme politique. À lui seul, l’exemple de la Tunisie le prouve : arrivés dans le sillage des islamistes d’­Ennahdha, les salafistes, y compris ceux qui prônent la violence, se sont répandus dans le pays. Grâce au laxisme, voire à la complaisance d’Ennahdha, ils ont acquis droit de cité et, dans la foulée, la possibilité de tuer hommes politiques, diplomates étrangers et membres des services de sécurité tunisiens.

Les plus résolus d’entre eux sont devenus des jihadistes purs et durs, retranchés dans le Jebel Chaambi.

Auraient-ils la place qu’ils ont prise sans la protection qu’ils tirent du fait qu’Ennahdha est au centre du pouvoir ?

Certainement pas.

Conclusion : s’il ne lutte pas en première ligne contre l’islamisme violent, l’islamisme dit "modéré" en devient le conduit. Il faut alors, sans hésiter, le combattre frontalement pour le déloger le plus vite possible du pouvoir.

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